«Je ne pensais pas voir cela de mon vivant»

Interview
Édition
2022/45
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.21179
Bull Med Suisses. 2022;103(45):12-14

Publié le 09.11.2022

Journée du diabètePancréas artificiel, greffe de cellules capables de produire de l’insuline: le traitement du diabète a connu des évolutions majeures ces dix dernières années. Tour d’horizon avec Anne Wojtusciszyn, médecin adjointe au service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme du CHUV, en vue de la journée mondiale du diabète le 14 novembre.
Anne Wojtusciszyn, le diabète est-il une maladie répandue?
Il faut tout d’abord distinguer le diabète de type 1 et de type 2, car il s’agit de deux maladies différentes. Le premier est une affection auto-immune entraînant une carence en insuline, qui peut se déclarer dès l’enfance. Il concerne moins de 1% de la population. Le second apparaît en cours de vie et est lié au surpoids. Il touche 5 à 6% de la population, jusqu’à 10% dans certains groupes ethniques, et est en pleine expansion partout dans le monde.
Anne Wojtusciszyn est professeure associée à l’Université de Lausanne, médecin adjointe au Service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).
© Valentin Flauraud
Quelles en sont les causes?
Dans le cas du diabète de type 2, l’augmentation du nombre de cas est due à l’épidémie d’obésité, à la malbouffe et à la sédentarité croissante de la population. Les gènes qui nous ont permis de survivre, en tant que race humaine, lorsque la nourriture était moins abondante, en aidant nos cellules à la stocker, sont aujourd’hui dépassés car nous avons constamment accès à des aliments. Pour ce qui est du type 1, les causes sont plus obscures. Les globules blancs, mal éduqués, ne sauraient plus reconnaître ce qui constitue réellement un corps étranger et se mettraient à attaquer les cellules bêta, responsables de la production d’insuline. Un lien avec l’entérovirus est parfois évoqué. Notre système immunitaire se tromperait de cible, détruisant nos cellules bêta en pensant lutter contre un virus.
Y a-t-il eu des évolutions récentes en matière de traitement?
Depuis une quinzaine d’années, les médicaments destinés à traiter les patients avec un diabète de type 2 ont vécu une véritable révolution. Cela a commencé avec les agonistes au récepteur du GLP-1, une classe de médicaments qui permet de promouvoir la sécrétion d’insuline lorsque le patient en a besoin, tout en augmentant son sentiment de satiété, en maintenant les aliments dans son estomac plus longtemps et en agissant sur la partie du cerveau qui régule la sensation de la faim. Cela permet d’obtenir un meilleur contrôle des pics de glycémie mais aussi une perte de poids importante. On a ensuite vu apparaître les inhibiteurs du SGLT-2, qui permettent au corps de se défaire du surplus de glucose en l’éliminant par l’urine. Ces molécules protègent simultanément le cœur, minimisant le risque de maladies cardio-vasculaires.
Quelles sont les toutes dernières innovations thérapeutiques?
Plus récemment, les co-agonistes GLP-1 et GIP ont encore accru l’efficacité de la prise en charge, car le cumul de ces deux hormones favorise la sécrétion d’insuline et décuple leur potentialité. Cet effet est plus marqué encore dans le cas des triples agonistes du GLP-1, du GIP et du glucagon, la toute dernière génération de médicaments contre le diabète de type 2, encore à l’essai. Pour la première fois, avec ces nouveaux médicaments, on vise une rémission du diabète sous traitement, avec une quasi normalisation des valeurs de glycémie.
Y a-t-il aussi eu des progrès au niveau des méthodes d’administration?
La plupart de ces traitements contre le diabète de type 2 nécessitent la prise de pilules, oralement, une ou deux fois par jour. Mais les agonistes du GLP-1, ainsi que les futurs co-agonistes GLP-1-GIP, peuvent être administrés sous la forme d’une unique piqûre hebdomadaire, ce qui est nettement moins contraignant pour le patient. Cela peut sensiblement améliorer son adhésion au traitement et donc les résultats obtenus grâce à ce dernier.
Qu’en est-il de la prise en charge du diabète de type 1?
Il s’agit d’une maladie extrêmement complexe, car on doit remplacer l’insuline qui fait défaut à chaque fois que le patient consomme un aliment contenant du sucre. La prise en charge est particulièrement difficile chez l’enfant. Les parents doivent souvent rester vigilants 24 heures sur 24. Certains racontent qu’ils n’en dorment plus la nuit, car ils craignent que leur enfant ne se retrouve en situation d’hypoglycémie durant son sommeil, en cas d’excès d’insuline. Le diabète de type 1 peut empêcher toute spontanéité au quotidien et impacte énormément la qualité de vie des personnes qui en souffrent.
De nombreux diabétiques sont désormais équipés de capteurs de glycémie en continu. Pouvez-vous détailler cette avancée?
Ces appareils, apparus sur le marché il y a environ cinq ans, ont révolutionné le quotidien des diabétiques. Auparavant, le patient devait se piquer le doigt six à sept fois par jour, avant et après chaque repas, avant le coucher, pour mesurer son taux de glycémie et adapter ses doses d’insuline. Cela peut être douloureux, surtout avec la répétition du geste. Les capteurs de glycémie en continu se posent sur le bras, la jambe ou le ventre, une procédure rapide et sans douleur, et se gardent durant 10 à 14 jours. Les modèles les plus récents ne sont pas plus grands qu’une pièce de dix centimes. Des capteurs qui se placent sous la peau et qui ont une durée de vie d’un an existent également. Ils ne sont pas encore très répandus, mais plus la miniaturisation de ces appareils progresse et plus il deviendra acceptable de se les faire implanter.
