Les hôpitaux suisses sur la voie de la durabilité

«Un hôpital sur deux peut réduire de moitié son empreinte CO2»

Tribüne
Édition
2021/45
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2021.20078
Bull Med Suisses. 2021;102(45):1490-1492

Affiliations
Rédactrice print et online

Publié le 10.11.2021

Le recours aux services de santé génère plus de 5% des émissions de gaz à effet de serre liées à la consommation en Suisse. Une grande partie vient des hôpitaux: pour la première fois, l’étude «Green Hospital» analyse l’empreinte écologique du système hospitalier dans notre pays. Matthias Stucki, directeur d’étude et spécialiste des écobilans à la Haute école zurichoise des sciences appliquées (ZHAW), émet des pistes pour rendre ce secteur plus respectueux de l’environnement.

A propos de ­Matthias Stucki

Matthias Stucki est spécialiste en protection de l’environnement et dirige le groupe de recherche sur les écobilans à l’Institut de l’environnement et des ressources naturelles de la ZHAW, ainsi que le projet de recherche Green Hospital. Contact: Matthias.stucki[at]zhaw.ch
Matthias Stucki, vous avez mené cette étude durant quatre ans: de quoi s’agit-il et qu’analyse-t-elle exactement?
«Green Hospital» est un projet de recherche du Programme national de recherche Economie durable (PNR 73), soutenu par le Fonds national suisse. L’étude a pour objectif de centraliser de solides connaissances sur le besoin en ressources et l’efficacité d’utilisation de ces dernières dans les hôpitaux suisses et de dessiner les facteurs décisifs de l’impact environnemental dans le secteur hospitalier. Elle tente aussi de répondre à la question «Où pouvons-nous intervenir pour changer les choses?» en élaborant une liste des meilleures pratiques écologiques pour les hôpitaux suisses.
Vous avez mis l’accent sur les hôpitaux. Pourquoi ce focus?
Le déclencheur a été une étude de l’Office fédéral de l’environnement, à laquelle j’ai participé. Ce travail a mis en lumière à quel point différents secteurs de consommation pesaient sur l’environnement. L’alimentation, la mobilité et l’habitat étaient les trois domaines à avoir un impact écologique. La santé arrivait en quatrième position. C’est ce qui a attiré mon attention: alors même que la santé contribuait fortement à l’empreinte environnementale, aucun projet de recherche ne portait sur ce sujet. Les hôpitaux notamment constituent une part importante du secteur de la santé. Nous avons donc estimé qu’il fallait impérativement se pencher là-dessus afin de dégager un potentiel d’amélioration. Quand nous avons démarré le projet il y a quatre ans, nous étions presque la seule équipe en Suisse à faire des recherches sur ces questions.
Pourquoi y a-t-il si peu d’études menées sur ce sujet?
Nous n’avons pas analysé ce point, mais je peux émettre quelques hypothèses. Contrairement au commerce de détail, le secteur de la santé n’est pas soumis à la pression de la durabilité de la clientèle. Pour le patient ou la patiente, le plus important est de recevoir les meilleurs soins médicaux possible. Un hôpital n’est pas choisi selon des critères de durabilité, mais pour l’excellence de ses prestations. La complexité et la diversité des processus hospitaliers sont un défi supplémentaire. Sans compter la crainte d’un conflit entre écologie et qualité des soins: celle-ci reste la priorité absolue et ne peut être restreinte par des mesures pro-écologie. Il n’y a toutefois souvent aucune concurrence entre ces deux objectifs.
Pouvez-vous préciser ce point?
Un grand nombre de mesures respectueuses de l’en­vironnement peuvent être mises en œuvre sans problème. Les produits électriques écologiques n’ont par exemple aucune influence sur les prestations médicales. Le bât blesse quand ces mesures entraînent un surcoût ou exigent plus de personnel. Si la durabilité entraîne une concurrence au niveau des ressources, cela peut aboutir à des conflits. Mais n’oublions pas que parmi les «Best practices» beaucoup sont peu onéreuses, voire génèrent des économies.
