Le libre choix des patients

Essay
Édition
2023/04
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2023.21464
Bull Med Suisses. 2023;103(04):14-16

Publié le 25.01.2023

Soins de base En Suisse, les patientes et les patients peuvent choisir leur médecin. L’association faîtière santésuisse souhaite changer le système en introduisant un «gatekeeping». Un pas au détriment des assurés et des médecins de premier recours?
L’association faîtière des assureurs-maladie santésuisse propose un changement de système dans l’assurance obligatoire des soins et souhaite que les modèles proposant des médecins de premier recours deviennent la norme. C’est ce qu’a récemment rapporté le Tages-Anzeiger [1]. La proposition semble alléchante, mais elle ne permet pas de contrôler durablement les coûts ni d’améliorer la qualité des soins. Les assurances devraient faire le ménage dans leurs modèles de gatekeeper.
door that opens up access to freedom and the outside world
Ouverture ou fermeture? La faîtière santésuisse veut mettre fin au libre choix du médecin.
© CristinaConti / Dreamstime

Un paysage très hétérogène

Si l’on compare tous les modèles de gatekeeping ou d’assurance alternatifs (MAA), l’hétérogénéité est importante. À côté du modèle de médecin de famille, il existe des modèles de télémédecine qui pilotent la prise en charge via un centre d’appels ou des modèles de listes par lesquels les assurances-maladie nomment un médecin, sans son accord, gatekeeper ou coordinateur ou un service quelconque comme coordinateur.
Les deux derniers groupes de modèles peuvent parfois empêcher un patient ou une patiente de se retrouver aux urgences pour une bagatelle, mais ils ne sont pas adaptés à la prise en charge de personnes multimorbides atteintes de maladies chroniques. Ils n’attribuent à personne une responsabilité claire et ne créent pas d’incitations à la prévention ou à une relation thérapeutique durable. Pour les cas à coûts élevés notamment, seule une médecine coordonnée par le médecin de famille, sur la base d’un contrat conclu avec les fournisseurs de prestations et d’un suivi minutieux et continu des patients, peut permettre d’obtenir une meilleure qualité tout en réduisant les coûts.

Empêcher l’émergence de modèles fictifs

Il n’est pas judicieux d’ériger ces approches très différentes du traitement médical en modèle standard. Une telle réglementation ne ferait qu’encourager l’émergence d’autres modèles fictifs, pourrait ouvrir la porte à des structures de réseau peu différenciées en absorbant les innombrables fournisseurs de prestations qui seraient éliminés du libre choix du médecin. Nous ne devrions pas oublier que si les modèles coordonnés par les médecins de famille ont pu se développer autant, c’est parce qu’il n’y avait pas de règles.
Si, aujourd’hui, 75% de la population ont opté pour un modèle avec choix limité de l’accès aux soins médicaux, cette décision est en premier lieu liée aux primes moins élevées de ces modèles. Le pilotage par le biais du rabais de prime fonctionne parfaitement et ne requiert donc pas de changement systémique avec de nouvelles directives et ordonnances. Une obligation MAA serait sûrement entièrement régulée par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) avec l’habituel besoin de contrôle, bien éloigné de la pratique et entraverait le développement de tels modèles.

Deux changements minimes suffisent

Une véritable réduction des coûts et une amélioration de la qualité des traitements médicaux requièrent un peu plus qu’une accumulation hétéroclite d’instances œuvrant au hasard, qui mélangent les étiquettes des différents modèles en espérant ainsi améliorer les parcours de soin.
Il faut pour cela des compétences claires et des accords contractuels entre les fournisseurs de prestations et les assureurs. Il faut un suivi continu et une gestion soigneuse des dossiers par le médecin de famille, ainsi que de véritables incitations pour favoriser une relation thérapeutique. Un gatekeeping aléatoire au cas par cas ne suffit pas. C’est ce que montrent toutes les études sur les économies de coûts et la qualité des traitements.
Laissons les patientes et patients décider du modèle qu’ils souhaitent choisir. Si nous souhaitons des primes qui récompensent un comportement raisonnable, il n’est pas nécessaire de changer de système, mais seulement de procéder à quelques interventions mini-invasives.
Les médecins de famille travaillant sérieusement au sein de réseaux contractuels ne souhaitent pas apparaître sur des listes low cost présentées au patient ou à la patiente comme modèle de médecin de famille. Ils doivent pouvoir se faire rayer de ces modèles de listes.
L’OFSP doit cesser de contrôler les primes des MAA. Les assurances doivent pouvoir fixer librement leurs primes.
Pour ce faire, ces deux petits changements à la loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal) et à l’ordonnance sur l’assurance-maladie (OAMal) suffisent. Mais même sans correction de ces deux erreurs du système, il y aura à l’avenir un pilotage vers des modèles pertinents. Les bons médecins de famille ne pourront plus accueillir que les personnes ayant le bon produit d’assurance.

