Les déclarations sur les primes d’assurance-maladie à l’épreuve des faits

Combien pèsent en moyenne les primes dans le budget des ménages?

FMH
Édition
2022/2930
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.20922
Bull Med Suisses. 2022;103(2930):929-931

Affiliations
a Dre phil., collaboratrice scientifique de la présidente; b Dre méd., présidente de la FMH

Publié le 20.07.2022

Le montant des primes de l’assurance-maladie est une question importante pour les ménages suisses et exige de trouver des solutions politiques pertinentes. Il est pour cela nécessaire d’avoir en main des chiffres actuels et fiables à ce sujet. Malheureusement, des chiffres trompeurs, voire erronés, sont régulièrement avancés. Nous allons donc passer à la loupe certaines de ces déclarations.
Depuis plusieurs années, nous sommes assaillis de statistiques sur le montant et l’évolution des primes de l’assurance-maladie, que ce soit en lisant la presse ou en suivant les débats politiques, et cela ne va pas aller en s’arrangeant: avec deux volets législatifs visant à maîtriser les coûts de la santé au Parlement et deux initiatives populaires portant sur la charge des primes, les chiffres relatifs au montant et à l’évolution des primes abondent en donnant un semblant d’objectivité.
Cependant, au vu de l’importance que revêtent ces chiffres pour la population et face aux prochaines décisions politiques significatives pour notre système de santé, il est opportun de porter un regard attentif sur ces chiffres. En effet, il n’est pas rare que des informations trompeuses, voire erronées, soient diffusées. Ce fut par exemple récemment le cas dans une information officielle émanant de la Confédération [1]. Il arrive aussi que des chiffres contestables soient avancés pour soutenir une argumentation au Parlement ou lors de débats publics d’une large portée.

Qu’est-ce que la prime standard et la prime moyenne, et pourquoi est-ce important?

La prime standard est payée par moins de 15% des assurés, à savoir ceux qui choisissent le modèle standard avec franchise ordinaire et couverture accident. La «prime moyenne», c’est-à-dire la charge moyenne effective des primes par personne, est plus parlante. La différence est importante, car la prime standard est nettement plus élevée que la prime moyenne réellement payée (486 francs au lieu de 373,80 francs pour les adultes en 2022) et a également augmenté de manière nettement plus importante. Des voix se sont déjà élevées pour critiquer le fait que ne prendre en compte que la prime standard était «à la limite de la désinformation» [19].

Déclarations ­alarmantes

«Le budget moyen des ménages est grevé de 14%»: voici l’exemple d’une déclaration faite fin mai au Parlement lors de la discussion sur les objectifs de coûts menée au Conseil national [2]. Personne n’a tenté de contredire cette statistique alors qu’en réalité les primes ne représentent que 7% du budget. Dans l’émission «Arena» sur SRF, il est question d’une charge encore plus importante: «Nous sommes maintenant au Parlement sur la bonne voie, nous sommes conscients que la charge est trop élevée (...) dans le canton de Berne, la charge des primes représente en moyenne – et les chiffres proviennent de l’Office fédéral de la santé publique – 18% du revenu disponible» [3]. Cette déclaration est également inexacte, la charge des primes dans le canton de Berne s’élève en réalité à 9%.
En fait, déceler que ces chiffres ne peuvent être exacts serait à la portée de toutes et tous, le calcul étant rapidement fait de tête lorsque l’on connaît le montant de ses primes. Si les valeurs de 14% et 18% étaient correctes, le budget moyen d’un ménage composé d’une personne devrait être environ 7 à 5 fois le montant de la prime moyenne. Celle-ci atteignant actuellement 373,80 francs [4] pour un adulte, le budget moyen d’un ménage devrait être de 2617 francs et le revenu disponible devrait même n’atteindre que 1869 francs, des montants bien trop bas lorsqu’on connait le salaire moyen suisse réel. Même en extrapolant à un ménage de plusieurs personnes, le compte n’y est pas non plus.

La charge est en réalité moitié moindre

A combien s’élève en réalité la charge des primes? D’après l’enquête sur le budget des ménages [5], un ménage suisse moyen disposait en 2019 d’un revenu mensuel brut de 9582 francs pour 2,1 personnes. Les dépenses mensuelles pour l’assurance de base s’élevaient à 670 francs, soit 7% de son revenu brut ou 9% du ­revenu disponible restant après déduction de tous les prélèvements obligatoires. Le revenu disponible désigne normalement le revenu brut du ménage auquel on a soustrait les prélèvements obligatoires tels que les impôts, les assurances sociales (y compris les primes de l’assurance obligatoire) et les transferts financiers vers d’autres ménages. Afin de pouvoir présenter le montant des primes AOS par rapport au revenu disponible sans le prendre en compte deux fois, les primes ne sont toutefois pas déduites au préalable du revenu brut. Dans le canton de Berne, selon les dernières données de l’enquête, les ménages ont également dépensé 7% de leur revenu brut ou 9% de leur revenu disponible pour les primes d’assurance-maladie, soit la moitié seulement de ce qui a été annoncé au public.

