La sécurité des soins commence par le nombre de médecins

FMH
Édition
2021/12
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2021.19715
Bull Med Suisses. 2021;102(12):416

Affiliations
Dr méd., vice-président de la FMH, responsable du département Données, démographie et qualité DDQ / ASQM

Publié le 24.03.2021

«Quand le chef sort à 17 heures, c’est qu’il a pris congé l’après-midi»: ce n’est là qu’une des nombreuses plaisanteries qui circulaient du temps où je faisais ma ­spécialisation. Même s’il y a une trentaine d’années les horaires de travail étaient bien différents de ce qu’on connaît aujourd’hui, la statistique médicale 2020 présentée dans ce numéro du BMS montre une fois de plus que les horaires des médecins suisses restent sensiblement plus lourds que ceux de la moyenne de la population active. Alors qu’un horaire à plein temps se meut entre 40 et 42 heures par semaine dans les autres professions, le temps de travail moyen de 47 heures recensé au sein du corps médical correspond en fait à une charge de travail partielle de 85%! Une charge de travail complète en médecine représente ainsi pas moins de 55 heures en moyenne. Dit autrement, le plein temps d’un médecin correspond à 1,31 équivalent plein temps dans les autres professions.
Pourquoi est-ce que je vous fatigue ici avec cette comptabilité digne d’un carnet du lait? Tout simplement parce que les comparatifs internationaux en matière de densité médicale ne tiennent pas compte de cet aspect. Du simple point de vue du nombre de médecins, nous nous trouvons dans une situation comparable à celle de nos voisins européens, et globalement, la tendance est à un allègement de la charge de travail moyenne. Si toutefois nous divisons notre densité médicale de 4,5 médecins pour 1000 habitants par 1,31, cette même densité tombe à un peu moins de 3,4, un chiffre inférieur à la moyenne de l’OCDE. Tout cela, me direz-vous, ce sont des tendances à long terme. Eh bien non, nous y sommes déjà! Nous compensons notre déficit patent de spécialistes par une importation massive de médecins de l’étranger: plus d’un tiers (37,4%) des collègues en exercice dans notre pays sont titulaires d’un diplôme acquis à l’étranger et n’ont pas étudié la médecine en Suisse. Et les tout derniers chiffres collectés montrent que cette pro­portion s’est encore accrue de 1,1%.
Je tiens dans cet éditorial à vous remercier toutes et tous, que vous soyez originaires de Suisse ou d’ailleurs, pour votre infatigable engagement en première ligne, de jour comme de nuit, qui permet de faire ­fonctionner et de conserver notre excellent système de santé. En même temps, je ressens quelque préoccupation ainsi qu’une certaine gêne. De la préoccupation car je me demande combien de temps nous pourrons encore compter sur ce soutien massif de l’étranger, et de la gêne car nous contribuons ainsi au phénomène de la fuite des cerveaux, qui touche les régions les plus défavorisées de la planète, et nous profitons des investissements que d’autres ont consentis pour former leur population. Vous trouvez que je peins le diable sur la muraille? Je ne pense pas. Les équivalents plein temps n’ont que légèrement augmenté par rapport à l’année précédente (+0,03%), malgré une augmentation du nombre de médecins de 1,63%! Et qu’une chose soit claire : le temps partiel n’est pas un phénomène de genre. La réduction du temps de travail entre 2010 et 2020 a touché tous les domaines d’activité et elle est particulièrement prononcée chez les hommes, ainsi que dans les cabinets et en médecine de premier recours. En analysant la pyramide des âges et son évo­lution année après année, on ne peut éviter d’en tirer certaines conclusions: nous allons manquer de main-d’œuvre avant que de manquer d’argent.