Pouvoir et responsabilité

Zu guter Letzt
Édition
2021/26
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2021.19941
Bull Med Suisses. 2021;102(26):902

Affiliations
Membre de la rédaction Ethique, responsable du département Ethique médicale et formation postgraduée, Hôpital de l’Ile, Berne

Publié le 29.06.2021

«Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités.» Cette phrase m’a fasciné lorsque je l’ai entendue pour la première fois. C’est limpide, en fait: quiconque dispose d’un grand pouvoir doit être attentif à la manière dont elle ou il en fait usage et se montrer responsable pour le bien du plus grand nombre. Ce fut une source d’inspiration, car jamais auparavant je n’avais réfléchi au lien concret entre pouvoir et responsabilité. Or cette citation ne provient malheureusement pas d’un manuel d’éthique, mais de la superproduction américaine Spiderman. Dans l’une des scènes du film, le jeune Spiderman découvre ses superpouvoirs et son oncle lui explique qu’il doit les mettre à profit pour le bien de l’humanité. D’où mon étonnement que cette formule ne figure pas dans un manuel d’éthique mé­dicale.
Je le dis sans ironie. A aucun moment durant leurs études et leur formation postgraduée, on n’explique aux jeunes médecins le pouvoir qu’elles et ils ont et les structures de pouvoir dans lesquelles elles et ils évoluent. La notion de pouvoir ne doit pas se comprendre de façon négative (cf. Spiderman), mais le manque de réflexion à ce sujet m’étonne, d’autant plus que les hôpitaux sont des lieux où les structures de pouvoir sont omniprésentes. Ne serait-il pas pertinent d’expliquer aux jeunes médecins la différence entre pouvoir structurel et pouvoir d’action et de les inciter à réfléchir au pouvoir symbolique? De les rendre attentives et attentifs au pouvoir qu’elles et ils exerceront un jour sur leur patientèle et comment le faire de manière responsable? Le fait qu’elles et ils en savent beaucoup plus sur la santé et la maladie, la prévention, les fonctions corporelles, les diag­­nostics et les traitements les place automatiquement, et j’espère involontairement, dans une position de pouvoir face à leurs patientes et patients en consultation.
Ma propre discipline, l’éthique médicale, n’est guère mieux lotie, car même dans la principale base théorique qui la sous-tend, à savoir les quatre principes éthiques principaux, la question du pouvoir n’est pas abordée. L’éthique médicale se regroupe autour de ­l’application de quatre principes de base censés aider les médecins à structurer leur réflexion dans des ­situations délicates. Il s’agit des principes suivants: ­autonomie (i), non-malfaisance (ii), bienfaisance (iii) et justice. Lesdits principes offrent certes un cadre qui permet d’assumer une posture éthique envers sa patientèle, mais n’incitent pas à la réflexion quant au rôle de médecin et au contexte de pouvoir hiérarchique qui règne dans les cliniques. L’éthique médicale se limite donc principalement aux situations personnelles des patientes et patients sans théoriser ni réfléchir à des questions d’ordre institutionnel ou organisationnel.
Dans l’éthique du care, on retrouve un peu plus de réflexion au sujet du pouvoir (on parle parfois même d’éthique médicale féministe). L’éthique du care n’est justement pas basée sur une supposée autonomie des patientes et patients, mais plutôt sur la pensée qu’il n’existe pas de réelle autonomie et que nos relations les uns avec les autres et nos dépendances doivent être incluses dans la réflexion. C’est pourquoi cette éthique du care a une approche résolue de la question du pouvoir: la question du pouvoir doit être nommée, appréhendée et réfléchie à chaque fois que des personnes s’asseyent autour d’une table. En effet, de manière consciente ou inconsciente, chacune et chacun arrive avec ses prétentions et ses intérêts en matière de pouvoir. En guise de conclusion, je dirais que nous devrions inciter les jeunes médecins à réfléchir à ces questions pour qu’elles et ils n’aient pas à l’apprendre par le biais des films de Spiderman.
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