Le service sanitaire de la Patrouille des Glaciers 2022

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Édition
2021/35
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2021.20061
Bull Med Suisses. 2021;102(35):1123-1126

Affiliations
Major, médecin-chef, Etat-major du Commandement de la Patrouille des Glaciers, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur

Publié le 31.08.2021

Depuis plus d’un demi-siècle, l’armée planifie la Patrouille des Glaciers pour entraîner ses troupes aux conditions de haute montagne. Avec les années, cette course s’est ouverte aux patrouilles militaires internationales et civiles, devenant un ­événement à l’aura internationale. Le service sanitaire y est conséquent: en 2018, 54 médecins et 30 professionnels du monde paramédical ont été déployés. Zoom sur les rouages de ce dispositif médical.
Après plusieurs réorganisations structurelles et l’émergence d’une association, la Patrouille des Glaciers (PdG) est restée le même engagement militaire ordonné par le Département fédéral de la Défense, de la Protection et des Sports (DDPS) et conduit par le Commandement des Opérations. La PdG fait désormais partie de la coupe du monde de ski-alpinisme en cordée, avec comme principales caractéristiques le fait d’être le tracé le plus long et se déroulant majoritairement la nuit (fig. 1).
Figure 1: Profil de la PdG 2022. La course Z (Zermatt–Verbier) compte 57,5 km, avec 4386 mètres de dénivelé positif et 4520 mètres de dénivelé négatif, pour un équivalent de 100 km-effort. La majorité du parcours se fait pendant la nuit.
La dernière édition de la PdG en 2018 a accueilli plus de 5700 patrouilleurs à plus de 3000 mètres d’altitude, soit 1900 cordées de 30 pays différents. Le service sanitaire est devenu aujourd’hui complexe en raison de l’ampleur et l’intrication des moyens engagés. La nature compartimentée du terrain contraint à fortement sectoriser le dispositif sanitaire. Les formations engagées doivent être aptes à travailler en totale autarcie, car elles peuvent se retrouver bloquées, avec les patrouilles, dans des tempêtes de plusieurs jours. En outre, les moyens d’évacuation héliportés doivent être multipliés aux points difficiles d’accès (fig. 2).
Crevasse de Valpelline, printemps 1943.

Première édition de la Patrouille des Glaciers, 1943

La Patrouille des Glaciers trouve son origine dans les temps troublés de la Seconde Guerre mondiale. Elle servait à préparer la brigade de montagne 10 à défendre la partie sud-ouest des Alpes suisses. Lors de sa première édition, seules six patrouilles sur douze arrivèrent dans les temps à Verbier, en raison des conditions météorologiques catastrophiques.
Figure 2: Point de rassemblement de patients de Tête Blanche, 3650 m. Pour nombre de participants, ce point de passage est considéré comme ­l’endroit le plus froid de la PdG.
Lors de l’édition 2018, 54 médecins et 30 professionnels du monde paramédical ont été déployés dans Les «Hauts» pour une durée de huit jours (fig. 3). Il faut ­habituellement compter avec 140 cas de patrouilleurs blessés et héliportés par édition, ainsi qu’avec six tonnes de matériel sanitaire héliporté.
Figure 3: Schéma du dispositif sanitaire de la PdG 2022. Les «Hauts» consistent en la partie du dispositif se situant en haute montagne, le long du tracé alpin de la Haute Route (altitude moyenne: 3000 m). Les flèches noires représentent les points de passage médicalisés, les flèches bleues montrent les trois postes de secours regroupant les moyens sanitaires lourds.
Les relevés statistiques étant trop hétérogènes, une comparaison épidémiologique entre éditions n’est pour l’instant pas possible. Malgré tout, la PdG 2014 donne un bon exemple de la répartition du profil des pathologies habituellement rencontrées. Cent septante-deux cas ont été pris en charge lors des deux courses, lesquels ont été répartis comme suit selon le National Advisory Committee of Aeronautics score (NACA) [1]: 22 NACA-0, 143 NACA-I, 2 NACA-II, 3 NACA-III, 1 NACA-IV, 1 NACA-V. Les cas les plus courants (NACA-I) sont listés dans le tableau 1. Les cas plus graves (NACA-II à V) comprennent des fractures, des troubles digestifs, une embolie pulmonaire et un œdème aigu du poumon.
Tableau 1: Pathologies bénignes (NACA-I) rencontrées lors de la PdG 2014.
5Mal aigu des montagnes
8Trouble respiratoire mineur
8Trouble digestif mineur
16Epuisement
2Phlyctènes des pieds (cloques)
1Brûlure oculaire
1Syndrome grippal
1Gelure
7Hypothermie
9Plaie simple
32Trauma ostéoarticulaire mineur
2Luxation d’épaule
1Trauma crânien simple
48Nd
L’édition 2022 sera marquée par un barème de sélection élevé et adapté aux exigences de certains postes. Les médecins et le personnel paramédical bénéfi­cieront, trois mois avant l’engagement, d’une forma­tion liée à l’engagement afin de parfaire certaines compétences médicales et techniques. Les personnes retenues recevront une instruction de base sur la médecine et la traumatologie de montagne, le compor­tement à adopter lors d’évacuations héliportées (héli­coptère EC-635 médicalisé) et les techniques de sauvetage en montagne. Ces instructions seront données par les partenaires-clés de la PdG, dont entre autres les Forces Aériennes et les guides de montagne du Centre de ­compétence d’Andermatt (UR).
Premier-Lieutenant Christophe Chablais. S4 sanitaire, ­Etat-­major du Commandement de la PdG. Technicien-­Ambulancier au CSU du Nord ­vaudois et de la Broye.