Rapports sur la réduction des primes

L’OFSP publie régulièrement des rapports sur la réduction des primes. Ceux-ci examinent la charge moyenne des primes de l’AOS pour sept ménages types de condition économique modeste. Par le passé, on supposait en outre que les ménages à faible revenu payaient la prime standard élevée. La charge calculée dans les rapports pour une sélection de ménages types à faible revenu qui choisissent la prime la plus chère a été présentée à plusieurs reprises, à tort, comme la charge moyenne de tous les ménages.

Les fausses déclarations ont la vie longue

Mais comment en arrive-t-on à ces fausses déclarations? L’affirmation d’une charge moyenne des primes de 14% peut être attribuée à l’avant-dernier rapport de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) sur la réduction des primes [6] et à une indication erronée à son sujet dans un communiqué de l’OFSP datant de 2018 [7]. A l’époque, l’OFSP avait annoncé qu’en 2017, «la charge financière moyenne pour l’assurance-maladie correspondait en 2017 à 14% du revenu disponible sur l’ensemble des ménages et des cantons», une information relayée par de nombreux médias. Seule la NZZ avait fait le calcul et constaté que cette donnée ne pouvait pas être exacte [8]. Interrogé par la NZZ, l’OFSP a ensuite rectifié le tir en précisant que ce chiffre ne concernait pas tous les ménages, mais uniquement les ménages à faible revenu. Mais même pour ceux-ci, l’OFSP a nettement surestimé la charge, selon l’analyse de la NZZ. Le rapport de l’OFSP partait en effet du principe que les ménages à faible revenu choisiraient une prime standard moyenne, sans opter pour une solution moins chère. Par exemple, l’OFSP a basé ses calculs sur une prime adulte de 480 francs pour le canton de Zurich, alors que la prime la moins chère proposée à l’époque était inférieure à 200 francs. La NZZ a calculé qu’une famille à faible revenu souhaitant maîtriser son budget, avec deux enfants, pouvait maintenir ses dépenses de primes à 7% – alors que le rapport de l’OFSP indiquait plus du double. L’information erronée selon laquelle le budget moyen des ménages serait grevé de 14% par les primes a été démentie en décembre 2018. Pourtant, cette statistique est régulièrement citée dans les discussions sur le poids des primes, bien que la réalité soit nettement plus positive avec 7% du revenu brut ou 9% du revenu disponible.

La fausse reproduction persiste

Comment en est-on arrivé à la conclusion erronée selon laquelle, dans le canton de Berne, on dépenserait en moyenne 18% du revenu disponible pour les primes alors qu’en réalité il ne s’agirait que de la moitié, soit 9%? Ironie du sort, cette donnée provient également du rapport de l’OFSP sur la réduction des primes – et ce, bien que des améliorations méthodologiques aient été apportées dans la dernière édition [9]. Le rapport ne se base plus sur le choix de la prime standard la plus chère par les ménages à faible revenu. Au contraire, il constate même explicitement que six des sept ménages types à bas revenus étudiés payaient effectivement une prime moyenne, un seul de ces ménages ayant choisi une prime «entre la prime moyenne et la prime standard» [9]. Désormais, le rapport présente la charge des primes en deux variantes: une fois sur la base de la prime standard et une fois sur la base de la prime moyenne.
Le chiffre de 18% mentionné dans le rapport de l’OFSP pour le canton de Berne n’est donc pas le chiffre avancé pour la moyenne de tous les ménages, mais uniquement pour les sept ménages types à faible revenu étudiés – et ne s’appliquerait à ces derniers que s’ils choisissaient la prime standard onéreuse. Cependant, comme le rapport indique que la grande majorité des ménages étudiés ne font pas ce choix, mais paient une prime de l’ordre de la prime moyenne, même les ménages à faible revenu du canton de Berne ne consacrent pas 18%, mais 11% de leur revenu disponible aux primes, comme le montre également le même rapport quelques pages plus loin.
La figure 1 montre, dans les cantons les plus peuplés, la part du revenu disponible que les ménages consacrent à l’assurance de base, pour l’ensemble des ménages et pour les ménages types à faible revenu des rapports de l’OFSP.
Figure 1: Dépenses moyennes pour les primes d’assurance-maladie en pourcentage du revenu disponible (a) de tous les ménages et (b) des ménages types à faible revenu [5, 9].

