Autres groupements et institutions
Une pandémie durable demande solidarité et responsabilité
a Dr phil., éthicienne, Université de Bâle, Institut de sciences infirmières; b Dr théol., éthicienne, Institut Dialog Ethik; c Prof. Dr méd., dipl. soc., éthicienne clinique, Université de Zurich, Institut d’éthique biomédicale et d’histoire de la médecine, Hôpital universitaire de Zurich; d Prof. (FH), PhD, RN, éthicien clinique, professeur en haute école, Haute école spécialisée bernoise, département Santé, Université de Zurich, Institut d’éthique biomédicale et d’histoire de la médecine, Hôpital universitaire de Zurich; e M.A., éthicien clinique, Hôpital universitaire de Bâle
La pandémie de coronavirus bouleverse de larges pans de la vie sociale, économique et politique. La pénurie des ressources exige de toute urgence la mise en œuvre concrète d’une solidarité ainsi qu’une coordination responsable entre les autorités, les organisations, les institutions, les générations et les individus. Les éthiciens suisses formulent quatre postulats en ce sens.


Lors de la première vague de la pandémie, le risque de surcharge du système de santé, la protection de la vie et de la qualité de vie des groupes de personnes vulnérables ainsi que l’équipement des établissements de santé en matériel de protection ont constitué les priorités. L’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) [1], la Société Suisse de Médecine Intensive (SSMI) [1, 2], la Commission nationale d’éthique dans le domaine de la médecine humaine [3], la Swiss National COVID-19 Science Task Force [4], l’Association suisse des infirmiers et infirmières (ASI) [5–7], la Fondation Dialog Ethik [8] ainsi qu’un groupe d’éthiciens de Suisse [9] ont souligné à plusieurs reprises les défis éthiques que la situation implique. La deuxième vague a vu ces défis s’accentuer, tandis que de nouveaux venaient s’ajouter. Ce contexte a mis en évidence de nouveaux groupes de personnes vulnérables aux conséquences de la pandémie, tels que les enfants, les familles, les familles monoparentales, les seniors seuls ou les personnes en situation de précarité sociale. En outre, la crise sanitaire a intensifié les défis auxquels le système de santé fait actuellement face: sous-financement des prestations ambulatoires et stationnaires, déficit de financement des mesures spécifiques à la pandémie, manque de coordination des prestataires dans un contexte de pénurie des ressources et épuisement physique et mental du personnel de santé. Déjà connus, ces défis constituent, lors de la pandémie de coronavirus, une menace pour la garantie des soins médicaux, mission confiée aux institutions à l’égard de la population résidante dans son ensemble.
Quatre postulats
Les auteurs et autrices du présent appel exposent ci-après quatre aspects dans lesquels, selon eux, le postulat éthique d’une solidarité concrète et de la responsabilité est particulièrement compromis. Ils enjoignent les responsables au niveau fédéral, cantonal et communal, ainsi que les fournisseurs et financeurs de prestations à prendre des mesures concrètes rapides visant à renforcer les soins médicaux de base, à protéger les groupes de personnes vulnérables et à garantir la coordination des transferts et du triage, s’il est inévitable.
1. Renforcement des soins médicaux de base
Piliers d’un système de santé fonctionnel, les soins médicaux de base doivent précisément être renforcés en période de pandémie. Ce processus passe par une meilleure intégration de la médecine de famille et de l’aide et des soins à domicile dans les mesures de santé publique liées à la pandémie ainsi que par la prise en charge et les soins à domicile des personnes atteintes de COVID-19 et d’autres patients gravement malades qui ne souhaitent pas être hospitalisés. L’accès aux soins palliatifs des patients COVID-19 doit être garanti indépendamment du lieu de traitement (EMS, hôpital ou domicile). De même, il convient de consolider la prise en charge psychiatrique, psychothérapeutique et psychologique pour faire face aux besoins aigus et atténuer les conséquences à long terme de la pandémie sur la santé mentale. Enfin, le développement de la télémédecine doit également contribuer au renforcement des soins médicaux de base.
2. Protection des groupes de personnes vulnérables
La protection, le bien-être et la préservation de la qualité de vie des personnes vulnérables incombent à la collectivité et constituent de ce fait également une obligation essentielle pour tous les acteurs du domaine de la santé et du secteur social. La pandémie de COVID-19 a créé différents groupes de personnes vulnérables. De multiples facteurs accentuent cette vulnérabilité: l’âge (p. ex. enfants, personnes âgées), les conditions sociales (jeunes en âge d’être scolarisés, familles monoparentales, pensionnaires d’EMS), l’état de santé (p. ex. groupes à risque) ou le lieu de travail (p. ex. domaine de la santé et secteur social). Les droits de la personne des pensionnaires d’EMS et autres habitats collectifs doivent impérativement être respectés, ce qui inclut la garantie d’accès accordée aux «visiteurs essentiels», c’est-à-dire aux proches aidants, aux curateurs et aux professionnels (p. ex. médecins de famille, aumôniers, etc.). Le personnel de santé a besoin de mesures de protection efficaces afin de préserver son intégrité physique et mentale. Il faut également empêcher par tous les moyens que des collaborateurs testés positifs au virus se retrouvent en contact avec des patients et des pensionnaires. En outre, le personnel malade doit pouvoir bénéficier d’un temps de guérison adéquat. Enfin, des structures de soutien éthique faciles d’accès devraient être mises à disposition à l’échelle nationale pour les questions éthiques relatives aux personnes vulnérables.