Retour d’expérience de Christophe ­Chablais, quinze ans d’expérience à la PdG

Après une formation de commandant de compagnie, j’incorpore en 2005 le Centre de Conduite Sanitaire comme régulateur. Mon travail consiste à prendre les appels au secours des patrouilleurs et à gérer la communication entre les éléments sanitaires. Etant tech­nicien-ambulancier dans la vie civile, cette première ­expérience m’a permis de mieux comprendre les dilemmes ­touchant les collègues du standard 144 au ­quotidien.
Par la suite, j’ai eu l’opportunité de reprendre la gestion de l’ensemble du matériel sanitaire, soit environ six tonnes de matériel à faire transiter à travers la Suisse puis à répartir dans Les Hauts. Durant ces quinze années, ma fonction a pris de l’importance et de nombreux défis ont dû être relevés. Mon avis a souvent été pris en compte et mes compétences civiles judicieusement utilisées. Par exemple, des lots standardisés, mais individualisés à chaque poste sanitaire, ont pu être développés; cela a permis d’optimiser le processus de ravitaillement et diminuer la perte de matériel. Les températures, souvent extrêmes, limitent les conditions de stockage des biens-clés, comme les médicaments, lesquels doivent souvent être détruits en fin d’engagement. Grâce à ces mesures, l’édition 2018 a montré une réduction de 25% du matériel sanitaire consommé.
La PdG m’a permis aussi d’approfondir mes compétences et a impacté ma vie professionnelle civile, aussi bien dans mes fonctions d’officier logistique que comme chef d’engagement au sein du Détachement Poste Médical Avancé de Lausanne. J’ai pu en constater les effets tout particulièrement dans la ­gestion sanitaire d’Air14 et la Fête de lutte à Estavayer-le-Lac. Je suis heureux de faire partie de cette grande aventure et espère bientôt trouver la personne à qui passer le flambeau et qui sera prête à être formée sur plusieurs éditions.
En bas à g.: Premier-Lieutenant Christophe Bianchi. Médecin du point de rassemblement de patients de la Rosablanche. Spécialiste en médecine interne, FAI médecine d’urgence.

