«En tant que gynécologue, j'en savais peu de l'allaitement»

Tribüne
Édition
2021/50
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2021.20376
Bull Med Suisses. 2021;102(50):1695-1697

Affiliations
Managing Editor du Bulletin des médecins suisses

Publié le 15.12.2021

Bernd Gerresheim est médecin-chef en obstétrique à l’Hôpital Bethesda de Bâle et consultant en lactation certifié. Il explique comment cette formation complémentaire a changé son regard sur son travail et l’importance de la collaboration interprofessionnelle dans son quotidien.

Portrait

Bernd Gerresheim est médecin-chef en obstétrique et en médecine prénatale à l’Hôpital Bethesda de Bâle depuis 2016. Il est également consultant en lactation IBCLC certifié.
Bernd Gerresheim, vous êtes médecin-chef en obstétrique et en médecine prénatale à l’Hôpital Bethesda de Bâle, mais aussi consultant en lactation certifié. Pourquoi avoir suivi cette formation complémentaire?
Avant d’arriver à Bâle il y a cinq ans environ, j’ai été médecin-chef dans une clinique en Allemagne pendant douze ans. Là-bas, beaucoup de femmes souhaitaient allaiter, mais elles étaient nombreuses à arrêter pendant leur séjour à l’hôpital ou peu après, parce que cela ne fonctionnait pas. J’ai voulu changer cela.
Pourquoi?
C’est en discutant avec des mères concernées que je me suis rendu compte que beaucoup d’entre elles culpabilisaient de ne pas pouvoir nourrir elles-mêmes leur enfant. Et nous ne pouvions pas toujours les aider à réaliser leur souhait. Je pensais d’abord qu’il suffirait d’ajuster une ou deux choses pour y parvenir.
Mais?
Je me suis aperçu que les infirmières en pédiatrie n’étaient pas vraiment prêtes à changer leur façon de faire. Elles avaient en outre une longueur d’avance sur moi en termes de connaissances: en tant que gynécologue avec une formation postgraduée en obstétrique spécialisée, je ne savais pas grand-chose de l’allaitement.
Comment les infirmières en pédiatrie qui ­s’occupaient des femmes et des enfants après l’accouchement expliquaient-elles le faible taux d’allaitement?
C’était en gros toujours la faute des autres. Selon elles, les femmes ne pouvaient plus allaiter par exemple parce qu’elles passaient leur temps sur leur smartphone. Je me suis dit qu’il y avait sûrement une autre raison. Pour obtenir du changement, j’ai vite compris que je devais d’abord acquérir davantage de compétences dans ce domaine.
Vous avez donc suivi une formation de consultant en lactation.
Je me suis tourné vers l’Institut Européen pour l’Allaitement Maternel et la Lactation, qui proposait aussi des cours pour les médecins. Le premier des deux cours étant toutefois déjà terminé, j’ai été autorisé à suivre le second. Pour arriver à mon compte d’heures, je devais ensuite assister à des cours pour sages-femmes et infirmières. Cet enseignement interprofessionnel a été particulièrement enrichissant, les sages-femmes et le personnel soignant ayant une toute autre vision sur la question de l’allaitement que les médecins.
En quoi cette formation a-t-elle changé votre travail au quotidien?
Avant, l’essentiel pour moi était que la mère et l’enfant rentrent à la maison en bonne santé après l’accouchement. Cela reste la chose la plus importante. Mais avant, tout ce qui allait au-delà de ça ne me passionnait pas vraiment. Maintenant, je sais que la construction du lien entre la mère et l’enfant est cruciale. Les quelques jours que les femmes passent chez nous ne sont évidemment pas la seule chance pour créer ce lien, mais nous pouvons poser des jalons. C’est extrêmement important, car les nouveau-nés qui bénéficient d’un tel lien commencent plus facilement dans la vie que les autres.
Votre formation complémentaire vous a-t-elle permis de changer les choses sur votre lieu de travail?
J’ai essayé de mettre en pratique mes nouvelles compétences sur mon ancien lieu de travail, mais cela s’est avéré difficile. J’ai ensuite entendu parler de l’Hôpital Bethesda, qui accordait une grande importance au lien entre la mère et l’enfant et où je pouvais mettre en pratique ce qui m’avait tant plu pendant ma formation de consultant en lactation.