La charge absolue correspond à 8,2%

Outre les données sur la charge relative des primes d’assurance-maladie sur les ménages suisses, les chiffres sur la charge absolue pour les familles interpellent également: «15 000 francs par an, c’est le coût de l’assurance-maladie pour une famille de quatre personnes» [2] ont souligné plusieurs parlementaires lors des débats au Conseil national fin mai. Un autre parlementaire a même parlé d’une moyenne de 1500 francs par mois pour une famille de quatre personnes, ce qui correspond à 20% de son budget [2].
L’enquête sur le budget des ménages donne une tout autre image. Elle révèle que les couples avec deux enfants disposent d’un revenu mensuel brut moyen de 13 121 francs, dont 842 francs en moyenne sont dépensés pour l’assurance de base [10]. Leur prime annuelle moyenne s’élèverait donc à 10 104 francs, ce qui correspond à 6,4% du revenu brut du ménage ou à 8,2% du revenu disponible.
Les primes annuelles moyennes publiées par l’OFSP pour 2020 [11] montrent également des dépenses nettement moins élevées que celles entendues au Parlement. Les deux primes annuelles pour les enfants (1199 francs) et celles pour les adultes (4485 francs) ­additionnées donnent une prime annuelle totale ­­de 11 368­ francs pour une famille de quatre personnes. Mais comme les mères et les pères des ménages familiaux versent, du fait de leur âge, des primes inférieures à la moyenne des adultes, les coûts à la charge des familles devraient être légèrement inférieurs dans la réalité, comme le montre l’enquête sur le budget des ménages.
En revanche, la charge des primes est nettement plus élevée pour les 4% de ménages dans lesquels vit au moins un enfant jeune adulte. Comme leur prime annuelle moyenne s’élève à 3154 francs [11], les cotisations de tous les membres d’une famille de quatre personnes avec deux enfants âgés de 19 à 25 ans s’élèvent ­effectivement à 15 278 francs, soit l’ordre de grandeur mentionné par le Parlement. Il faut toutefois tenir compte du fait que, depuis 2019, les primes des jeunes adultes en formation issus de familles à revenu faible ou moyen doivent être réduites d’au moins 80%, respectivement de 50% [9]. Selon l’OFSP, 39% des enfants ainsi que 41% des jeunes adultes ont bénéficié en 2020 de réductions de primes couvrant respectivement 80% et 69% de la prime [9].

