Prévenir les maladies psychiques dans l’enfance et l’adolescence

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Édition
2021/38
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2021.20015
Bull Med Suisses. 2021;102(38):1228-1230

Affiliations
a Prof. Dr phil., directeur de recherches adjoint à l’Institut des sciences de la santé de la ZHAW, Winterthour, privat-docent au département de psychologie de l’Université de Constance, Constance; b MSc, collaboratrice scientifique à l’Institut de psychologie, ZHAW, Zurich; c Dr phil., collaboratrice scientifique à l’Institut des sciences de la santé, ZHAW, Winterthour; d Dr phil., chargé de cours à l’Institut de psychologie, ZHAW, Zurich; e Dr phil., responsable du centre de coordinationdu Réseau Santé Psychique Suisse, Berne; f Prof. Dr phil., directrice section Psychologie clinique et Psychologie de la santé de l’Institut Psychologique, ZHAW, Zurich
Les maladies psychiques se développent souvent dans l’enfance et l’adolescence. Reconnues tardivement, elles peuvent affecter la vie des personnes concernées jusqu’à l’âge adulte. En Suisse, des points de contact, plateformes en ligne, campagnes nationales et brochures permettent de faciliter le dialogue entre le personnel soignant et les personnes concernées et de favoriser la détection précoce des troubles psychiques.

Publié le 22.09.2021

D’après des études internationales, on estime que 10 à 20% des enfants et des adolescents souffrent d’un trouble psychique [1, 2]. De plus, les maladies psychiques tendent à persister jusqu’à l’âge adulte: la moitié des adultes atteints d’un trouble psychique en ont souffert ­durant l’adolescence [3–5]. Parmi les enfants et les adolescents concernés, beaucoup ne présentent que des symptômes subcliniques. Eux aussi doivent être ­surveillés avec soin par les pédiatres ou les médecins de famille. Les maladies psychiques les plus ­fréquentes dans l’enfance comprennent les troubles ­anxieux et les troubles externalisés [3]. Les dé­pressions, les troubles liés à l’usage de substances, les troubles du comportement alimentaire et les cas de schizophrénie sont plus nombreux à l’adolescence [3]. A ­noter que l’état des données sur la pré­valence des troubles psychiques chez les enfants et les ado­lescents en Suisse est lacunaire [6, 7]. Il est reconnu que l’offre de prise en charge pour les enfants et ­les ado­lescents atteints de troubles psychiques est in­suf­fisante, en particulier pour ceux issus de ­familles ­défavorisées aux plans économique et psychosocial [8].

Importance d’une stratégie préventive

Une maladie psychique non traitée a des conséquences durables pour l’enfant ou l’adolescent, pour sa famille et pour la société (développement scolaire limité, échecs scolaires, etc.). Les enfants atteints de troubles externalisés attirent souvent l’attention, tandis que ceux atteints de troubles internalisés passent plutôt inaperçus et ne bénéficieront pas d’un traitement psychiatrique ou psychothérapeutique. Enfin, au sortir de l’adolescence, une maladie psychique peut compromettre le succès de l’apprentissage du jeune adulte, son entrée dans le monde du travail et l’entraver durablement dans de nombreux domaines de la vie comme la formation, la capacité de gain et de travail, les relations sociales, la santé somatique et la qualité de vie [9]. Cela explique la fréquence supérieure à la moyenne de diagnostics psychiatriques chez les jeunes au bénéfice d’une rente AI.
La détection et le traitement précoces d’une maladie psychique peuvent avoir un effet favorable sur la suite de l’évolution du trouble [10] et réduire ainsi les charges pesant sur l’individu et la famille et les conséquences sociales négatives liées à la maladie. Des études montrent que le pronostic d’un trouble psychique est d’autant meilleur et l’effet du traitement d’autant plus durable que la prise en charge a été précoce [11].

Rôle central des médecins de premier recours

Dans le système de soins, les médecins de famille et de l’enfance jouent un rôle central pour la santé psychique ou la détection précoce de maladies psychiques chez les enfants et les adolescents [12, 13]. Suivant sur plusieurs années des jeunes patients et leurs familles, ils peuvent encourager la prévention, identifier assez tôt d’éventuels troubles psychiques et empêcher leur chronicisation en aiguillant les patients vers un traitement psychiatrique ou psychothérapeutique. Les entretiens permettent de mettre en ­évidence des troubles psychiques plus discrets [14].
C’est aussi et surtout pour cette raison que la stratégie Santé2030 et les stratégies NCD ont souligné le haut potentiel préventif des soins de premier recours [12, 13]. Des mesures en ce sens sont notamment développées dans le cadre du programme de prévention et de soins de Promotion Santé Suisse [15, 16].

