Les pesticides: quel impact pour la santé ?

Tribüne
Édition
2021/03
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2021.19442
Bull Med Suisses. 2021;102(03):102-104

Affiliations
Dr méd., spécialiste FMH en Chirurgie, formation approfondie FMH en Chirurgie viscérale, Bienne

Publié le 20.01.2021

De plus en plus d’études concluent que les pesticides de synthèse issus de l’agriculture intensive que nous absorbons nuisent à notre santé. Les atteintes et les maladies qui peuvent en découler sont souvent difficiles à repérer dans la pratique.
Une part croissante de la population suisse craint des atteintes à la santé dues à l’utilisation de pesticides dans l’agriculture. Ce malaise se manifeste par deux initiatives soumises au vote le 13 juin 2021. Les médecins pourraient être confrontés à des questions sur les effets des pesticides au cours des prochains mois.

Le processus d’homologation

L’industrie agrochimique teste constamment de nouvelles molécules. L’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) est à la fois interlocuteur des producteurs et autorité de décision. Le protocole d’étude et la décision de l’OFAG sont confidentiels [1]. Un suivi des pesticides à long terme n’a pas lieu [2]. Si, au fil des ans, des études indépendantes démontrent de graves dommages causés par les molécules, l’autorisation sera réexaminée et, au besoin, retirée.

Toxicité croissante

Les pesticides sont classés en insecticides, herbicides, fongicides et autres. Avec le temps, les ravageurs et les mauvaises herbes y deviennent résistants. Cela conduit au développement de produits de plus en plus toxiques et à l’utilisation de différentes molécules sous forme de cocktails. Ces cocktails ne sont pas testés dans le cadre du processus d’homologation, pas plus que les adjuvants dans les formulations. Les adjuvants présents dans les herbicides à base de glyphosate par exemple peuvent être plus toxiques que le glyphosate lui-même [3]. Répandre des pesticides sur les cultures est de plus en plus proscrit, les toxines s’échappant dans l’air et contaminant les eaux de surface. En réponse, l’in­dustrie a développé des pesticides dits systémiques qui sont appliqués par enrobage des graines et se répandent dans toute la plante y compris ses fruits. Ils atteignent ainsi prophylactiquement tous les insectes, ne peuvent être éliminés des fruits et s’accumulent dans le sol, car seule une petite quantité est absorbée par les plantes [4].

Ingrédients actifs: 
biologique ou de ­synthèse

L’agriculture biologique utilise des pesticides présents dans la nature. Ils sont rapidement biodégradables (sauf le cuivre) [5]. Les pesticides de synthèse, en revanche, sont basés sur des molécules développées par les chimistes. Ils ne sont pas ou que très lentement dégradés et finissent souvent par figurer sur la liste des polluants organiques persistants de la Convention de Stockholm [6]. Les principaux groupes sont les pesticides organochlorés, les organophosphorés et les néonicotinoïdes.

Pesticides organochlorés

Le représentant le plus connu est le DDT. En Suisse, il est interdit depuis 1972. Les pesticides organochlorés sont neurotoxiques (maladie de Parkinson), cancérigènes (seins, prostate, glandes lymphatiques) et hormonalement actifs. Leurs molécules sont liposolubles, stables, s’accumulent dans la chaîne alimentaire (lait maternel) et sont présentes sur tout le globe. Elles sont interdites par la Convention de Stock­holm. Cependant, les pays émergents utilisent toujours plus ces substances, qui nous reviennent sous forme de produits agricoles [7].

Pesticides organophosphorés

Développés à partir des agents chimiques tabun et ­sarin, ils sont neurotoxiques, bloquant l’acétylcholinestérase de manière irréversible. Aux Etats-Unis, on recense 10 000 cas d’empoisonnements par an. Des années plus tard, les personnes hospitalisées présentent une détérioration des performances neuropsychologiques [8]. Une étude anglaise a constaté une péjoration de mouvements contrôlés par le système nerveux central en termes de vitesse psychomotrice, d’exé­cution d’activités, de vision spatiale et de mémoire ­visuelle et de travail [9].

Néonicotinoïdes

Les néonicotinoïdes bloquent sélectivement les récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine (nAChR) dans le système nerveux central. Largement utilisés depuis leur introduction dans les années 1990, ils sont présents dans l’eau et le sol, s’accumulent dans la chaîne alimentaire et tuent à doses infimes abeilles, vers de terre et autres organismes.
Trois des huit néonicotinoïdes ont été interdits en Suisse en 2018. Les molécules diffusent fortement dans l’environnement, se dégradent difficilement et peuvent entraîner l’effondrement des écosystèmes [10]. Des concentrations toujours plus élevées de ces substances sont retrouvées chez l’humain. Elles sont tératogènes (anencéphalie, spina bifida, fentes labiales et palatines, tétralogie de Fallot), neurotoxiques (amnésie, tremblements, céphalée, autisme), génotoxi­ques, reprotoxiques (stérilité, mortinatalité, naissan­ces prématurées) [11].

Les perturbateurs endocriniens (EDC)

Ce sont des «produits chimiques exogènes ou des mélanges de ceux-ci qui interfèrent avec un aspect de l’action hormonale». Les pesticides de synthèse en font partie, mais aussi des produits chimiques tels que le bisphénol A, les phtalates et les biphényles polychlorés (PCB). Les EDC provoquent des changements physiologiques permanents dans l’embryon qui sont à l’origine de maladies non infectieuses telles que l’obésité, le diabète de type 2 et les maladies cardiovasculaires. L’EDC peut déclencher des changements épigénétiques héréditaires et affecte l’action des gènes sans mutation.
La liste de mots-clés suivante n’est qu’une sélection des effets néfastes des EDC: reprotoxicité (masculinisation, puberté précoce, irrégularités du cycle, stérilité, endométriose, naissances prématurées, carcinomes du sein, de l’utérus et des ovaires chez les femmes; cryptorchidie, hypospadias, cancer de la prostate, stérilité chez les hommes); dysfonctionnement thyroïdien, déficits cognitifs chez les deux sexes [12]. Dans l’UE, les EDC coûteraient 1,5 milliard d’euros par an au secteur public [13].

