Directives révisées

Collaboration des professions de la santé avec l’industrie

Weitere Organisationen und Institutionen
Édition
2022/35
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.20921
Bull Med Suisses. 2022;103(35):1091-1093

Publié le 30.08.2022

La collaboration des professions de la santé avec l’industrie est une pratique établie de longue date. Elle va dans l’intérêt d’une bonne prise en charge médicale et contribue au progrès de la médecine. Elle peut toutefois aussi mener à des conflits d’intérêts. L’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) a actualisé ses directives sur ce thème.
Lorsque les professions de la santé et les institutions de la santé collaborent avec l’industrie, des intérêts personnels et des conflits d’intérêts peuvent influencer la relation professionnelle. Les liens d’intérêt de certains acteurs du système de santé attirent régu­lièrement l’attention des médias, donnent lieu à des discussions publiques et à des interventions au sein du Parlement. La collaboration est réglementée au niveau national et international par des dispositions légales, des règles de déontologie et des codes de conduite. Les directives actualisées «Collaboration des professions de la santé avec l’industrie» s’adressent à un cercle de destinataires dépassant largement le corps médical et visent des changements à long terme en matière de transparence.

Concrétisation des dispositions légales

Dès 2002, l’ASSM a publié des «Recommandations pour la collaboration entre le corps médical et l’industrie» au sens d’un code de conduite destiné au corps médical. L’industrie pharmaceutique règle quant à elle cette collaboration dans le Code pharmaceutique, le Code de coopération pharmaceutique et le Code Medtech. Ces codes concrétisent et complètent les dispositions légales. Les recommandations de l’ASSM ont été révisées en 2005 et fin 2012 (en vigueur depuis le 1.1.2013); en 2005, elles sont devenues des directives. Divers développements, notamment l’Ordonnance sur l’intégrité et la transparence dans le domaine des produits thérapeutiques ­(OITPTh) entrée en vigueur début 2020, ont exigé une révision complète des directives de 2013.
Pendant deux ans, un groupe de travail (voir encadré) représentatif s’est consacré à la révision des directives. Celles-ci ont été soumises à une consultation publique du 29 novembre 2021 au 21 février 2022. Plus de 60 prises de position provenant de sociétés de discipline, d’associations médicales cantonales et d’autres organisations professionnelles sont parvenues au Secrétariat général; 58 d’entre elles ont globalement approuvé les directives. La plupart des réactions concernaient le chapitre sur la formation prégraduée, postgraduée et continue. La version finale, approuvée par les organes de l’ASSM, a été publiée fin août 2022.
Les directives actualisées ne s’adressent plus exclusivement au corps médical, mais également aux pharma­ciens, personnel soignant, sages-femmes et aux autres professions de la santé qui collaborent avec l’industrie pharmaceutique, l’industrie des technologies médicales et informatiques ainsi qu’avec des laboratoires médicaux commerciaux au sein du système de santé. Les principaux changements sont décrits ci-après.

Membres du groupe de travail

Prof. Dr méd. Daniel Scheidegger, Arlesheim, Vice-Président de l’ASSM (Président)
Dr méd. Werner Bauer, Küsnacht, formation médicale postgraduée et continue (ISFM)
Jörg Baumann, Bern, Swiss Medtech (jusqu’en février 2021)
PD Dr méd. Peter Berchtold, Bern, Organisation suisse des patients (OSP) (à partir de juin 2021)
Prof. Dr méd. Thierry Buclin, Lausanne, pharmacologie clinique
Prof. Dr méd. Sophie de Seigneux Matthey, Genève, néphrologie
Susanne Gedamke, M.A., Zürich, Organisation suisse des patients (OSP) (jusqu’en mai 2021)
Prof. Dr méd. Michele Genoni, Zürich, Chirurgie, FMCH
lic. iur. RA Jürg Granwehr, Zürich, scienceindustries
Katja Grünenfelder, Zürich, Swiss Medtech (à partir de mars 2021)
Prof. Dr méd. Dr phil. Paul Hoff, Zollikon, Président CCE
Dr méd. Christian Rohrmann, Oensingen, médecine de famille
lic. iur. Michelle Salathé, MAE, Basel, droit et éthique (soutien scientifique)
Dr phil. David Shaw, Basel, éthique
lic. iur. Stéphanie Studer Scherl, Genève, droit
Prof. Dr pharm. Ursula von Mandach, Zürich, pharmacologie périnatale, SAPP et SAPhW
Yvonne Willems Cavalli, MsC, Bellinzona, infirmière (SBK)

Orientation selon les principes d’action

D’un point de vue éthique, l’activité médicale doit toujours être axée sur le bien-être des patients et les intérêts de la société et non pas influencée par des intérêts personnels et des conflits d’intérêts. Comme dans les versions précédentes, les directives formulent des principes d’action en guise d’orientation (cf. chapitre ­3). Ces principes visent à identifier et à éviter les conflits d’intérêts et à les gérer de manière transparente et proactive:
– Principe de séparation,
– Principe de transparence,
– Principe de l’équivalence,
– Principe de surveillance mutuelle,
– Principe de documentation,
– Principe de séparation des comptes.
À ceux-ci s’ajoute le «principe de la perception exté­rieure» qui stipule que les activités doivent toujours être conçues de manière à ce que le public puisse en prendre connaissance à tout moment.