Retour d’expérience de Christophe Bianchi, médecin PdG 2016

Médicaliser la PdG c’est participer à une course de ­légende, dans un décor unique, en vivant des émotions d’une rare intensité. Mon lien avec la PdG a commencé en tant que participant en 2014, après qu’un de mes amis me lance le défi de faire la grande course. Un an plus tard, après plus de 10 heures de course, une seule pensée me vient à l’esprit en voyant la montée de la ­Rosablanche: «Mais pourquoi avoir accepté?» Malgré l’effort et les doutes, nous passons, heureux et fatigués, mais surtout dans les temps, la ligne d’arrivée. Cette expérience a marqué ma vie: j’ai certes appris sur la montagne, mais surtout beaucoup sur moi-même!
Deux ans plus tard, nous revoilà à la Rosablanche, mais cette fois-ci en tant que médecins. Après la montée en peau de phoque depuis Verbier, chargés avec notre barda militaire, nous découvrons la tente où nous allons passer une semaine pleine de surprises. Accueillis par les militaires du bataillon d’infanterie de montagne avec un verre de blanc, nous avons juste le temps de nous installer et de manger un morceau, avant de partir creuser les mythiques marches de la montée de la Rosablanche. Pour les avoir gravies deux ans auparavant, je connais l’importance de bien les préparer. Je m’applique donc à les creuser avec soin, en me disant que j’apporte une pierre à l’édifice, donnant un coup de pouce à chaque patrouilleur passant par là.
Nous passons la première nuit dans notre tente, après un coucher de soleil majestueux. Que l’on dort bien à plus de 3200 mètres! Après une journée de préparatifs et de sortie en peau de phoque, nous allons nous coucher tôt. En effet, les premiers patrouilleurs partiront de Zermatt à 21h45. Il faut être prêt à les accueillir au petit matin, avant même le lever du soleil.
Posté en bas des escaliers de la Rosablanche, à 4h30 du matin, je vis un moment que je n’oublierai jamais: seul au milieu des montagnes, dans une nuit étoilée, avec au loin le long serpent des lumières frontales, j’aperçois les premiers patrouilleurs arrivant face à ce dernier défi. Une magie indescriptible, valant la peine d’être vécue. Puis, tout s’accélère: les patrouilleurs ­défilent et on se retrouve déjà en début d’après-midi avec l’annonce de la fin de course. Quelle aventure!
Afin de maintenir un haut niveau d’expertise du service sanitaire, nous cherchons des médecins ainsi que des professionnels et professionnelles du monde para­médical motivés à nous rejoindre dès 2022 pour plusieurs éditions. Une formation en anesthésie, soins ­intensifs, médecine d’urgence ou traumatologie est souhaitée. Les professionnels de la santé qui ont déjà pratiqué des secours extrahospitaliers et savent évoluer en haute montagne sont vivement encouragés à postuler. Il s’agit d’un engagement réel (fig. 4). Les éléments sanitaires doivent pouvoir être déployés à tout moment dans des conditions parfois extrêmes. L’engagement se fait par service militaire volontaire ou par contrat civil, pour une durée totale de huit jours d’engagement et d’un jour de formation continue obligatoire.
Figure 4: Préparation du tracé. Elle débute cinq semaines avant la PdG. Les ­premières palettes de matériel sanitaire sont héliportées quatre semaines avant la course.

L’essentiel en bref

• Depuis plus d’un demi-siècle, l’armée planifie la Patrouille des Glaciers (PdG) pour entraîner ses troupes aux conditions de haute montagne.
• Le service sanitaire de cette compétition internationale est considérable: en 2018, 54 médecins et 30 professionnels du monde paramédical ont été déployés.
• On compte par édition environ 140 cas de patrouilleurs blessés et héliportés et six tonnes de matériel sanitaire héliporté. Les pathologies bénignes les plus fréquentes sont le mal aigu des montagnes, les troubles respiratoires mineurs, les troubles digestifs mineurs, l’épuisement et les traumas ostéoarticulaires mineurs.
• La PdG cherche des médecins et des professionnels et professionnelles du monde paramédical motivés à rejoindre la compétition dès 2022 pour plusieurs éditions. Une formation en anesthésie, soins intensifs, médecine d’urgence ou traumatologie est souhaitée.
Major Raphaël Kohlprath
Etat-major du Commandement de la PdG
Rue du Catogne 7
CH-1890 Saint-Maurice
pdg.tdiv1[at]vtg.admin.ch
1 Weiss M, Bernoulli L, Zollinger A. The NACA scale. Construct and predictive validity of the NACA scale for prehospital severity ­rating in trauma patients. Anaesthesist. 2001 Mar;50(3):150–4.