Cela améliore-t-il aussi la prise en charge de la maladie?
Oui. L’avantage principal de ces capteurs est de fournir une information en continu, la plupart du temps via une application mobile. On connaît le taux de glycémie du patient en tout temps, même durant la nuit, de façon instantanée ou rétrospective, ce qui permet de dresser une courbe précise de sa glycémie et d’adapter la quantité d’insuline en fonction des besoins effectifs en temps réel. En cas de montée ou de baisse trop rapide du taux de glycémie, une alerte peut se déclencher sur le téléphone. On estime que 80 à 90% des patients souffrant d’un diabète de type 1 sont aujourd’hui équipés de l’un de ces appareils.
On entend aussi beaucoup parler du «pancréas artificiel». De quoi s’agit-il?
Depuis environ trois ans, on peut relier son capteur de glycémie à une pompe à insuline. Un algorithme calcule la dose d’insuline à administrer en fonction de la glycémie captée en temps réél. Le patient doit tout de même encore indiquer ce qu’il mange. On parle alors d’un système de boucle fermée hybride. L’étape suivante, qui devrait survenir dans un avenir très proche, permettra de se passer entièrement de l’intervention du patient. On aura alors affaire à une boucle fermée complète, sans indication des repas. L’efficacité de ces systèmes est époustouflante. J’ai été très émue de voir des courbes de glycémie normales chez des patients qui souffraient du diabète de type 1 depuis plus de 30 ans. Je ne pensais pas voir cela de mon vivant.
«Les capteurs de glycémie en continu ont révolutionné le quotidien des diabétiques», affirme Anne Wojtusciszyn.
© Valentin Flauraud
Si l’on se projette dans le futur, quelles sont les thérapies d’avenir les plus prometteuses?
Le groupe pharmaceutique américain Vertex a annoncé plus tôt cette année qu’il avait procédé à l’injection de cellules souches transformées en cellules bêta sur deux patients souffrant d’un diabète de type 1. Les résultats sont spectaculaires: le premier patient a pu cesser ses injections d’insuline et le second a pu diminuer ses doses d’insuline de façon significative. Seul revers, ces deux patients devront prendre un traitement immunosuppresseur afin d’éviter le rejet de ces cellules greffées.
N’avait-on jamais tenté d’injecter des cellules bêta à un patient auparavant?
Les patients souffrant d’un diabète complexe ou instable peuvent se faire greffer des îlots de Langerhans, voire un pancréas provenant d'un donneur décédé. Mais cela pose de nombreux défis. Il y a de longues listes d’attente, car ces donneurs sont rares, des problèmes de compatibilité existent et la procédure doit être effectuée dans l’urgence. La grande nouveauté ici est d’être parvenu à produire ces cellules en laboratoire, à partir de cellules souches. Cela signifie qu’on peut en générer une quantité infinie et donc en faire bénéficier un nombre beaucoup plus important de patients. Il s’agit d’un véritable changement de paradigme.
À terme, peut-on imaginer utiliser les propres cellules du patient?
Oui. On a déjà démontré qu’il était possible de générer des cellules souches à partir des cellules somatiques, par exemple celles de la peau, d’une personne adulte, puis de les redifférencier en cellules bêta. Si ce procédé se généralise, le patient n’aura plus besoin de prendre un traitement immunosuppresseur à vie, car il n’y aura plus de risque de rejet.
En attendant l’avènement de ces thérapies du futur, que peut faire le corps médical pour prévenir l’apparition du diabète?
La lutte contre le diabète passe par la lutte contre l’obésité. Les médecins de famille et les pédiatres peuvent, dès les premières années de vie d’un enfant, faire passer un message de prévention aux parents en soulignant l’importance d’une alimentation équilibrée. Il s’agit de leur expliquer que les sucres rapides sont à minimiser au profit des sucres lents et des fibres. Il y a des mesures très simples à prendre, comme commencer son repas par des crudités, ce qui apporte des fibres et contribue à la sensation de satiété. Il est aussi important d’effectuer au moins 45 minutes d’exercice trois fois par semaine. Les écoles s’efforcent de promouvoir le sport et une alimentation équilibrée, notamment à la cantine, mais de nombreux points noirs subsistent. Les enfants ont encore trop souvent accès à des boissons sucrées et à des sucreries sans aucune valeur nutritive vendues dans des automates.

Un demi-milliard de diabétiques

Sur le plan mondial, 537 millions d’adultes souffrent du diabète, une maladie qui a fait 6,7 millions de morts en 2021, selon les chiffres de l’International diabetes Foundation. En Europe, ce chiffre d’élève à 61 millions. Les pays les plus touchés sont la Turquie, l’Espagne, Andorre, le Portugal et la Serbie, avec un taux de prévalence oscillant entre 9,1% et 14,5%. La Suisse, qui compte 389 000 diabétiques parmi sa population adulte, se trouve en milieu de peloton, avec un taux de prévalence de 6%. Le pays compte en outre 2092 diabétiques âgés de moins de 20 ans. La maladie y a provoqué 7644 décès en 2021.