«Je ne vois aucun intérêt à créer de nouveaux réseaux»

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Édition
2022/47
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.21232
Bull Med Suisses. 2022;103(47):12-15

Publié le 22.11.2022

Soins coordonnés Le Conseil fédéral veut imposer de nouvelles règles aux réseaux de soins coordonnés, avec un cadre qui met en danger les modèles existants. Présidente de l’Association suisse des réseaux de médecins, Anne Sybil Götschi explique dans la deuxième partie de notre série en trois articles sur ce sujet pourquoi ce concept ne présente selon elle aucun intérêt.
Dre méd. Anne Sybil Götschi est présidente de l’Association suisse des réseaux de médecins (medswiss.net) et membre de la direction de Medsolution AG, un partenaire de gestion pour les soins coordonnés.
© Nicolas Zonvi
Anne Sybil Götschi, un réseau de soins coordonnés tel que le prévoit le Conseil fédéral peut-il effectivement améliorer le système existant?
Je ne vois aucun intérêt à créer de nouveaux réseaux. Nous avons déjà un grand nombre de réseaux de soins coordonnés par des médecins de famille qui fonctionnent très bien depuis 25 ans. Il est prouvé que ces réseaux ont permis d’économiser entre 15% et 20% [1], tout en améliorant la qualité.
Pouvez-vous résumer les principales caractéristiques des réseaux tels qu’ils existent actuellement?
Les réseaux actuels ont des configurations variables suivant les réalités géographiques et locales. Ce n’est pas la même chose de rejoindre un réseau à Zurich ou dans une vallée latérale des Grisons. Mais la responsabilité médicale globale passe impérativement par l’action de coordination des médecins de famille, qui leur garantit d’être informés sur les problèmes médicaux et de conserver une vue d’ensemble du dossier. Quand c’est nécessaire, ils orientent vers des spécialistes ou des cliniques sélectionnés, qui les tiennent informés. Toutes les informations convergent donc vers le cabinet du médecin de famille.
Ce type de réseaux est-il répandu en Suisse aujourd’hui?
En fait, il y en a partout en Suisse, avec seulement de rares zones non couvertes sur la carte. L’important est que l’on puisse avoir accès à un réseau de médecins sur tout le territoire suisse.
Comment sont organisés ces réseaux à ce jour?
Les médecins se sont regroupés d’eux-mêmes en réseaux partiellement concurrents, qui signent des conventions avec les assurances. Certaines assurances ont tissé avec des réseaux des partenariats durables, permettant une évolution conjointe. Ce travail de construction est parti de la base. Tout ce qui a été mis en place jusqu’ici, y compris la coopération interprofessionnelle, a toujours été adapté aux nouveaux besoins et la coopération fonctionne bien.
Qu’est-ce qui est important pour la poursuite du développement des réseaux existants?
Nous pensons que la coordination assurée par les médecins de famille apporte une plus-value. Les réseaux existants s’efforcent donc d’améliorer en permanence la qualité des soins et essaient d’alléger la charge de travail quotidienne en ayant recours à la numérisation. Mais les assurances doivent elles aussi essayer d’éviter les modèles d’économie de primes qui ne prévoient aucune relation contractuelle avec les prestataires.
La Confédération prévoit une solution directive, selon Anne Sibyl Götschi.
© Nicolas Zonvi
Selon vous, qu’est-ce qui fait le succès des réseaux?
Le succès des réseaux de médecins est basé sur les relations entre les trois groupes d’intérêts: le patient ou la patiente est totalement libre de choisir un autre modèle d’assurance, qui permet de faire des économies sur les primes, et de consulter ou non au sein d’un réseau de soins coordonnés; le médecin peut choisir de rejoindre un réseau ou non; le réseau de médecins est libre de signer ou non des conventions avec les assurances-maladie, qui à leur tour sont libres de s’engager ou pas dans des conventions, et de sélectionner les réseaux. Il n’y a aucune obligation de signer une convention. Chaque groupe d’intérêts impliqué a la possibilité d’exercer une influence. Cela permet un accord beaucoup plus personnalisé. Cette liberté a été très bénéfique. Or le nouveau modèle la restreindrait énormément.
Qu’est-ce qui différencie les réseaux de soins coordonnés prévus par le Conseil fédéral et les réseaux de médecins existants?
Le deuxième volet de mesures prévu par la Confédération est une solution directive. Dans la présentation actuelle que nous avons des réseaux envisagés, les cantons déterminent la configuration de la coopération et quels prestataires y prennent part. Les conventions ne seraient donc plus passées entre les partenaires contractuels, à savoir les médecins et les assurances, mais seraient régies par l’État. Cela va dans le sens d’un modèle unique.
Dans le système actuel, les patients et les patientes peuvent choisir parmi plusieurs réseaux. Avec les réseaux de soins coordonnés, il n’est pas clair comment les patients sauront qui est la personne référente. Cela suscite de nombreuses questions. L’OFSP expliquera-t-il à l’avance aux patients et aux patientes quelles options sont disponibles? Ou l’assurance s’en chargera-t-elle? Le patient ou la patiente sera-t-il alors affilié à plusieurs réseaux? Sera-t-il soigné par son médecin de famille dans certains cas et au sein du réseau dans d’autres? Pour l’instant, les nombreux réseaux différents sont comme des îles reliées entre elles par des ponts. Les réseaux coordonnés seront comme d’immenses îles, mais sans ponts pour les relier.