Difficultés et ressources pour le dépistage précoce

Des campagnes nationales

Aujourd’hui comme hier, les maladies psychiques ne sont pas prises au sérieux ou sont perçues comme une tare par une partie de la population. Les enfants et les adolescents ne sont pas épargnés [17]. On continue par exemple de penser que la dépression n’est pas une «vraie» maladie et que les adolescents en particulier ne risquent rien sur ce plan-là. Les personnes concernées tout comme leur entourage pensent qu’il suffit de faire un effort, que les déprimés sont des flemmards, que c’est de leur faute, etc. Il s’agit ici d’expliquer encore et toujours que la dépression peut frapper chacun d’entre nous et que le pronostic est en général d’autant meilleur que l’on aura tôt fait d’aider le malade et d’instaurer un traitement. Cela représente un premier soulagement pour la personne et ses proches et permet de préparer le terrain pour des investigations plus poussées. Des campagnes nationales en cours visent à déstig­matiser les maladies psychiques (comment-vas-tu.ch, santéPsy.ch).

Ressources en ligne à l’attention des professionnels, des enfants, des adolescents et des parents

En plus des campagnes d’information, il existe des ressources en ligne de haute qualité pour se renseigner, par exemple les plates-formes du réseau Santé Psychique Suisse [18, 19] ou de Promotion Santé Suisse [20], ou encore la plate-forme d’information et d’échange prevention.ch pour la promotion de la santé [21].
Pour les jeunes enfants, par exemple, les professionnels peuvent d’appuyer sur les recommandations du projet Miapas [22]. Pour les enfants plus âgés, les documentations de «Take Care» fournissent des informations concises sur les maladies les plus fréquentes [23] et les méthodes éprouvées de screening, mais aussi des propositions concrètes pour parler du bien-être psychique des enfants et sensibiliser les parents à la problématique de la santé psychique. Pour faciliter le dialogue à ce sujet, on peut aussi se servir du prospectus «Comment renforcer la santé mentale de mon enfant?» avec dix conseils importants pour les parents d’enfants âgés de 6 à 12 ans [24].
Pour les adolescents, le projet «Take Care» met à leur disposition une brochure, remise via les cabinets de pédiatrie et de médecine générale. La boîte à outils «Prends soin de toi!» sensibilise les adolescents aux problèmes psychiques et leur fournit des informations et adresses de services d’entraide en cas de besoin [24]. D’autres ressources précieuses pour les adolescents sont indiquées au tableau 1. Elles sont particulièrement utiles pour les jeunes et leurs parents qui se rendent sur Internet pour trouver des informations sur leur santé.
Tableau 1: Aperçu des ressources pour la promotion de la santé psychique et la détection des maladies psychiques.
Catégorie d’âgeProjet/OffreAccès en ligne
Promotion de la santé psychique
GénéralSantéPsy.ch – Santé Psy – Tous concernéswww.santepsy.ch/fr
Petite enfanceProjet Miapashttps://promotionsante.ch/programmes-daction-cantonaux/alimentation-et-activite-physique/enfants-et-adolescents/themes-cles/encouragement-precoce.html
Moyenne enfanceTake Carehttps://www.zhaw.ch/fr/gesundheit/forschung/gesundheitswissenschaften/projekte/take-care/
AdolescenceBrochure «Schlecht drauf, no Power…» ­distribuée en Suisse orientalewww.npg-rsp.ch/fileadmin/npg-rsp/10_Schritte/OstCH_Jugendflyer.pdf
Take Carehttps://www.zhaw.ch/fr/gesundheit/forschung/gesundheitswissenschaften/projekte/take-care/
Offres d’informations et de conseils de ­Pro ­Juventute www.147.ch/fr
Conseils téléphoniques et par chat de La Main Tendue www.143.ch/fr
Site d’information, d’aide et d’échanges − CIAOwww.ciao.ch, www.tschau.ch
Questionnaires de screening
3 à 16 ansQuestionnaire Points forts – Points faibles ­(SDQ-Fra)https://www.sdqinfo.org/py/sdqinfo/b3.py?language=French
8 à 18 ansEchelle KIDSCREEN-10https://www.kidscreen.org/english/
4 à 17 ansKINDLhttps://www.kindl.org/english/
AdolescenceThermomètre de détressehttps://www.nccn.org/login?RetVal=1&ReturnURL=https://www.nccn.org/professionals/physician_gls/pdf/distress_tool_french.pdf (disponible après l’inscription)

