Miser sur la qualité plutôt que sur la quantité – partie 2

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Édition
2022/37
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.21025
Bull Med Suisses. 2022;103(37):26-28

Affiliations
a Dre phil., collaboratrice scientifique de la présidente, b Dre méd., présidente de la FMH

Publié le 13.09.2022

Freiner les coûts Actuellement, plusieurs projets de politique de santé promettent d’économiser de l’argent en évitant des prestations superflues. Or ce n’est pas la gestion quantitative prévue au niveau politique qui permettra de les éviter. C’est pourquoi le corps médical mise depuis longtemps sur des mesures de qualité garantissant une prise en charge médicale appropriée pour chaque patient.
© Jon Anders Wiken / Dreamstime
Du point de vue médical, la question des prestations superflues est en premier lieu une question de qualité – et les questions qualitatives ne se résolvent pas au moyen d’un levier quantitatif mis en place au niveau politique [1]. Pour être efficaces, les mesures contre les prestations superflues doivent être adaptées et spécifiques et, avant tout, respecter l’individualité des patientes et des patients. Le corps médical se consacre depuis des années déjà à la qualité de l’indication, c’est-à-dire à l’adéquation et à la nécessité des interventions médicales [2-4]. Par conséquent, le thème de la surconsommation, à savoir éviter les «soins qui ne sont d’aucune utilité pour le patient ou dont les risques dépassent le bénéfice potentiel» [5], joue également un rôle central dans les activités de qualité des médecins. Les différentes approches suivies par le corps médical pour honorer cet engagement sont exposées dans le présent article, à savoir (A) renforcer les compétences des patients, (B) renforcer celles des médecins et (C) offrir de bonnes conditions cadres à la prise en charge médicale; ce trois axes sur lesquels agir pour soutenir la diminution du nombre de prestations superflues. Toutes ces approches ont en commun de mettre au centre le bénéfice pour les patients et de s’attaquer de manière ciblée aux causes de la surconsommation de soins.

A: Renforcer les patients

Une approche importante pour éviter la surconsommation de soins est de renforcer la capacité de décision des patientes et des patients. Beaucoup de personnes pensent qu’un bon traitement est fait de prestations médicales nombreuses et nouvelles, et n’ont pas la patience d’attendre l’évolution de la maladie [6]. Selon l’avis de 59% des médecins de premier recours, les exigences des patients constituent un obstacle à la réduction des prestations superflues [7]. C’est un point auquel se consacrent différentes activités du corps médical. La FMH soutient notamment l’approche de la décision partagée, une méthode participative visant à inclure les patients dans la prise de décision [8], qui peut par exemple soutenir les décisions en faveur de traitements conservateurs ou contre la prescription d’antibiotiques [9]. Pour ce faire, un préalable important est de disposer d’un temps suffisant pour les entretiens. Le fait que celui-ci soit malheureusement souvent trop court est actuellement considéré par 31% des médecins de premier recours comme un obstacle important à la réduction des prestations superflues [7]. La documentation et le matériel d’information destinés aux patients peuvent également aider à la prise de décisio car ils abordent les questions de diagnostic et de traitement mais aussi la possibilité de renoncer (dans un premier temps) à des mesures médicales. C’est un domaine dans lequel la FMH s’engage activement pour développer des critères de qualité adaptés à ce type de documents informatifs [10]. Le travail de la FMH pour actualiser les directives anticipées [11] contribue également – en particulier pour la fin de vie – à une meilleure qualité des soins et à la diminution du nombre de prestations non souhaitées. De manière générale, dans un contexte élargi à l’ensemble de la population, la FMH soutient par son engagement en faveur de l’Alliance Compétences en Santé [12] non seulement les décisions visant à promouvoir la santé, mais aussi la sensibilisation à la notion d’efficacité dans l’utilisation des possibilités offertes par le système de santé.
Renforcer le point de vue des patientes et des patients est également une approche préconisée par la smarter medicine [13], l’initiative médicale la plus connue contre la surmédicalisation et les soins inappropriés. Grâce notamment à une liste de cinq questions destinées aux médecins ou à des infographies, l’initiative favorise les entretiens ciblés et le choix de la meilleure option pour chaque patiente ou patient. Depuis 2014, on assiste ainsi à une sensibilisation croissante au fait que moins c’est parfois plus, et ce message est diffusé depuis mai 2022 également dans le cadre d’une campagne nationale.