Des consultantes en lactation certifiées travaillent désormais à l’Hôpital Bethesda. Elles aident à résoudre les problèmes d’allaitement et favorisent ainsi le lien entre la mère et l’enfant. Cela faisait-il partie des aspects que vous vouliez mettre en œuvre?
La professionnalisation du conseil en allaitement a été portée par toute l’équipe, pas que par moi. Nous avons depuis environ deux ans des consultantes en lactation qualifiées qui ne se consacrent qu’à cela. Elles assurent aussi un service de consultations externes, auprès duquel les femmes peuvent se renseigner par téléphone.
La maison de naissance gérée par des sages-femmes jouxte la maternité de l’Hôpital Bethesda. A condition que tout se passe bien, les femmes y accouchent sans médecin. Comment s’est passé cette collaboration pour vous?
C’était une expérience nouvelle pour moi, que j’ai eu du mal à imaginer au début. Mais je me suis lancé, peut-être grâce aux expériences faites pendant ma formation.
Qu’entendez-vous par là?
Depuis ma formation de consultant en lactation, j’ai ­réalisé que seule une collaboration sur un pied d’égalité était envisageable en obstétrique. Dans la pratique, cela signifie que les sages-femmes de la maison de ­naissance prennent quasiment seules en charge les femmes enceintes, qui ne viennent me voir que ponctuellement. Cet échange fonctionne très bien. Chaque professionnel impliqué souhaite contribuer au mieux à la réussite de la grossesse et permettre un accouchement le plus naturel possible.
Un bon conseil en allaitement vaut de l’or: le gynécologue et consultant en lactation le constate auprès de ses patientes, surtout celles qui ont de la difficulté à allaiter.
Quel est l’impact d’une telle approche inter­professionnelle sur l’ambiance de travail?
C’est extrêmement gratifiant de travailler dans un environnement où l’on se soutient et l’on s’apprécie mutuellement. Je reçois beaucoup de retours positifs et j’en fais volontiers aussi. Nos sages-femmes sont très compétentes, elles savent parfaitement identifier les problèmes et font appel à moi quand c’est nécessaire. La collaboration avec la maison de naissance influence aussi notre travail à l’hôpital. Nous envisageons de mettre en place une salle d’accouchement gérée par des sages-femmes, où il n’y aura aucun médecin pendant toute la durée de l’accouchement, sauf si cela s’avère nécessaire.
La collaboration interprofessionnelle est-elle forcément synonyme de plus de ressources humaines?
Il faut évidemment assez de sages-femmes. Si notre équipe a suffisamment de ressources, elle ne doit pas compter moins de sages-femmes. Les études ont cependant montré que la collaboration interprofessionnelle ne coûtait pas plus cher.
Pourquoi un tel effort interprofessionnel est-il davantage qu’un «simple plus» pour une maternité?
Cette collaboration «main dans la main» participe de manière essentielle à la qualité de l’obstétrique. Notre équipe interne a un taux de césariennes très bas, ­d’environ 22%. Il est encore plus bas à la maison de naissance. A mes yeux, c’est aussi un indicateur de ­qualité.
Dans quelle mesure votre profil interprofessionnel se manifeste-t-il dans votre travail? Vos patientes sont-elles conscientes que vous êtes un gynécologue avec une formation de consultant en lactation?
Les gynécologues font beaucoup d’échographies, envoient aux patientes des images 3D de leurs futurs enfants. On pourrait croire que ces gestes font de nous des médecins particulièrement appréciés. Mais je constate qu’un bon conseil en allaitement me permet de créer un lien bien plus fort avec mes patientes. Il m’est souvent arrivé que des mères m’écrivent par la suite pour me dire à quel point je les avais aidées dans une situation d’allaitement difficile. Ces femmes reviennent aussi très volontiers chez nous lors de leur grossesse suivante.

Série sur l’interprofessionnalité

La collaboration entre les spécialistes de différentes professions de la santé est considérée comme un levier important afin de relever les défis du système de santé. Où en est la Suisse dans ce domaine? Quels avantages apporte l’interprofessionnalité et quelles en sont les limites? Nous éclairons le sujet sous divers angles dans une série d’articles.
eva.mell[at]emh.ch