Le principe de la transparence controversé

Il convient de souligner en particulier le principe de transparence (chapitre 3.2.2.) auquel les versions précédentes accordaient déjà une importance majeure. L’exigence selon laquelle les prestations ou les avantages financiers doivent être déclarés et leurs montants rendus publics a suscité des réactions contrastées lors de la procédure de consultation. Toutefois, selon l’ASSM, la transparence est essentielle pour préserver la crédibilité des professions de la santé et la confiance qui leur est accordée. Dans ce domaine, d’autres pays sont déjà bien plus avancés que la Suisse. Ainsi, par exemple, le ministère français de la Santé et des Affaires sociales met à disposition une plateforme publique sur laquelle sont publiés les soutiens de l’industrie aux médecins : www.transparence.sante.gouv.fr.
Les voix critiques émises à ce sujet lors de la consultation ont exprimé la crainte que des informations sur des collaborations et des montants perçus par des médecins soient diffusées hors contexte ou de ma­nière incomplète dans les médias. L’ASSM est con­sciente de ce risque et souligne dans ses directives que de telles révélations doivent être nuancées et tenir compte des différentes formes de collaboration. Elle ne doivent pas mener à des accusations injustes de certaines professions ou institutions. Pour qu’une telle divulgation soit utile, un délai de transition sera nécessaire et des discussions devront être initiées entre les différents partenaires, le cas échéant accompagnées par l’ASSM. A notre avis, le large accès à l’ensemble de ces données ne peut que contribuer à la confiance de la population et à diminuer le risque de mises en cause individuelles sur la base – le plus souvent – d’informations partielles ou non validées.

Financement des formations

Contrairement à d’autres groupes professionnels, le personnel médical est habitué à ce que l’industrie finance sa formation continue. Les hôpitaux en tant qu’employeurs et les politiques se sont, eux aussi, habitués à cette dépendance qui s’est développée au fil du temps; ni les cantons ni les hôpitaux ne financent de manière structurée la formation continue des médecins qu’ils emploient – contrairement aux pratiques en vigueur dans le domaine des soins infirmiers et des autres professions de la santé. Le fait que le corps médical soit attaqué pour ses liens avec l’industrie est d’autant plus inquiétant en l’absence d’autres sources de financement possibles. Une solution durable ne peut donc être trouvée qu’avec un soutien politique.
L’ASSM est convaincue qu’à long terme, ces contributions de l’industrie instaurées au fil du temps, doivent être remplacées par de nouveaux modèles de financement. Cette exigence a suscité des réactions critiques lors de la procédure de consultation. Consciente que l’abandon du modèle de financement actuel ne peut être qu’un objectif à long terme, l’ASSM n’a pas formulé cette exigence comme faisant partie en soi des directives, mais elle l’a inscrite dans son préambule.
Comme les versions antérieures, les directives révisées contiennent des prescriptions nuancées pour la conception des formations prégraduée, postgraduée et continue. Les nouvelles directives émettent, en outre, des règles concernant les manifestations virtuelles (chapitre 4.3.4.) ainsi que la vente d’espaces publicitaires (virtuels) et la location d’emplacements de stands (chapitre 4.3.6.), mais également les formations aux produits et aux applications (chapitre 4.4.) Le soutien financier de programmes-cadres, même de moindre importance, n’est pas autorisé (chapitre 4.3.3.). Les directives précisent que les recettes issues de la vente d’espaces publicitaires et de la location d’emplacements de stands doivent figurer dans le budget des manifestations. Lors de la consultation, l’obligation de présenter sur demande le budget et les comptes à l’industrie qui soutient la manifestation et d’affecter les excédents à la formation postgraduée et continue n’a pas fait l’unanimité (chapitre 4.3.5.).
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Recherche et développement

Les versions antérieures des directives règlementaient différents aspects qui sont à présent couverts par la Loi relative à la recherche sur l’être humain. Les questions concernant les start-ups, les spin-offs et les contrats de licence n’avaient pas encore été abordées, elles sont traitées dans la nouvelle version. Les essais cliniques de nouveaux produits ou procédés médicaux par des médecins impliqués intellectuellement et/ou finan­cièrement sont un sujet délicat. Les directives n’excluent pas leur participation lors de l’élaboration des critères d’indication et de contre-indication. Il est toutefois exclu que ces personnes ou ces groupes participent à la pose de l’indication de l’utilisation d’un dispositif médical ou d’un procédé chez un patient individuel avant qu’il ne soit autorisé.

Prestations médicales

Le chapitre «Prestations médicales» des nouvelles directives décrit diverses activités qui s’étendent de l’achat, la prescription, la délivrance et l’utilisation de médicaments (chapitre 6.1.), l’utilisation d’échantillons de médicaments (chapitre 6.2.) ou de dispositifs médicaux de démonstration (chapitre 6.3.) jusqu’à la participation à des organes consultatifs et à l’élaboration de lignes directrices (chapitre 6.4.). Avant d’accepter une invitation à participer à un tel organe, il importe de clarifier la nécessité et le bien-fondé d’une activité de consultant. La participation à un organe de consultation à des fins exclusivement commerciales doit être refusée.
Pour conclure, il faut souligner que des directives ne peuvent jamais offrir des solutions applicables à tous les cas particuliers. Dans la pratique, elles doivent être appliquées et observées par toutes les personnes concernées dans le respect de leur esprit et en toute bonne foi.

L’essentiel en bref

• L’ASSM a actualisé les directives «Collaboration corps médical – industrie»; elles s’adressent dorénavant à un plus grand nombre de groupes professionnels du système de santé.
• Six principes d’action offrent une orientation et contribuent à identifier et éviter les conflits d’intérêts et à les gérer de manière transparente et proactive.
• Le principe de transparence a été particulièrement controversé pendant la procédure de consultation; sa mise en œuvre exige un délai de transition et des discussions avec les différents partenaires.
• A long terme, le financement de la formation continue des médecins par l’industrie doit être remplacé par de nouveaux modèles de financement qui devront également être soutenus par les politiques.
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