Le mandat de prestations cantonal d’un réseau définira «les prestations de soins à fournir ainsi que le champ d’application temporel et territorial» [2]. Pouvez-vous expliquer comment il faut se représenter concrètement un tel réseau de soins coordonnés et quels prestataires seront intégrés ?
Nous n’avons encore aucune information là-dessus. Pour l’instant, nous ne savons pas du tout quels prestataires coopéreront au sein des réseaux créés par les cantons. Nous ne savons pas non plus quels mandats de prestations émaneront des cantons.
L’expérience des réseaux existants a-t-elle été prise en compte dans les réseaux de soins coordonnés prévus?
L’expertise de medswiss.net n’a pas été sollicitée. À ma connaissance, les autres organisations de médecins, comme la mfe, l’Association des médecins de famille et de l’enfance Suisse, n’ont pas non plus été consultées. L’expérience de ces 25 dernières années aurait pu enrichir l’élaboration des réseaux de soins coordonnés du deuxième volet de mesures.
Pour vous, quelle est la plus grande difficulté à laquelle le corps médical devra faire face avec les réseaux de soins coordonnés proposés par le Conseil fédéral?
Le problème est que cette proposition peut tout à fait torpiller le système de réseaux existants, qui fonctionne très bien. Pour moi, ce nouveau concept n’apporte aucune valeur ajoutée. Nous craignons de plus un désastre administratif, car cet aspect n’est encore absolument pas abouti. À l’avenir, la facturation ne passera plus que par un seul numéro du registre des codes-créanciers (ndlr: RCC). Je n’arrive pas à imaginer comment cela peut fonctionner, ni comment les assurances vont pouvoir contrôler les factures. Et je ne vois pas quelles sont les économies à ce niveau.
Une part non négligeable de l’activité médicale est consacrée aux tâches administratives. Les réseaux de soins coordonnés ne permettraient-ils pas de réduire cette charge?
L’administratif consiste essentiellement à lire et à écrire des rapports. Même au sein d’un réseau, les médecins devront continuer d’assurer ces missions. Si un médecin travaille au sein d’un réseau de soins coordonnés, ce réseau devra facturer directement à l’assurance. Comme en Allemagne, où les médecins facturent via la Kassenärztliche Vereinigung (ndlr: association de médecins conventionnés). Ce système ne fonctionne pas bien, nous ne devons pas l’adopter.
La situation est également difficile quand on exerce comme médecin de famille, à la fois de façon indépendante et au sein d’un réseau, ce qui sera possible. Pour chaque patient et patiente, il faudra alors indiquer si la facture doit être envoyée au réseau ou directement à l’assurance. Cela ne réduit pas vraiment la charge administrative.
Pour vous, quelles sont les limites d’un système de réseaux de soins coordonnés qui prendrait en charge tous les soins médicaux?
Une contrainte générale imposée aux patients et aux patientes, au corps médical et aux assurances. Cela va à l’encontre de la tradition suisse. C’est probablement la raison pour laquelle le projet 2012 de Managed Care a été rejeté dans tous les cantons avec presque 69% des voix [3]. Nous l’avons constaté, le paysage du Managed Care s’est tout de même développé. Mais les citoyens et citoyennes suisses ont conservé la liberté de décider comment ils voulaient organiser leurs soins médicaux.
Y aurait-il d’autres possibilités de promouvoir les réseaux de médecins?
On pourrait promouvoir les soins coordonnés sans passer par la législation. Cela ne nécessiterait que des révisions minimales, sans avoir à créer un nouveau volet de mesures pour maîtriser les coûts.
Quelles pourraient être ces révisions?
Le financement uniforme des prestations ambulatoires et stationnaires (ndlr: EFAS) est très important pour imposer des économies de coûts dans le système de santé. Si les cantons participent aux frais de santé ambulatoires avec les assurances-maladie, cela permettra de rendre l’ensemble des soins ambulatoires moins chers et plus attractifs.
Et on pourrait faire évoluer ce nouveau tarif dans le cadre du TARDOC. Mais il prévoit déjà la possibilité d’une facturation interprofessionnelle des traitements. Une libéralisation du calcul des primes dans les modèles d’assurance alternatifs serait également très utile. Enfin, il serait salutaire qu’un médecin puisse se retirer des modèles de listes des caisses-maladie.
Pouvez-vous citer un exemple?
Dans le cadre du Chronic Care, les prestations coordonnées peuvent désormais être facturées avec le système TARDOC. Les coordinateurs et coordinatrices en médecine ambulatoire ayant reçu une formation spécialisée dans le suivi des maladies chroniques déchargent les médecins de famille en proposant des formations et des mesures de prévention. Le médecin reste responsable du traitement. Sur cet aspect, le TARMED ne couvre plus assez les besoins, il est donc important d’introduire rapidement le TARDOC.
Aujourd’hui, vous ne pouvez donc pas approuver le deuxième volet de mesures visant à maîtriser les coûts?
Ma décision est de ne pas approuver le deuxième volet de mesures en l’état. Le paragraphe sur les réseaux de soins coordonnés, notamment, n’est pas assez concret. C’est pourquoi je voterai contre. Les principaux points de ce passage sont tellement peu clairs que même le Parlement ne peut pas savoir vraiment sur quoi il tranche.
Mais ce n’est pas seulement pour ça que je voterai contre. Nous pensons qu’une intervention étatique aussi importante n’est pas judicieuse. Des parties du premier volet de mesures viennent d’être mises en place. On pourrait d’abord attendre les réactions que cela génère avant d’intervenir de nouveau dans l’organisation du système de santé.