Avant d’en venir à ces «Best practices» et aux principaux résultats de l’étude, pouvez-vous parler de la méthode appliquée?
De ce point de vue, le projet est captivant, car hautement interdisciplinaire. Nous, chercheuses et chercheurs, sommes restés très proches du terrain grâce à une étroite collaboration avec les hôpitaux de l’Inselgruppe de Berne, l’Hôpital de Wetzikon, les Hôpitaux universitaires de Genève et l’Hôpital cantonal des Grisons. Notre objectif était de couvrir une large gamme d’hôpitaux, des établissements régionaux aux grands centres hospitaliers universitaires, pour avoir des perspectives différentes. Les partenaires devaient montrer un intérêt pour la question de la durabilité et être prêts à changer dans ce sens. Nous avons appliqué la méthode de l’écobilan pour analyser l’empreinte écologique des hôpitaux partenaires. Nous avons ensuite mené un sondage national, auquel 33 établissements ont participé, afin de recueillir de façon systématique les données clés permettant de calculer l’empreinte au niveau suisse. Ces chiffres nous ont permis de déterminer l’empreinte individuelle de chaque hôpital et d’identifier les principaux leviers environnementaux.
L’approvisionnement énergétique pour la chaleur et l’électricité, la restauration et l’infrastructure des bâtiments sont les domaines avec le plus fort impact environnemental.
Pouvez-vous nous résumer les résultats?
L’approvisionnement énergétique pour la chaleur et l’électricité, l’alimentation pour l’hôtellerie et les infrastructures des bâtiments sont les domaines avec le plus fort impact environnemental dans le milieu hospitalier. Ces secteurs de consommation correspondent ainsi à ceux dans la sphère privée. Concrètement, le chauffage contribue à 26% aux émissions de gaz à effet de serre des hôpitaux, l’alimentation à 17% et les infrastructures à 15%. Les produits pharmaceutiques arrivent en quatrième position, suivis de l’électricité, puis de la production du matériel de fonctionnement tel que les produits de nettoyage et médicaux comme les masques. Puis viennent les déchets et les eaux usées, les appareils électroniques, la blanchisserie, les textiles et la fabrication d’appareils médicaux de grande taille.
L’efficacité de l’utilisation des ressources a ensuite été évaluée par l’Institut für Wirtschaftsstudien Basel (IWSB). Quels sont les résultats de cette analyse?
Il s’est avéré que l’efficacité de l’utilisation des ressources était indépendante de la taille de l’hôpital. On ne peut pas dire que les petits hôpitaux sont plus efficaces que les grands du point de vue écologique, ni l’inverse. Les calculs ont montré que la moitié des hôpitaux pouvaient limiter leurs émissions de 50% sans qu’il y ait un impact sur les prestations. C’est un potentiel énorme. Les principales économies peuvent être faites au niveau du chauffage. Il y a une différence très importante entre les hôpitaux faisant appel à des énergies fossiles et les autres. Les hôpitaux qui utilisent le chauffage à distance affichent un écobilan bien meilleur. Les infrastructures sont elles aussi décisives: les anciens bâtiments ont souvent une moins bonne efficacité énergétique.
Quelle est la différence entre l’écobilan et l’utilisation efficace des ressources?
L’écobilan s’appuie sur des indicateurs de l’environnement, tels que les émissions de gaz à effet de serre et l’énergie grise. Nous analysons comment ils se répartissent dans les différents secteurs, comme la mobilité, le chauffage et l’alimentation. Cela permet de comparer les différents hôpitaux. Dans l’évaluation de l’efficacité des ressources, la prestation fournie est prise en compte: quel volume de prestations est fourni pour quelle quantité de ressource consommée?
Comment les hôpitaux peuvent-ils être plus respectueux de l’environnement? A quoi ressemble un hôpital durable?