Contamination en hausse constante

Les pesticides de synthèse se dégradent mal naturellement et leurs adjuvants sont parfois plus toxiques que le produit original [3]. Ils s’accumulent dans le sol et contaminent les eaux souterraines. La population est toujours plus contaminée par contact direct et via la chaîne alimentaire [11]. Les pesticides de synthèse sont extrêmement nuisibles pour la santé humaine, mais aussi pour la biodiversité et menacent les écosystèmes [9, 10]. L’agriculture biologique permet d’éviter complètement et avec succès le recours aux pesticides de synthèse [5] qui n’ont pas leur place dans notre alimentation. Les valeurs limites n’offrent pas de protection suffisante [3, 12]. Le moins que l’on puisse faire est de réduire massivement, rapidement, de manière contraignante et contrôlée leur vente et de bannir leur utilisation prophylactique.

L’essentiel en bref

• Les pesticides de synthèse ont, tout comme de nombreux produits de l’industrie chimique et pharmaceutique, des effets secondaires néfastes pour la santé. Seul un nombre infime de produits chimiques a été étudié sur le plan toxico­logique à ce jour. La recherche se heurte à ses limites, car les pesticides de synthèse ne sont pratiquement qu’utilisés sous forme de cocktails de plusieurs substances toxiques.
• Vu le niveau élevé de contamination de la population, il est de plus en plus difficile de trouver des personnes non contaminées qui pourraient servir de contrôles dans les études épidémiologiques [14].
• La crise de la biodiversité nous obligera tôt ou tard à réduire la pollution chimique de l’environnement [10]. Il serait possible d’éliminer les pesticides de synthèse puisque des alternatives éprouvées existent dans l’agriculture [5].
Conseiller médical du comité d’initiative 
«pour une Suisse libre de pesticides de synthèse».
Dr méd. Jérôme Tschudi
Unterer Kanalweg 59
CH-2560 Nidau
Tél. 079 406 03 03
jerome.tschudi[at]hin.ch
 1 KPMG. Evaluation Zulassungsprozess Pflanzenschutzmittel. Ergebnisbericht 2019; 283. www.anmeldestelle.admin.ch > dam > chem > dokumente
 2 Milner AM, Boyd IL. Toward pesticidovigilance. Science. 2017;357(6357):1232–4. DOI: 10.1126/science.aan2683
 3 Safer A. Pestizide: Risikofaktoren (nicht nur) für neurologische Erkrankungen. www.youtube.com/watch?v=bxIJB03X2Y&list=PL ZcTZgcjUwjBRWZSasBqiUBjm_S9b6UQ&index=2
 4 Chen M, Tao L, McLean J, Lu C. Quantitative Analysis of Neo­nicotinoid Insecticide Residues in Foods: Implication for Dietary Exposures. J Agric Food Chem. 2014;62:6082–90.
 5 Tamm L, Speiser B, Niggli U. Reduktion von Pflanzenschutzmitteln in der Schweiz: Beitrag des Biolandbaus. Agrarforschung Schweiz. 2018;9(2):52–9.
 7 Jayaraj R, Magha P, Sreedev P. Organochlorine pesticides, their toxic effects on living organisms and their fate in the environment. Interdiscip Toxicol. 2016;9(3–4):90–100.
 8 Institute of Medicine (US), Committee on Health Effects Associated with Exposures During the Gulf War. Effects of Long Term Exposure to Organophosphate Pesticides in Humans. In: Fulco CE, Liverman CT, Sox HC (eds). Gulf War and Health. Vol. 1. Depleted Uranium, Sarin, Pyridostigmine, Bromide, Vaccines. Washington (DC): National Academies Press (US); 2000.
 9 Mackenzie Ross S, McManus IC, Harrison V, Mason O. Neuro­behavioral problems following low level exposure to organophosphate pesticides: a systematic and metaanalytic review. Critical Reviews in Toxicology. 2013;43(1):21–44.
10 Mason R, Tennekes H, Sanchez Bayo F, Uhd Jepsen P. Immunsuppression durch neonikotinoide Insektizide an der Wurzel des globalen Rückgangs bei Wildtieren. J Environ Immun Toxicol. 2013;1:3–12.
11 Zhao Y, Yang J, Ren J, Hou Y, Han Z, Xiao J, et al. Exposure Level of Neonicotinoid Insecticides in the Food Chain and the Evaluation of Their Human Health Impact and Environmental Risks:
An Overview. Sustainability. 2020;12(18):7523. doi.org/10.3390/ su12187523 12 Gore AC, Chappell VA, Fenton SE, Flaws JA, Nadal A, Prins GS, et al. EDC2: The Endocrine Society’s Second Scientific Statement on Endocrine Disrupting Chemicals. Endocr Rev. 2015;36(6):E1–E150.
13 Bellanger M, Demeneix B, Grandjean P, Zoeller RT, Trasande L. Neurobehavioral Deficits, Diseases, and Associated Costs of Exposure to Endocrine Disrupting Chemicals in the European Union. J Clin Endocrinol Metab. 2015;100(4):1256–66.