Screening psychosocial

Un bref screening psychosocial (tabl. 1) est un moyen concret utilisable par les médecins pour identifier les patients à forte charge psychosociale. En demandant de remplir un questionnaire de screening en salle d’attente avant la consultation, les soignants peuvent obtenir un aperçu rapide de la situation bio-psycho-sociale de l’adolescent ou de la famille de l’enfant. L’intégration d’un tel instrument dans la consultation peut en outre contribuer à déstigmatiser les problèmes psychiques et faciliter le dialogue à leur sujet.
En résumé, un regard plus attentif et une meilleure écoute face à la situation bio-psycho-sociale des jeunes patients et de leurs familles, ainsi que le travail avec les ressources documentaires disponibles peuvent aussi favoriser une bonne relation médecin-patient. L’observance, les résultats thérapeutiques, ainsi que la qualité de vie – des patients et peut-être même de leurs soignants – s’en trouveront améliorés.

L’essentiel en bref

• Des études épidémiologiques montrent que 10 à 20% des enfants et adolescents présentent des symptômes cliniques ou subcliniques d’un trouble psychique. Environ la moitié des adultes atteints de tels troubles en souffraient déjà à l’adolescence.
• La détection précoce par les médecins de famille et les pédiatres joue un rôle central dans la prévention des maladies mentales chez les enfants et les adolescents.
• En Suisse, diverses ressources en ligne proposent des documents d’information utiles aux enfants et aux adolescents concernés, à leurs parents et aux professionnels de la santé.
Nous remercions l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) pour le soutien lié au contenu de l’approche visant à promouvoir la santé ­psychique des enfants et des adolescents dans la pratique médicale et l’apport financier pour la réalisation de cette publication.
Prof. Dr Frank Wieber
Directeur de recherches adjoint à l’Institut des sciences de la santé
Katharina-Sulzer-Platz 9
CH-8401 Winterthour
frank.wieber[at]zhaw.ch
Jurica Koletić / Unsplash
1 Kieling C, Baker-Henningham H, Belfer M, Conti G, Ertem I, Omigbodun O, et al. Child and adolescent mental health worldwide: evidence for action. Lancet. 2011;378:1515–25.
2 Petermann F. Zur Epidemiologie psychischer Störungen im Kindes- und Jugendalter: Eine Bestandsaufnahme. Kindheit und Entwicklung. 2005;14:48–57.
3 Costello EJ, Foley DL, Angold A. 10-year research update review: the epidemiology of child and adolescent psychiatric disorders: II. Developmental epidemiology. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry. 2006;45:8–25.
4 Fuchs M, Bösch A, Hausmann A, Steiner H. «The child is father of the man» – review of literature on epidemiology in child and adolescent psychiatry. Zeitschrift für Kinder- und Jugendpsychiatrie und Psychotherapie. 2013;41:45–55.
5 Kessler RC, Avenevoli S, Costello EJ, Georgiades K, Green JG, Gruber MJ, et al. Prevalence, Persistence, and Sociodemographic Correlates of DSM-IV Disorders in the National Comorbidity Survey Replication Adolescent Supplement. Arch Gen Psychiatry. American Medical Association; 2012;69:372–80.
6 von Wyl A, Chew Howard E, Bohleber L, Haemmerle P. Psychische Gesundheit und Krankheit von Kindern und Jugendlichen in der Schweiz: Versorgung und Epidemiologie. Eine systematische Zusammenstellung empirischer Berichte von 2006 bis 2016 (Obsan Dossier 62). [Internet]. Neuchâtel: Observatoire suisse de la santé; 2017. https://www.obsan.admin.ch/fr/publications/psychische-gesundheit-und-krankheit-von-kindern-und-jugendlichen-der-schweiz-versorgung