B: Renforcer les médecins

Si certaines des mesures évoquées plus haut visent à sensibiliser les patients, elles aident également le corps médical à éviter la surmédicalisation. La décision partagée ne renforce pas seulement la participation des patients à la prise de décision, elle permet aussi de réduire les suppositions erronées que peuvent avoir les médecins sur ce que leurs patientes et patients attendent d’eux [6]. Par ailleurs, la décision partagée fait obstacle à la médecine défensive, c’est-à-dire aux mesures que les médecins prennent uniquement pour se prémunir des risques de réclamations ou de plaintes ultérieures. Les compétences des médecins pour communiquer sur les risques et, en amont, pour interpréter les données statistiques revêtent également de l’importance dans les échanges avec les patients et doivent être abordées dans le cadre de formations postgraduées et continues spécifiques [5].
Compte tenu des nombreuses innovations en médecine, il est par ailleurs indispensable de réunir des preuves claires du bénéfice pour les patients afin de pouvoir éviter des prestations superflues. Pour ce faire, le corps médical plaide en faveur des registres médicaux qui constituent une base importante pour, entre autres, l’assurance qualité mais aussi la politique de santé [14,15]. La FMH soutient également expressément les évaluations des technologies de la santé, qu’elle considère comme un «outil d’évaluation efficace» pour examiner «quels traitements médicaux sont les plus appropriés et lesquels sont inutiles pour les patients» [16, 17]. Afin de mettre en évidence le bénéfice des mesures prises individuellement pour chaque patient, la FMH s’engage aussi pour la promotion de la mesure des résultats de santé rapportés par les patients [18,19].
Les activités du corps médical favorisent également la mise en œuvre au quotidien des preuves disponibles. Un instrument bien connu sont les quelque 20 listes établies par les sociétés de discipline médicale dans le cadre de la smarter medicine pour recenser les mesures qu’elles considèrent inutiles [20]. Les guides de pratique clinique, dont la FMH soutient l’application notamment par le biais de sa plateforme en ligne «Guides de pratique Suisse», constituent un autre instrument très important [21]. Les guides de pratique peuvent améliorer la qualité des traitements [22] mais aussi conduire à des processus plus efficaces, synonymes d’économies, par exemple par la diminution du nombre d’hospitalisations, d’opérations ou de prescriptions de médicaments [23].
Parfois, il peut être nécessaire de faire appel à une expertise plus large pour garantir une qualité élevée de l’indication. Dans ce cas, la FMH préconise le recours à des comités médicaux, dont la nécessité peut être évaluée au cas par cas par les médecins spécialistes concernés ou leurs sociétés de discipline médicale respectives. La demande d’un deuxième avis peut également être utile et c’est pourquoi cette éventualité est soutenue par les membres de la FMH conformément au Code de déontologie de la FMH (art. 16). Mais elle ne devrait jamais devenir une obligation légale, car cela mettrait les patients sous tutelle et générerait des coûts inutiles.

C: Instaurer de bonnes conditions

Si l’on veut renforcer la qualité de l’indication et réduire les prestations superflues, il faut renforcer – et non pas affaiblir – l’expertise médicale par rapport aux exigences économiques. Dans ce sens, la FMH demande par exemple depuis des années d’interdire les bonus ou d’exclure des listes hospitalières les hôpitaux qui offrent des bonus [24, 25]. Cela vaut aussi bien pour les bonus liés à des objectifs quantitatifs que pour ceux liés à des objectifs d’économie ou à des indicateurs de qualité, car toutes ces variantes peuvent avoir des effets négatifs sur la prise en charge médicale des patients [24]. D’autres dispositions, comme imposer des nombres minimaux de cas, peuvent également mettre la pression et inciter à des traitements superflus. Cela montre la responsabilité des politiques à œuvrer pour des structures allégées en mettant en place, par exemple, des régions hospitalières supracantonales: dans une structure inefficace, les médecins ne pourront jamais travailler efficacement, mais seront soumis à une pression toujours plus forte.
Le temps d’entretien avec les patients est souvent trop court, ce qui nuit aussi à la qualité.
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La FMH ne se contente pas d’exiger; elle collabore aussi très activement à l’élaboration de conditions cadres optimales pour favoriser une qualité élevée et éviter la surconsommation. Pour une bonne mise en œuvre des critères d’efficacité, d’adéquation et d’économicité, la FMH a par exemple négocié une nouvelle méthode de screening avec curafutura et santésuisse pour identifier les médecins «hors-norme», qui instaure une analyse ultérieure d’une éventuelle surmédicalisation [26]. Pour lutter contre les prestations inutiles grâce au dialogue avec les patients, et donc à un temps d’entretien suffisant, la FMH s’engage contre les limitations mises en place et, avec le nouveau tarif ambulatoire TARDOC, elle renforce la médecine du dialogue. La FMH a également contribué à renforcer la qualité et à lutter contre la surconsommation de soins en créant le label «responsible practice FMH» [27], qui vise à protéger les médecins salariés contre les conflits qui peuvent apparaître entre leur vision médicale de la qualité de l’indication et les idées d’optimisation économique de leurs employeurs. Grâce à ce label, les organisations de santé s’engagent à respecter expressément le Code de déontologie de la FMH même si elles ne sont pas dirigées par des membres de la FMH.