Cela commence par la construction, avec par exemple l’utilisation de matériaux durables tels que le bois suisse. Le bâtiment devrait fonctionner avec des énergies renouvelables. Pour l’éclairage, on peut utiliser des LED. L’alimentation est un autre secteur dans lequel des mesures peuvent être appliquées vite et simplement: à l’Hôpital cantonal des Grisons, les menus pour les patients admis sont sans viande, mais celle-ci continue d’être proposée. De plus, les commandes se font désormais par voie électronique, ce qui limite le gaspillage alimentaire. Nous avons constaté que, sans commande, 9% des plats restaient intouchés, contre 2% seulement avec commande. L’hôpital achète ainsi moins de denrées et fait des économies. Ce type de mesures améliore ­l’écobilan, sans diminuer la qualité des prestations. Un approvisionnement dura­ble en médicaments est aussi un levier important pour la durabilité d’un hôpital. Beaucoup de processus n’ont pas d’impact écologique directement au sein de l’hôpital, mais plus en amont, notamment dans la chaîne de livraison, lors de l’achat des textiles, des ­médicaments ou de l’équipement électronique.
Green Hospital: Environmental Impact Assessment, Resource Efficiency and Hands-on Applications est un projet de recherche du Fonds national suisse, réalisé dans le cadre du Programme national de recherche Economie durable (PNR 73), mené par la Haute école zurichoise des sciences appliquées (ZHAW), le Fraunhofer-Institut für Materialfluss und Logistik et l’Institut für Wirtschaftsstudien Basel (IWSB), en collaboration avec les hôpitaux partenaires. Plus d’informations: https://www.greenhospital.ch/
Vous avez mentionné l’Hôpital cantonal des Grisons comme un bon élève en matière d’alimentation. Quelles autres mesures sont déjà mises en œuvre?
Le nouveau bâtiment de l’Hôpital de l’Ile de Berne est un bon exemple d’infrastructures durables: il est certifié Minergie-P-ECO et utilise le chauffage à distance comme source de chaleur. Nous suivons aussi ce qui se passe à l’étranger et travaillons actuellement à l’établissement d’une liste des «Best practices» pour les hôpitaux durables.
Quels sont les pays les plus avancés?
En Angleterre, le National Health Service se préoccupe beaucoup de la durabilité dans le secteur de la santé et a créé un service dédié à la conciliation entre soins et développement durable. Plusieurs études ont déjà été publiées à ce sujet. L’Allemagne et le Danemark mènent également des projets dans ce sens. Dans ces pays, cette question fait l’objet de discussions plus intenses et depuis plus longtemps. Mais la Suisse est en train de rattraper son retard.
Grâce à votre étude?
Notre étude a, dans une certaine mesure, probablement été un accélérateur. Je pense qu’un nombre encore plus important d’hôpitaux s’engageront en faveur du développement durable ces prochaines années. D’une façon générale, l’intérêt pour cette problématique grandit. Nous recevons beaucoup de demandes des médias, mais aussi d’hôpitaux qui souhaitent échanger davantage avec leurs homologues. Ces dernières années, nous avons constaté que les choses bougent dans ce domaine, notamment grâce aux rapports environnementaux de l’Hôpital universitaire de Bâle et des Hôpitaux universitaires de Genève.
Le projet «Green Hospital – Utilisation efficace des ressources dans les hôpitaux suisses» s’est terminé officiellement en août 2021. Que va-t-il se passer mainte­nant?
Même si le projet de recherche est terminé, il reste encore quelques champs d’actions que nous aimerions explorer. Il s’agit par exemple de présenter les résultats de l’étude en conférence, promouvoir les échanges entre hôpitaux, encourager les activités en réseau et établir une liste des meilleures pratiques. Nous sommes actuellement en train de recueillir les retours des hôpitaux sur les «Best practices» élaborées en vue de réaliser une extrapolation pour toute la Suisse. Nous voulons aussi déterminer la part de l’ensemble des hôpitaux dans les émissions de gaz à effet de serre en Suisse et publier ces résultats. Le projet «Green Hospi­tal» se poursuivra certainement, ne serait-ce que pour répondre aux nombreuses demandes des hôpi­taux. Nous envisageons aussi d’analyser d’autres acteurs du système de santé, les centres de soins par exemple.
julia.rippstein[at]emh.ch