Objectiviser la discussion sur les primes

En comparant quelques déclarations sur le montant des primes avec des données publiques accessibles, nous avons montré combien le débat politique sur ce thème peut parfois être insuffisamment différencié et fortement exagéré. Avoir recours à des chiffres donne un semblant d’objectivité: l’auditoire les prend souvent pour argent comptant sans les soumettre à un examen critique. Les chiffres se prêtent donc également à l’instrumentalisation. Lorsque l’OFSP a avancé son chiffre de 14% en 2018, on a déjà supposé à l’époque que l’office fédéral exagérait sciemment la charge des primes afin de légitimer ses projets de maîtrise des coûts et fournir un soutien à l’initiative du PS sur les primes [8]. La NZZ a également laissé entendre une hypothèse similaire en juin 2022: le dernier rapport sur la réduction des primes montrerait que «les problèmes ne sont pas aussi importants qu’on le supposait jusqu’à présent.» Mais contrairement aux années précédentes, ce rapport a été publié par la Confédération «dans la plus grande discrétion» [12].
La charge représentée par les primes d’assurance-maladie pour les ménages est toutefois une question revêtant trop d’importance pour qu’elle soit étayée de chiffres trompeurs, erronés ou incomplets. De bonnes solutions politiques devraient pouvoir convaincre sans avoir recours à de fortes exagérations. L’exemple des ménages familiaux illustre justement la nature complexe du sujet: la charge des primes peut varier considérablement en fonction de l’âge des enfants et le système d’octroi des réductions de primes a également une grande influence. C’est pourquoi la FMH a déjà publié à plusieurs reprises des analyses sur les différences de charge exercées par les primes suivant les différents types de ménages [13, 14], les préoccupations liées aux primes [15], l’évolution des primes [16] et l’influence de notre système de financement [17]. Ces analyses montrent notamment que nous finançons une part de plus en plus importante de notre système de santé par le biais de primes par tête. Cela touche de manière disproportionnée non seulement les ménages à faible revenu, mais aussi les familles qui, par définition, n’ont pas le même nombre de salaires que de têtes. La réforme du financement uniforme EFAS, attendue depuis longtemps, soulagerait donc également la situation des ­familles [18].
Tout le monde peut ne pas partager ces conclusions politiques, tout comme les avis peuvent diverger sur quel niveau de primes serait encore acceptable et lequel ne le serait plus. Mais le montant des primes en lui-même n’est pas une question d’opinion. Lorsque nous parlons de chiffres, ceux-ci doivent être exacts. C’est le seul moyen d’aboutir à des solutions politiques adaptées à la situation.
Kenny Eliason / Unsplash
nora.wille[at]fmh.ch
 1 Birgit Voigt; NZZ Magazin, 16.04.2022, Künstliche Fieberkurve: Wie das BAG seine Prämien-Grafiken verzerrt. magazin.nzz.ch/nzz-am-sonntag/hintergrund/bag-dramatisiert-grafiken-zur-kosten­explosion-bei-den-praemien-ld.1679845
 2 Bulletin officiel, Conseil national, session d’été 2022, 31.05.22
 4 Communiqué de presse OFSP, 28.9.2021; Assurance-maladie: pour la première fois depuis 2008, la prime moyenne diminuera en 2022. www.bag.admin.ch/bag/fr/home/das-bag/aktuell/news/news-24-09-20191.html
 5 Enquête sur le budget des ménages, 2015–2017, 2018 et 2019; Données issues des tableaux T20.02.01.00.01 et T20.02.01.00.04.www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/situation-economique-­sociale-population/revenus-consommation-et-fortune/budget-des-menages.assetdetail.20024382.html
 6 Ecoplan, Wirksamkeit der Prämienverbilligung – Monitoring 2017, mandataire: Office fédéral de la santé publique (OFSP), Berne, ­décembre 2018. www.bag.admin.ch/dam/bag/de/dokumente/kuv-aufsicht/bakv/pramienverbilligung/praemienverbilligung-niveau6/monitoring-2018-schlussbericht1.pdf.download.pdf/monitoring-2018-schlussbericht.pdf (uniquement en allemand)
 7 Communiqué de presse OFSP, 06.12.2018 (corrigé le 14.12.2018). Réduction individuelle de primes: la contribution des cantons continue de baisser. www.bag.admin.ch/bag/fr/home/das-bag/aktuell/medienmitteilungen.msg-id-73255.html
 8 Hehli S. Prämienbelastung ist weniger hoch als behauptet. NZZ, 14.12.2018.
 9 Ecoplan, Wirksamkeit der Prämienverbilligung – Monitoring 2020, mandataire: Office fédéral de la santé publique (OFSP), Berne, mai 2022. www.bag.admin.ch/dam/bag/de/dokumente/kuv-aufsicht/bakv/pramienverbilligung/monitoring-2020-wirksamkeit-pv.pdf.download.pdf/monitoring-2020-wirksamkeit-pv.pdf (uniquement en allemand)
10 Enquête sur le budget des ménages, 2015–2017, Dépenses détaillées des ménages, couples avec enfants selon le nombre d’enfants, T20.02.01.02.43. www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/catalogues-banques-donnees/tableaux.assetdetail.20024439.html
11 Statistique de l’assurance-maladie obligatoire, tableau 3.07, primes moyennes de l’année 2020 par groupe d’âge. www.bag.admin.ch/bag/fr/home/zahlen-und-statistiken/statistiken-zur-krankenversicherung/statistik-der-obligatorischen-krankenversicherung.html
12 Fabian Schäfer; Plus 2,2 Milliarden für die Verbilligung der Krankenkassenprämien – ist das wirklich nötig? NZZ, 16.6.2022. www.nzz.ch/schweiz/plus-22-milliarden-fuer-die-verbilligung-der-krankenkassenpraemien-ausbau-des-sozialstaats-spaltet-die-fdp-ld.1689114
13 Wille N, Schlup J. Caisses-maladie: qui paie combien en Suisse? Bull Med Suisses. 2019;100(37):1212–5. bullmed.ch/article/doi/saez.2019.18160
14 Wille N, Schlup J. Que dépensons-nous pour les primes d’assurance-maladie? Bull Med Suisses ztg. 2020;101(36):1057–60. ­bullmed.ch/article/doi/saez.2020.19176
15 Wille N, Schlup J. Quid des préoccupations pour les primes en Suisse. Bull Med Suisses. 2020;101(39):1209–12. bullmed.ch/article/doi/saez.2020.19231
16 Wille N, Schlup J. Comment évolue la charge des primes pour les ménages? Bull Med Suisses. 2020;101(38):1174–80. bullmed.ch/article/doi/saez.2020.1920717 Wille N, Gilli Y. Les primes augmentent plus que les coûts. Bull Med Suisses. 2022;103(2122):702–4. bullmed.ch/article/doi/saez.2022.20811
18 Wille N, Gilli Y. La réforme la plus importante de notre système de santé. Bull Med Suisses. 2022;103(2930):929–31. bullmed.ch/article/doi/saez.2022.20923
19 Gyger P, Helsana – Rapport sur les primes, 20 années de primes: faits et chiffres, avril 2018.