L’évaluation de la capacité de travail

Le certificat médical – 1ère partie

Organisationen der Ärzteschaft
Édition
2021/15
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2021.19629
Bull Med Suisses. 2021;102(15):497-499

Affiliations
a Dre iur., juriste, Service juridique de la FMH, chargée de formation de la Swiss Insurance Medicine (SIM); b Dr méd., MAS en médecine d’assurance, président de la Commission de formation postgraduée et continue de la SIM, médecin-chef Association Suisse d’Assurances; c Dr méd. MSc, p.-d., responsable du secteur de la médecine d’AEH AG, responsable de la formation en appréciation de la capacité de travail (ACT) de la SIM; d Dr méd. M.H.A, président de la SIM, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, cabinet à Zurich

Publié le 14.04.2021

Cet article est le premier d’une courte série consacrée aux multiples facettes des certificats médicaux, situés à la frontière de la médecine et du droit. Cette série vise à donner des pistes pour aider les médecins à les établir correctement, en parti­culier compte tenu de nouveaux aspects comme la télémédecine.

Introduction

Pour évaluer la notion de capacité de travail, les auteurs se sont appuyés sur deux contributions parues dans le Bulletin des médecins suisses: «L’évaluation de l’incapacité de travail – un art impossible à mettre en œuvre?» [1] et «Certificats d’incapacité de travail: les médecins toujours plus dans la ligne de mire de la justice» [2]. L’incertitude dont témoignaient ces parutions reste très actuelle.

Le rôle du médecin

La personne qui applique la loi, que ce soit l’administration ou le tribunal, dépend de l’évaluation du médecin pour pouvoir juger du degré de l’incapacité de travail.
«Le médecin a pour mission d’évaluer l’état de santé et de commenter le degré d’incapacité de travail de l’assuré et la nature des activités qu’il ne peut pas exercer. En outre, les informations médicales constituent une base importante pour évaluer la question de savoir quelles activités professionnelles l’assuré peut encore exercer.» [3] Le médecin est tenu de se limiter à des évaluations médicales, il ne lui revient pas d’en tirer des conclusions juridiques [4].
Avant d’établir un rapport, le médecin est tenu de se poser les trois questions suivantes:
– Qui est mon mandant?
– Dans quel domaine du droit (droit des assurances sociales ou droit privé) est-ce que j’interviens?
– Suis-je suffisamment couvert par la législation sur la protection des données et dans quelle mesure suis-je libéré du secret professionnel dans ce cas précis?
Ces questions doivent être clarifiées dès le départ.
Nous expliquerons ci-après que l’évaluation de la capacité ou de l’incapacité de travail se situe précisément à la frontière de la médecine et du droit. Ce processus est complexe dans la mesure où le professionnel de la santé doit évaluer sur le plan médical la notion juridique d’«incapacité de travail». De plus, l’évaluation de l’incapacité de travail se fonde sur un certificat qui peut être désigné par des termes différents: certificat médical, certificat d’aptitude au travail et certificat d’incapacité de travail.
«La délivrance d’un certificat médical est une procédure de routine, mais néanmoins une tâche exigeante dans laquelle il faut concilier divers intérêts. Les médecins se trouvent pris entre leurs activités purement médicales et les attentes du patient, de l’employeur et des assurances sociales.» [5] Cette citation est extraite d’un article paru dans le BMS en 2014. Sept années plus tard, ce constat reste d’actualité.
En matière de certificats médicaux, les médecins doivent faire face aux attentes ­divergentes des patients, des employeurs et des assurances sociales.

Certificat médical: inscription dans la loi

Le problème du certificat médical réside dans le fait qu’il n’existe de définition ni dans la loi ni dans les ordonnances qui préciserait la pratique par la jurisprudence sur la base de cas concrets.
L’exigence d’un certificat médical figure à l’art. 28, al. 5, de la loi sur l’assurance-chômage: «Le chômeur doit apporter la preuve de son incapacité ou de sa capacité de travail en produisant un certificat médical.»

Qualification juridique du certificat médical

L’article 34 du Code de déontologie de la FMH stipule que les certificats médicaux, les rapports et les ex­pertises sont des documents officiels. Sur le plan ­pénal, le certificat médical est un titre. Les certificats de complaisance sont interdits et relèvent du droit pénal.

