Une décision à partager

Zu guter Letzt
Édition
2021/36
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2021.20095
Bull Med Suisses. 2021;102(36):1184

Affiliations
Prof. Dr méd., membre de la rédaction

Publié le 08.09.2021

Un ami m’appelle, très ébranlé. Sa femme qui souffre d’un cancer avancé vient d’être hospitalisée. Accueil excellent, soins qualifiés, équipe inspirant confiance. «Mais, dis-moi, qu’ont-ils tous ces médecins à venir l’un après l’autre demander à ma femme de choisir le niveau de soins qu’elle souhaite? Cela l’angoisse terriblement.» A cet ami, j’explique qu’aujourd’hui les hôpitaux (et les médecins) s’engagent à informer les patients sur leur état de santé, à favoriser leurs directives anticipées, à respecter leurs choix. Que ces derniers doivent pouvoir être clairement transmis aux différentes équipes qui se relayent.
Cette explication, déjà souvent énoncée face à des réactions de surprise et parfois même de désarroi de patients ou de proches, je la connais par cœur. J’adhère à ses principes, non sans une réflexion sur son appli­cation. Au cours des quatre dernières décennies, la communication avec les patients a profondément changé, passant d’une position plutôt paternaliste à une généralisation des informations et des décisions thérapeutiques partagées, le shared decision-­making. Ce mouvement sociétal qui préconise de s’appuyer sur les «préférences informées» des personnes concernées et sur leurs valeurs, et non plus sur des décisions ex­clusivement médicales, a répondu aux demandes d’im­plication des patients dans leurs soins, résumées par le slogan nothing about me, without me, ever. Aujourd’hui, l’accès du patient à son dossier médical comme le partage des décisions semble une évidence ancrée dans l’éthique et la culture médicales de nos contrées. Cela s’est accompagné d’exigences médico-­légales croissan­tes concernant l’information au patient, l’exploration de ses choix et la documentation la concernant. Mais que dit la personne concernée?
La femme de mon ami n’est pas tranquille. Les médecins insistent trop à vouloir discuter de choix. Trop précipité pour elle. Elle se trouve dans un espace indéterminé: elle sait ce qu’elle a, sans vraiment le savoir. Comment le dire mieux? Au fond, sa connaissance de son état est intellectuelle, mais pas réellement vécue, ni acceptée émotionnellement. Une situation que nous rencontrons si souvent! Selon les interprétations, cet état porte les habits du déni ou ceux de l’espoir. Il s’accommode de l’indécision, bien moins angoissante qu’un choix. Ne pas décider, pas maintenant! «Ô temps, suspens ton vol», disait Lamartine. Difficile à accompagner pour ses médecins hospitaliers qui voudraient tant pouvoir définir «une attitude», difficile à vivre pour la patiente et ses proches qui espèrent «gagner du temps», en ne fixant pas l’évolution dans une «décision» – fut-elle partagée.
Répondre aux besoins et souhaits des patients, encadrés comme nous le sommes par diverses directives, est un enjeu complexe du partenariat médical contemporain. Une approche personnalisée est particulièrement essentielle, tant one size doesn’t fit all. L’abondante littérature sur la décision partagée montre que, si une majorité des patients souhaitent ce partage, d’autres se sentent dépassés par ce modèle médical. De ceux-ci, il faut aussi tenir compte.
Pour éviter que le bel idéal de la décision partagée ne tombe dans le piège d’une normativité formatée qui en altérerait regrettablement le but et les bénéfices [1], de grands experts du domaine rappellent que les aspects personnels, contextuels et humanistes ne doivent jamais être négligés [1, 2]. Il faut tenir compte de la vul­nérabilité associée à la maladie et à l’hospitalisation, s’intéresser au trajet existentiel des patients qui peut les mener à des choix peu rationnels en apparence, offrir le temps d’une «écoute active» pour donner place à la personne concernée et à ses valeurs, lui montrer du respect, de l’attention.
En somme, pour qu’une décision médicale soit réellement partagée, elle doit se distancier d’un modèle prêt à l’usage et prendre le risque d’une vraie rencontre. Cela demande de la disponibilité, de l’écoute, de l’empathie, mais il n’y a pas de doute que la satisfaction des deux partenaires en sera nettement améliorée.
afallaz[at]bluewin.ch
1 Kunneman M, Gionfreddo MR, Toloza FJK, et al. Humanistic communication in the evaluation of shared decision making: a systematic review. Patient Educ Couns. 2019;102:452–66.
2 Elwyn G. Shared decision making: What is the work? Patient Educ Couns. 2021;104:1591–5.