7 Observatoire suisse de la santé, éditeur. Gesundheit in der Schweiz – Kinder, Jugendliche und junge Erwachsene [Internet]. Hogrefe; 2020. https://www.hogrefe.ch/shop/gesundheit-in-der-schweiz-kinder-jugendliche-und-junge-erwachsene-92952.html (accédé le 29.4.2021).
8 Wyss L, Keller K. Versorgungspfade in der psychiatrisch-psychotherapeutischen Versorgung von Kindern und Jugendlichen [Internet]. Berne: Office fédéral de la santé publique OFSP; Report No. M19. https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/das-bag/publikationen/forschungsberichte/forschungsberichte-interprofessionalitaet-im-gesundheitswesen/forschungsberichte-interprofessionalitaet-M19-psychiatrisch-psychotherapeutische-versorgung-ipz.html
9 Hale DR, Bevilacqua L, Viner RM. Adolescent Health and Adult Education and Employment: A Systematic Review. Pediatrics. 2015;136:128–40.
10 Costello EJ. Early Detection and Prevention of Mental Health Problems: Developmental Epidemiology and Systems of Support. Journal of Clinical Child & Adolescent Psychology. Routledge. 2016;45:710–7.
11 Membride H. Mental health: early intervention and prevention in children and young people. British Journal of Nursing. 2016;25:552–7.
12 Office fédéral de la santé publique [OFSP]. Politique de la santé: stratégie du Conseil fédéral 2020–2030 [Internet]. https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/strategie-und-politik/gesundheit-2030/gesundheitspolitische-strategie-2030.html (accédé le 30.4.2021).
13 Office fédéral de la santé publique [OFSP]. Stratégie nationale Prévention des maladies non transmissibles [Internet]. https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/strategie-und-politik/nationale-gesundheitsstrategien/strategie-nicht-uebertragbare-krankheiten.html (accédé le 30.4.2021).
14 Künzler A, Bandi-Ott E. Psychische Komorbiditäten – erkennen, fragen, handeln. Hausarzt Praxis. 2014;9:33–5.
15 Zosso B, Quinto CB, Neuner-Jehle S, Weil B. PEPra: pour la prévention au cabinet de premier recours. Bull Med Suisses. 2020(101);49:1643–5.
16 PsyYoung – Gesundheitsförderung Schweiz [Internet]. https://promotionsante.ch/pds/projets-soutenus/psy-young.html (accédé le 30.4.2021).
17 Gulliver A, Griffiths KM, Christensen H. Perceived barriers and facilitators to mental health help-seeking in young people: a systematic review. BMC Psychiatry. 2010;10:113.
18 NPG-RSP: Aux personnes concernées/proches/qui cherchent de l’aide [Internet]. https://www.npg-rsp.ch/de/metanav/an-betroffene-angehoerige-hilfe-suchende.html (accédé le 30.4.2021).
19 NPG. Documents [Internet]. https://www.npg-rsp.ch/fr/documents.html (accédé le 29.4.2021).
20 Promotion Santé Suisse. Publications sur le thème de la santé psychique [Internet]. https://gesundheitsfoerderung.ch/grundlagen/publikationen/psychische-gesundheit.html (accédé le 29.4.2021).
21 prevention.ch [Internet]. https://www.prevention.ch (accede le 30.4.2021).
22 Promotion Santé Suisse. Thème clé «Encouragement précoce» [Internet]. Alimentation et activité physique chez les enfants et les adolescents. https://gesundheitsfoerderung.ch/kantonale-aktionsprogramme/ernaehrung-und-bewegung/kinder-und-jugendliche/fokusthemen/kleinkindbereich.html (accédé le 29.4.2021).
23 Wieber F, von Wyl A, Crameri A, Dratva J, Passalaqua S, Zysset A. Étude sur la santé mentale dans le cadre des soins pédiatriques et de la médecine de famille [Internet]. Berne: Office fédéral de la santé publique OFSP; Report No. M10. https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/das-bag/publikationen/forschungsberichte/forschungsberichte-interprofessionalitaet-im-gesundheitswesen/forschungsberichte-interprofessionalitaet-m10-psychische-gesundheit.html
24 Take care – Renforcer la psyché des enfants et des adolescents [Internet]. https://www.zhaw.ch/takecare (accédé le 29.4.2021).