Conclusion: activités qualité ciblées

Cette longue liste non exhaustive d’activités visant à garantir la qualité de l’indication et à éviter les prestations superflues montre que seul un ensemble de mesures tenant compte de l’individualité de chacune et chacun face aux traitements peut relever ce défi. Se focaliser sur la qualité plutôt que sur la quantité permet de réduire la surconsommation sans provoquer pour autant une sous-consommation de soins, ce que ne parviendra pas à faire un pilotage des volumes fondé sur des estimations incertaines [1].
Or ces mesures ne sont pas non plus un remède miracle. Elles doivent lier prudence et expertise. Précisément pour la qualité de l’indication, qui reste une notion difficile à évaluer, il faut peser le bénéfice potentiel par rapport aux coûts engendrés [4]. Un point dont devraient s’inspirer la Confédération pour ses activités qualité mais aussi les projets politiques en matière de qualité. Aujourd’hui déjà, 42% des médecins de premier recours en Suisse considèrent que le temps consacré à réunir les données cliniques ou les données sur la qualité des traitements à l’intention des services de l’État ou d’autres organisations (p. ex. les caisses-maladie) est un problème important [7]. La Suisse se situe ainsi juste derrière l’Allemagne (44%) et affiche une nette augmentation depuis 2015, lorsque ce taux n’atteignait que 33% des médecins de premier recours [7]. La qualité en médecine ne signifie pas que la Berne fédérale exige toujours plus d’informations et «construi[se] un monstre bureaucratique inapte» à partir de projets «bien intentionnés» [17]. Lors de la révision de l’article 58 LAMal visant à renforcer la qualité et l’économicité, le législateur a mis sur pied la Commission fédérale pour la qualité et surtout, il a imposé la documentation et le contrôle dans le quotidien des médecins, sans pour autant en clarifier le financement [28, 29]. Or avant même que ces problèmes ne soient résolus et les conditions cadres établies pour financer les mesures supplémentaires de développement de la qualité, le Parlement débat déjà de nouveaux objectifs en matière de coûts et de qualité fixés par l’État et d’une commission pour le monitorage des coûts et de la qualité [7].
Le système parfait n’existe pas. Les chiffres d’une étude internationale [7] présentés dans la première partie de cet article montrent cependant que la Suisse se rapproche davantage du système idéal que les systèmes politiques actuels qui lui servent de modèles et présentent davantage de sur- et de sous-consommation, malgré le pilotage des volumes de prestations mis en place [1]. Les bons résultats de la Suisse sont peut-être aussi liés au fait que nous avons misé jusqu’à présent sur des mesures de qualité qui traitent les patients comme des individus et les placent au centre, et non sur des approches schématiques qui mettent tout le monde au même niveau en se basant, de surcroît, sur des estimations imprécises de l’efficacité. Dans ce sens, seules les activités qualité guidées par l’expertise médicale contribuent à une amélioration constante. La FMH continuera à s’engager dans ce sens.
1 Wille N, Gilli Y. Comment freiner les coûts sans impacter la prise en charge médicale? Miser sur la qualité plutôt que sur la quantité – partie 1. Bull Med Suisses. 2022;103(36):30-32; URL: bullmed.ch/article/doi/saez.2022.21010
2 Kraft E, Hersperger M, Herren D. Diagnostic et indication: des dimensions clés de la qualité. Bull Med Suisses. 2012;93(41):1485–1489; URL: https://bullmed.ch/article/doi/saez.2012.00985
3 Position de la FMH. Qualité du diagnostic et de l’indication: des dimensions de la qualité sous-estimées. Berne, octobre 2012; URL: www.fmh.ch/files/pdf17/9_2012_qualit_du_diagnostic_et_de_lindication.pdf
4 Steurer J. Indikationsqualität: leicht gesagt, schwer zu fassen. Bull Med Suisses. 2022;103(0102):36-40; URL: saez.ch/article/doi/saez.2022.20302
5 Position de la FMH. Réduire la surconsommation de prestations médicales, augmenter la qualité des soins. Berne, janvier 2016; URL: www.fmh.ch/files/pdf17/Die_Position_der_FMH_Overuse_F.pdf
