Réduire les coûts de la santé par la participation aux frais?

Zu guter Letzt
Édition
2021/34
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2021.19986
Bull Med Suisses. 2021;102(34):1112

Affiliations
Prof. Dr méd., membre de la rédaction

Publié le 25.08.2021

The challenge is to create cost-sharing models which do not preclude vulnerable populations from seeking essential health care [1].
Dans le contexte de l’augmentation inéluctable des coûts de la santé, une participation aux frais sous forme de franchise ou de quotepart a été introduite comme moyen de diminuer les prestations considérées comme inutiles. Cette idée se base sur la théorie économique que la gratuité d’une prestation augmente son utilisation (l’aléa moral, moral hazard). Une publication princeps de la RAND Corporation [2] est en général citée pour affirmer que cette théorie s’applique aussi au système de santé.
Cette enquête publiée en 1981 se base sur 7706 person­nes avec des polices alternatives d’assurance de santé. Les personnes avec une couverture complète des soins dépensaient 50% de plus que celles avec une partici­pation aux frais. Le copaiement semblait donc être le moyen adéquat pour combattre l’ascension des coûts de la santé. L’étude ne pouvait cependant pas établir si la participation diminuait la surconsommation ou des prestations utiles. Le problème principal de ce rapport est qu’il n’a pas inclus des personnes de plus de 65 ans. La RAND Corporation a par ailleurs poursuivi ses étu­des et constaté que chez les personnes pauvres la participation de seulement un dollar diminuait certes les consultations (8%), mais augmentait les hospitalisations de 17%. Leurs conclusions étaient alors beaucoup plus prudentes: «Copayments could be self-defeating as a method of controlling medical costs in a welfare population» [3].
Une étude publiée en 2010 incluant près de 900 000 personnes au-delà de 65 ans a également montré l’ambiguïté de la participation aux frais de la santé: une hausse modeste de cette participation diminue certes le nom­bre de consultations, mais augmente les hospitalisations [4]. Cet effet était particulièrement évident chez des patients à faible revenu et atteints d’une maladie chronique. Elever la participation aux frais risque donc d’accroître les coûts totaux de la santé. Depuis, plusieurs revues et méta-analyses ont conclu qu’une élévation de la participation peut amener à plus de visites aux urgen­ces et augmenter les hospitalisations, retarder la prise en charge de maladies chroniques, empêcher des mesures de prévention comme la mammographie et la colonoscopie et diminuer l’utilisation de médicaments essentiels [5].
En Suisse, différentes interventions parlementaires visent une élévation de la franchise ordinaire, bien que la Suisse soit le pays où la participation aux frais est parmi les plus élevées du monde: les ménages paient 30,5% des coûts par les cotisations et 24,9% en copaiements. On peut argumenter que, dans un pays riche, une telle participation peut être justifiée, mais elle a clairement entraîné des effets néfastes: 16,2% de la population a renoncé à des prestations pour des raisons financières, chiffre qui augmente à 22,5% pour les personnes à bas revenu et 23,3% pour des personnes à niveau d’éducation secondaire [6]. Sont particulièrement concernées les consultations médicales (16%), les traitements (10%) et les médicaments (9%). De plus, les patients présentant un mauvais état de santé sont particulièrement touchés [1]. Ces renoncements ont triplé entre 2010 et 2016.
On peut donc conclure que la participation aux frais, même élevée, n’affecte guère la santé des personnes aisées et en bonne santé. Au contraire, elle permet de baisser les coûts en diminuant les consultations et la prise de médicaments souvent inutiles. Cependant elle est, surtout quand elle est élevée, néfaste pour des personnes en situations économique et de santé précaires. Pour cette population, un accès gratuit pourrait même réduire les coûts totaux, car il diminuerait les hospitalisations.
Il doit y avoir d’autres moyens de réduire les coûts sans empêcher l’accès à la santé à une part de la population par une participation démesurée aux frais!
johann.stalder[at]unige.ch
1 Huber CA, Rüesch P, Mielck A, Böcken J, Rosemann T, Meyer PC. Effects of cost shar­ing on seeking outpatient care: a propensity-matched study in Germany and Switzerland. J Eval Clin Pract. 2012;18:781–7.
2 Newhouse JP, Manning WG, Morris CN, et al. Some interim results from a controlled trial of cost sharing in health insurance. N Engl J Med. 1981;305:1501–7.
3 Helms LJ, Newhouse JP, Phelps CE. Copayments and demand for medical care: the California Medicaid experience. Santa Monica, CA; Rand: 1978. http://www.rand.org/pubs/reports/2005/R2167.pdf
4 Trivedi AN, Moloo H, Mor V. Increased ambulatory care copayments and hospitalizations among the elderly. N Engl J Med. 2010;362:320–8.
5 Remler DK, Greene J. Cost-sharing: a blunt instrument. Annu Rev Public Health. 2009;30:293–311.
6 Participation aux coûts dans l’assurance obligatoire des soins. Rapport du Conseil fédéral en réponse au postulat Schmid-Federer du 22.3.2013 (13.3250 «Effets de la franchise sur la consommation de prestations médicales»), 28.6.2017. www.bag.admin.ch/dam/bag/fr/dokumente/