Les certificats médicaux et leur champ d’application

Les certificats médicaux revêtent une grande importance dans le cadre du droit du travail, aussi bien concernant le maintien du salaire par l’employeur ou le versement des indemnités journalières par les assurances-accidents ou les assurances d’indemnités journalières maladie. Les employés présentent un certificat d’incapacité de travail à l’employeur afin de prouver leur incapacité de travail. Selon l’art. 8 CC, le fardeau de la preuve incombe à l’employé. La relation de confiance entre l’employeur et l’employé joue un rôle important à cet égard. Elle se reflète également dans le délai à partir duquel l’employeur exige la présentation d’un certificat d’incapacité de travail. Souvent, les employeurs exigent un certificat médical après un ou trois jours. Actuellement, le Conseil fédéral a été chargé, dans le cadre d’un postulat (13.3224 de Ruth Humbel), d’examiner des sources de financement alternatives pour la délivrance d’un certificat médical. Le Conseil fédéral voit dans l’établissement de certificats médicaux par téléphone une solution possible pour réduire les coûts. Les certificats médicaux délivrés par téléphone devraient être utilisés plus fréquemment, en particulier dans les cas moins graves. À cet égard, il convient de noter que les certificats médicaux délivrés sous forme numérique prennent une place toujours plus importante dans la médecine d’assurance, à la faveur des progrès de la numérisation ­résultant de la pandémie de COVID-19 [6].

Exigences relatives au certificat médical

Le certificat médical valide une incapacité de travail ou une capacité de travail. Plus le degré d’incapacité de travail est élevé et plus l’incapacité dure, plus le risque d’octroi d’une rente est élevé.
La loi ne prévoit aucune obligation formelle, mais pour des motifs de preuve, il est conseillé de délivrer un certificat médical par écrit [7]. Pour être valable, un certi­ficat médical doit comprendre un minimum d’informations telles que la date de délivrance, le début du traitement ou la date de la première consultation, des déclarations concrètes, compréhensibles et non ambiguës sur la durée et l’étendue de l’incapacité de travail et le nom du bénéficiaire. Un certificat médical destiné à l’employeur ne doit pas faire état du diagnostic retenu, à moins que le médecin ait été expressément ­délié du secret médical par le patient. «En règle générale, les certificats médicaux uniquement fondés sur les descriptions du patient et qui sont délivrés sans les constatations objectives du médecin ou seulement quelques mois plus tard ne sont pas susceptibles de constituer une preuve.» [8]
La nouvelle jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de droit des assurances sociales exige que, dans le cas de maladies psychiques, l’évaluation de la capacité de travail d’un assuré se fonde sur l’examen d’indi­cateurs standards qui – compte tenu des facteurs de stress externes qui entravent la performance d’une part et du potentiel de compensation (ressources) d’autre part – permettent d’évaluer la capacité fonctionnelle que l’assuré peut effectivement atteindre [9]. Une évaluation complète, telle que prévue par les indicateurs standards selon l’ATF 141 V 281, requiert des connaissances approfondies en psychiatrie d’assurance et peut être attendue, dans la mesure exigée par le Tribunal fédéral, d’un expert formé, mais guère d’un médecin de premier recours. Ainsi, selon l’ATF 141 V 281, le médecin doit, entre autres, se prononcer sur le succès ou la résistance au traitement et à l’intégration et sur la personnalité; une évaluation de la cohérence est de plus attendue. Toutefois, le médecin de premier recours n’est pas dispensé de l’obligation de connaître les indicateurs standards et, lorsqu’il en a les com­pétences, d’en tenir compte dans son évaluation de la capacité de travail.

Date de délivrance du certificat médical

Il faudrait éviter de délivrer des certificats médicaux rétroactifs. Ce n’est que dans des cas exceptionnels et particuliers qu’un certificat médical peut être délivré avec effet rétroactif – de quelques jours au maximum – mais il doit être possible de retracer et de contrôler les faits.
Même dans ce cas, un médecin ne devrait délivrer le certificat que dans des cas exceptionnels et de manière très limitée, ne serait-ce que pour sa propre sécurité; ­sinon, un certificat médical délivré rétroactivement pourrait être considéré comme une faveur et pourrait comporter des risques de poursuites pénales ou dé­on­tologiques [10].