Privilégier de véritables modèles

Pratiquement tous les cabinets de médecins de famille sont aujourd’hui surchargés et ne peuvent plus accepter de nouveaux patients. Dans les véritables modèles contractuels de médecin de famille, qui garantissent l’accès personnel au médecin, la tâche de suivi hautement qualifié et exigeant des malades chroniques continuera toutefois d’être assurée pour les nouveaux patients. Le fait que les malades chroniques choisiront de plus en plus le vrai modèle de médecin de famille et que les médecins de famille doivent de plus en plus coordonner leurs capacités à ces modèles de médecin de famille rendra beaucoup de choses superflues et donnera de l’élan aux soins coordonnés.

Éviter l’activisme inutile

Ne cédons pas à un nouvel activisme. Nous n’avons besoin ni de nouvelles directives, ni d’un changement de système. Cela ne fait que nous détourner de nos missions véritables. Introduisons enfin le financement uniforme (EFAS) et le TARDOC et cessons immédiatement de limiter l’installation des médecins de famille. Si les assurances souhaitent faire quelque chose pour faire progresser les soins de santé, elles doivent se concentrer sur des modèles pertinents et abandonner les modèles de réduction des primes qui sollicitent les soins coordonnés sans contribuer à leur financement. Les assurances peuvent déjà concevoir des modèles judicieux et beaucoup le font avec succès.

Un changement de système n’est pas indiqué

Avec sa proposition, santésuisse souhaite supprimer l’obligation de contracter et déclenche ainsi une avalanche de questions de procédures obscures qui conduiront à de longs contentieux juridiques. Il suffit de voir l’entêtement de santésuisse pour le nouveau remboursement de la psychothérapie non médicale. Nous avons supprimé depuis longtemps l’obligation de contracter dans le cadre des soins coordonnés par les médecins de famille avec contrat. Mais, dans ces modèles, ce sont les réseaux de médecins, et non les assureurs, qui décident qui sera sous contrat.
Nous n’avons donc pas besoin de changer de système. Et nous n’avons pas besoin de réglementation étatique des soins coordonnés comme le propose de manière grotesque le deuxième volet de mesures. Le Département fédéral de l’intérieur, et plus précisément l’OFSP, doit tout simplement oublier le volet de mesures. Les nombreuses tables rondes ne rendent pas le modèle meilleur et ne sont qu’une perte de temps. La coopération avec d’autres acteurs de la santé peut être réglée contractuellement dans les soins coordonnés par le médecin de famille. Aucune nouvelle loi ni directive n’est nécessaire.

Gatekeeping dans la santé

Le modèle d’assurance suisse prévoit actuellement le libre choix du médecin. Les assurés peuvent décider s’ils souhaitent être pris en charge par un médecin généraliste ou directement par un ou une spécialiste. Ils peuvent volontairement restreindre cette liberté de choix afin de bénéficier de primes réduites. Si la loi impose un modèle de médecin de premier recours, tous les assurés seraient tenus de s’adresser en premier lieu à un généraliste, à un réseau de médecins ou à une offre de télémédecine.
Felix Huber
Dr méd. président mediX suisse
Leander Muheim
Dr méd., vice-président mediX suisse
Robin Schmidt
Responsable Développement d’entreprise mediX zürich
1 www.tagesanzeiger.ch/die-freie-arztwahl-wird-zum-auslaufmodell-338284384701