6 Gerber M, Kraft E, Bosshard C. La surconsommation de prestations médicales: un problème de qualité. Bull Med Suisses. 2016;97(07):0; URL: bullmed.ch/article/doi/saez.2016.04424
7 Pahud, O. Ärztinnen und Ärzte in der Grundversorgung – Situation in der Schweiz und im internationalen Vergleich. Analyse des International Health Policy (IHP) Survey 2019 der amerikanischen Stiftung Commonwealth Funds im Auftrag des Bundesamtes für Gesundheit (BAG) Obsan Bericht 15/2019. Neuchâtel: Schweizerisches Gesundheitsobservatorium, 2019.
8 Position de la FMH. Décision partagée. Berne, décembre 2014; URL: www.fmh.ch/files/pdf17/12_2014_Dcision_partage.pdf
9 Gerber M, Kraft E, Bosshard C. Décision partagée – Médecin et patient décident ensemble. Bull Med Suisses. 2014;95(50):1883-1889; URL: bullmed.ch/article/doi/saez.2014.03149
10 Kraft E, Nadig J, Pfisterer J, Baumann-Hölzle R, Kalbermatten-Casarotti P, Gregorowius D, Huber H. Matériel d’information pour les patients: critères de qualité. Bull Med Suisses. 2019;100(20):676-679; URL: bullmed.ch/article/doi/saez.2019.17889
11 Siroka J. La bonne étoile et les directives anticipées. Bull Med Suisses. 2022;103(09):276 sowie www.fmh.ch/fr/prestations/droit/directives-anticipees.cfm
12 www.allianz-gesundheitskompetenz.ch/fr/l-alliance-competences-en-sante/valeurs-et-principes
13 Site internet de smarter medicine - Choosing Wisely Switzerland; URL: www.smartermedicine.ch/fr/page-daccueil.html
14 Position de la FMH. Les registres médicaux: un outil majeur d’assurance-qualité en médecine. Berne, août 2012; URL: www.fmh.ch/files/pdf17/8_2011_les_registres_mdicaux.pdf
15 Hostettler S, Hersperger M, Herren D. Registres médicaux: où se trouve la clé du succès? Bull Med Suisses. 2012;93(35):1251–1255; URL: bullmed.ch/article/doi/saez.2012.00698
16 Position de la FMH. Optimiser la qualité grâce aux HTA. Berne, mai 2011; URL: www.fmh.ch/files/pdf17/6_2011_Health_Technology_Assessments_fr.pdf
17 Huber F. Un activisme réformateur malgré des objectifs non atteints. L’OFSP ne devrait plus obtenir de compétences supplémentaires. Bull Med Suisses. 2022;103(06):174-175; URL: saez.ch/article/doi/saez.2022.20526
18 Hostettler S, Kraft E, Bosshard C. La mesure des résultats de santé rapportés par les patients. Bull Med Suisses. 2018;99(40):1348-1352; URL: bullmed.ch/article/doi/saez.2018.17187
19 Position du Comité central de la FMH. PROM pour des traitements incluant le point de vue du patient. Bull Med Suisses. 2018;99(40):1352-1353; URL: saez.ch/article/doi/saez.2018.17188
20 Création d’une nouvelle association de soutien. Large soutien pour la campagne smarter medicine. Bull Med Suisses. 2017;98(24):762; URL: bullmed.ch/article/doi/saez.2017.05741
21 Informations et lien vers la plateforme sur www.fmh.ch/fr/themes/qualite-asqm/guides-de-pratique.cfm
22 Position de la FMH. Recommandations pour la pratique (RPC): conditions et application. Berne, janvier, 2014; URL: www.fmh.ch/files/pdf17/11_2014_Recommandations_pour_la_pratique_clinique.pdf
23 Hostettler S, Kraft E, Bosshard C. RPC – identifier les critères de qualité. Bull Med Suisses. 2014;95(03):45-51; URL: bullmed.ch/article/doi/saez.2014.02165
24 Meyer B. Bonus – la position de la FMH. Bull Med Suisses. 2013;94: 51/52; 1935-1937; URL: bullmed.ch/article/doi/saez.2013.02176
25 Wille N, Glarner J, Schlup J. La FMH à propos de la maîtrise des coûts de santé. Bull Med Suisses. 2018;99(08):224-226; URL: bullmed.ch/article/doi/saez.2018.06480
26 Müller P, Kessler T. Echange d’expériences sur la nouvelle méthode de sélection. Bull Med Suisses. 2021;102(03):73-75; URL: bullmed.ch/article/doi/saez.2021.19520
27 Hohl F, Jenni N, Kraft E. Label «responsible practice FMH». Pour le respect du Code de déontologie. 2022;103(20):669–670; URL: bullmed.ch/article/doi/saez.2022.20794
28 Bosshard C. Changement des règles du jeu à la dernière minute. Bull Med Suisses. 2022;103(17):533; URL: bullmed.ch/article/doi/saez.2022.20740
29 Bosshard C. Qualité et prix. Bull Med Suisses. 2022;103(2728):885; URL: bullmed.ch/article/doi/saez.2022.20914