La médecine, une marchandise?

Zu guter Letzt
Édition
2022/2526
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.20845
Bull Med Suisses. 2022;103(2526):882

Affiliations
Prof. Dr rer. soc., rédacteur Culture, histoire et société

Publié le 22.06.2022

Lors d’un de mes voyages en train, je suis tombé sur une de ces revues médicales gratuites grand public avec moults conseils pour mener une vie plus saine et traiter cystites, douleurs articulaires et apnée du sommeil.
Quasiment chaque article avait pour visée de vendre un produit: granules contre les kilos en trop, appareil contre les ronflements ou cours pour se relier à la ­nature. Hormis l’annonce du produit y figuraient également des précisions sur les points de vente, voire un talon de commande. J’avoue être soulagé de ne pas ­devoir écrire d’articles vantant les mérites d’un produit de consommation.
Face à de tels produits médiatiques, d’aucuns peuvent penser qu’il s’agit d’une pure offensive marketing ou d’«attrape-nigauds» qui réduisent la médecine à une simple marchandise. Mais une fois la tisane emballée et mise en vente, elle devient un produit de consommation au même titre que l’hôpital universitaire qui fait sa publicité dans le tram ou le texte que vous êtes en train de lire. Cela me réjouit d’ailleurs que les honoraires perçus permettent de payer quelques jours de loyer.
La marchandisation est le processus par lequel un objet se conforme aux lois du marché et devient une marchandise, voire une marque. Mais ce n’est pas nouveau. Deux siècles avant la marque «Aspirine», Friedrich Hoffmann, professeur de médecine à Halle, développait son produit phare nommé par la suite «Gouttes de Hoffmann». Même la Clinique Mayo et l’Hôpital de la Charité sont devenus des marques.
La marchandisation s’accompagne souvent de plaintes selon lesquelles la médecine est de plus en plus influencée par l’économie ou, pour le dire en d’autres termes, devient une marchandise. Les valeurs telles que l’aide à autrui seraient sacrifiées sur l’autel du profit. L’exemple extrême étant le trafic d’organes.
L’idéalisation est le contraire de l’économisation: faire le bien, alléger les souffrances de l’humanité. C’est d’ailleurs aussi ce à quoi j’aspire dans mes textes, mais la question de l’idéalisme est plus complexe. Idéalisme et économie ne sont d’ailleurs pas totalement in­compatibles. Le sociologue Pierre Bourdieu et ses ­successeurs estiment (je me permets de le reformuler de manière un peu imagée) que de nombreux biens immatériels tels que l’honneur, la morale ou la confiance représentent des «capitaux» et que dans notre société, ceux-ci sont constamment échangés et monnayés comme dans un bureau de change. La réputation, par exemple, peut devenir un capital économique ou inversement. Mais ce principe ne s’applique pas qu’en médecine: quand j’écris, je le fais toujours de manière sérieuse en essayant de paraître érudit.
De plus, tout le monde ne partage pas toujours le même avis sur ce qui est juste, beau et bon et sur la manière de sauver l’humanité. Je me souviens d’un chirurgien esthétique qui concevait son travail exclusivement comme une offre répondant à une demande du marché. En le présentant ainsi, il évitait de devoir se justifier d’un point de vue éthique ou moral. Réfléchir selon la logique de marché permet aussi de se protéger ou d’élargir son horizon.
Or, en médecine, ce n’est pas aussi simple, comme dans la vie d’ailleurs. Vous aimeriez en savoir plus? Utilisez donc ce talon imaginaire pour commander mes réflexions et n’hésitez pas à choisir la grande boîte au meilleur prix ou, mieux encore, à vous ­abonner.
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