Le contexte

Des réseaux de soins coordonnés doivent être créés dans le cadre du deuxième volet de mesures visant à maîtriser les coûts, en lien avec l’assurance obligatoire des soins. Ces réseaux doivent regrouper différents prestataires de soins médicaux au sein d’un centre de coordination. Les mandats de prestations doivent être définis par les cantons. Existant depuis déjà 25 ans, ce type de réseaux sont regroupés au sein de l’Association suisse des réseaux de médecins medswiss.net.
1 Édité par l’OFSP – Experten-/Forschungsberichte zur Kranken- und Unfallversicherung. Managed Care-Modelle. Bestandesaufnahme 2004. 2005. À consulter sur: https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/das-bag/publikationen/forschungsberichte/forschungsberichte-kranken-unfallversicherung.html
2 OFSP – Message concernant la modification de la loi fédérale sur l’assurance-maladie (Mesures visant à freiner la hausse des coûts, 2e volet) [Internet]. [Consulté le 28 octobre 2022]. À consulter sur: https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/versicherungen/krankenversicherung/krankenversicherung-revisionsprojekte/kvg-aenderung-massnahmen-zur-kostendaempfung-paket-2.html
3 Chancellerie fédérale. Modification de la loi fédérale sur l’assurance-maladie (Réseaux de soins). Résultats officiels provisoires (17.06.2012) [Internet]. [Consulté le 28 octobre 2022]. À consulter sur: http://www.admin.ch/ch/f/pore/va/20120617/index.html