3. Critères de triage et de transfert transparents et coordination
Les ressources doivent être coordonnées de manière optimale aux niveaux local et national afin d’éviter les situations de triage pour tous les patients dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Un triage purement préventif «silencieux» (ou implicite) de certains groupes de personnes, p. ex. en raison de leur âge ou de leur résidence en EMS, n’est éthiquement pas admissible. Si un triage s’impose, celui-ci doit s’effectuer selon des critères transparents, respecter des directives établies [1] et inclure la volonté des personnes concernées. Si une telle opération se révèle impérative au niveau local avant que ne soient établis un triage et une coordination à l’échelon national – p. ex. par manque de capacités et d’options de transfert locales–, celle-ci doit être menée en toute transparence et prendre modèle sur les directives de l’ASSM/SSMI [1]. Des structures de soutien éthique devraient être mises à disposition sur site pour les questions éthiques relatives aux décisions de triage.
4. Financement durable
Outre les soins médicaux de base, les hôpitaux et les cliniques contribuent de manière déterminante à maîtriser la pandémie. Dans de nombreuses structures hospitalières, l’obligation de mise à disposition des capacités pendant la crise du coronavirus a entraîné des pertes de recettes considérables qui n’ont pas encore été couvertes ou seulement en partie. Il convient de clarifier de manière rapide et explicite auprès de tous les participants les questions d’équité financière, autrement dit du refinancement public des hôpitaux souffrant d’un déficit de fonds. La pandémie de COVID-19 ne doit avoir aucune incidence négative sur les contrats relatifs aux listes hospitalières. De même, il s’agirait de suspendre, pendant la pandémie, le relevé du nombre de cas en vue de l’attribution de mandats de prestations de soins, à l’exception de celui effectué par le Service sanitaire coordonné. La médecine ambulatoire comme la médecine stationnaire doivent être mises sur un pied d’égalité aux niveaux matériel et financier ainsi que du personnel afin de mieux gérer les graves conséquences de la crise. La transparence et la coordination en matière de répartition des patients permettront d’éviter des situations de triage au niveau local, garantissant ainsi des soins médicaux à l’ensemble de la population.
Cet appel est soutenu par les personnes suivantes (par ordre alphabétique)
– Andrea Büchler, Prof. Dr iur. Dr h.c., présidente de la Commission nationale d’éthique dans le domaine de la médecine humaine (CNE)
– Thomas Gruberski, Dr iur., et Sibylle Ackermann, lic. théol., dipl.-biol., ressort Ethique, Académie Suisse des Sciences Médicales
– Thomas Heiniger, Dr iur., président Aide et soins à domicile Suisse
– Annina Hess-Cabalzar, M.A. Psychothérapie, et David Nadal, Prof. Dr méd., présidence de l’Akademie Menschenmedizin
– Susanne Hochuli, présidente de la fondation Organisation suisse des patients (OSP)
– Samia Hurst, Prof. Dr méd., Swiss National COVID-19 Science Task Force, responsable du groupe d’experts sur les questions éthiques, juridiques et sociales
– Isabelle Moret, présidente H+ Les Hôpitaux de Suisse
– Bianca Schaffert, M.Sc.N., présidente de la Commission d’éthique Association suisse des infirmiers et infirmières
– Johanna Sommer, Prof. Dr méd. (FMH AIM), directrice unité des internistes généralistes et pédiatres, Faculté de médecine, Université de Genève
– Franziska Sprecher, Prof. Dr iur., professeure en droit de la santé, Université de Berne
– Laurent Wehrli, président CURAVIVA Suisse, et Markus Leser, Dr phil., responsable du domaine spécialisé personnes âgées CURAVIVA Suisse
Co-auteurs/co-autrices
Bernice Elger, Prof. Dr méd.; Isabelle Karzig, M.Sc.N., M.A.E.; Diana Meier-Allmendinger, Dr méd., lic. theol.; Andrea Moser, M.Sc.N.; Reto Stocker, Prof. Dr méd.; Manuel Trachsel, PD Dr méd. Dr phil.; Tatjana Weidmann-Hügle, M.Sc., M.A.
L’essentiel en bref
• La gestion de la pandémie de COVID-19 pose des défis majeurs à la société. Les spécialistes en éthique médicale suisses ont formulé quatre postulats pour garantir que la crise soit traitée de manière responsable et dans un esprit de solidarité.
• Ils demandent le renforcement des soins primaires, la protection des groupes vulnérables, des critères de triage et de transfert transparents, la coordination et le (re)financement durable des services médicaux.
Crédits
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Adresse de correspondance
Settimio Monteverde
Universität Zürich
Institut für Biomedizinische Ethik und Medizingeschichte
Winterthurerstrasse 30
CH-8006 Zurich
Tél. 044 634 40 81
settimio.monteverde[at]uzh.ch
Références
2 www.sgi-ssmi.ch/files/Dateiverwaltung/COVID_19/Stellungnahmen%20SGI/IMSGCVCM_Stellungnahme_COVID-19_201217_DE_06.pdf (en allemand seulement)
4 https://sciencetaskforce.ch/fr/groupe-dexperts-ethique-droit-et-social/
5 www.sbk.ch/fr/news-single?tx_news_pi1%5Bnews%5D=529
6 www.sbk.ch/files/sbk/Aktuell/covid_19/2020_05_08_Eth_Herausforderungen_SARS-CoV2_def_f.pdf
7 www.sbk.ch/files/sbk/pflegethemen/docs/SBK-ASI_Ethik_Standpunkt_Isolation.pdf (en allemand seulement)
8 www.dialog-ethik.ch/ueber-uns/aktuell/kommentar-
zur-zeit-vom-13-november-2020 (en allemand seulement)
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