Notion d’incapacité de travail dans le droit des assurances sociales: inscription dans la loi

L’incapacité de travail est définie à l’art. 6 de la loi fé­dérale sur la partie générale du droit des assurances ­sociales (LPGA). La notion d’incapacité de travail est une notion juridique, mais l’évaluation médicale ­appartient au médecin. «Il s’agit d’une question de fait à laquelle il incombe surtout au médecin de répondre.» [11]
Est réputée incapacité de travail toute perte, totale ou partielle, de l’aptitude de l’assuré à accomplir dans sa profession ou son domaine d’activité le travail qui peut raisonnablement être exigé de lui, si cette perte résulte d’une atteinte à sa santé physique, mentale ou psychique. En cas d’incapacité de travail de longue ­durée, l’activité qui peut être exigée de lui peut aussi relever d’une autre profession ou d’un autre domaine d’activité.
La profession antérieure et les tâches y relatives sont ainsi visées. Par capacité d’accomplir des travaux habituels, on entend notamment l’activité au sein du foyer et celle de pourvoir à l’éducation des enfants. Selon l’art. 6 de la LPGA, la notion d’exigibilité est un critère important dans l’évaluation de l’incapacité de travail.
Pour le maintien ou la réintégration dans un emploi, il est recommandé d’employer le terme de «capacité de travail», étant donné que l’employeur doit être informé du travail que l’employé peut effectuer. Il existe pour cela le profil d’intégration axé sur les ressources (PIR) [12] et, pour l’évaluation de la capacité de travail, le certificat de capacité de travail de la Swiss Insurance Medicine (certificat médical en cas de maladie et d’accident) [13].

Notion d’incapacité de travail dans le droit des assurances privées

En droit des assurances privées, la notion d’«incapacité de travail» est définie dans les conditions générales d’assurance qui en découlent. Même si le médecin doit évaluer l’incapacité de travail d’un point de vue purement médical, il est recommandé de prendre connaissance de la définition de l’incapacité de travail dans les conditions générales d’assurance ou de se la procurer auprès du patient. En droit des assurances privées, l’évaluation de la capacité de travail joue un rôle particulièrement important dans le droit de la responsa­bilité civile en cas de dommages corporels et dans le domaine des indemnités journalières.

L’essentiel en bref

• Le certificat médical est un titre au sens du droit pénal. Les certificats de complaisance sont interdits et relèvent du droit pénal.
• Les certificats médicaux ne devraient en principe pas être établis rétroactivement.
• L’exactitude et le caractère vérifiable d’un certificat médical sont les critères décisifs qui déterminent sa force probante.
• Pour le maintien ou la réintégration dans un emploi, il est ­recommandé d’employer le terme de «capacité de travail». L’employeur est alors informé de la mesure dans laquelle on peut raisonnablement s’attendre à ce que l’employé travaille ou du travail qu’il peut effectuer.
Dre iur. Iris Herzog-Zwitter
Service juridique de la FMH
Nussbaumstrasse 29
Case postale 300
CH-3000 Berne 15
iris.herzog[at]fmh.ch
 1 Ott R. Beurteilung der Arbeitsunfähigkeit – eine Kunst, die ­niemand kann? Bull Med Suisses. 2019;100(03):44.
 2 Rudolph R. Arbeitsunfähigkeitszeugnisse: Ärzte zunehmend im Fokus der Justiz (Teil 1). Bull Med Suisses. 2010;91(22):864.
 3 Arrêt du Tribunal administratif fédéral du 27.03.2020 ­(C-7009/2018), consid. 5.4.4.
 4 Bases juridiques pour le quotidien du médecin FMH/ASSM – Un guide pratique, p. 143.
 5 Eva Ebnöther. Das Arztzeugnis im Brennpunkt unterschied­licher Interessen. SÄZ-Podiumsdiskussion. Bull Med Suisses. 2014;95(4):109.
 6 www.bag.admin.ch/bag/fr/home/das-bag/aktuell/medienmitteilungen.msg-id-80805.html (consulté pour la dernière fois le 27.12.2020).
 7 www.fmh.ch/files/pdf23/standesordnung-september-­2019_fr.pdf (consulté pour la dernière fois le 20.01.2021).
 8 Tribunal administratif du canton de Zurich du 30.09.2015 (VB.2014.00739), consid. 5.2.
 9 ATF 141 V 281 consid. 2; consid. 3.4-3.6 et 4.1.
10 Voir l’art. 34 du Code de déontologie de la FMH, selon lequel les certificats de complaisance sont interdits.
11 Kieser, n° 17 ad art. 3 LPGA.
12 rep.compasso.ch/ (consulté pour la dernière fois le 20.1.2021).