Visions relatives aux dommages infligés au système suisse de santé

FMH
Édition
2020/40
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2020.19252
Bull Med Suisses. 2020;101(40):1260-1262

Affiliations
Responsable Affaires publiques

Publié le 29.09.2020

Si l’on reproche souvent à nos représentants politiques à Berne de manquer de ­vision, on peinerait à faire ce reproche au Conseil fédéral, à quelques semaines du vote sur son 2e volet de mesures visant à maîtriser les coûts. Mise sous tutelle des patients, dirigisme à l’encontre des fournisseurs de prestations, renversement des décisions des partenaires tarifaires. Avec ses interventions centralisées dans la ­liberté de choix et de mouvement des patients et des assurés, et dans la marge de manœuvre dont jouissent les acteurs de notre système de santé, le Conseil fédéral semble engagé sur la voie d’une médecine pilotée par l’Etat.
On peine à imaginer que les patients suisses soient dés­ormais contraints de consulter un point de premier contact avant de se rendre chez le médecin ou le spécialiste de leur choix. Le libre choix du médecin est une évidence pour la population suisse, et il semble difficile de remettre cela en question.
Aujourd’hui, chaque assuré peut choisir le médecin qu’il entend consulter. Il peut toutefois aussi opter pour un modèle avec choix restreint. En 2018, 70% environ des assurés avaient opté pour un tel modèle d’assurance. Désormais, il est question d’obliger tous les Suisses à consulter un premier point de contact avant de recourir à une prestation médicale, et ce indépendamment de leur modèle d’assurance. Selon les représentations des visionnaires au sein du Département de l’intérieur, les patients devraient avoir l’obligation de consulter un point de premier contact, à choisir sur la liste de leur canton. Pour ce faire, ils devraient d’abord recevoir de ce point de contact la confirmation qu’il est disposé à assumer le rôle de premier conseil, puis ils remettront cette confirmation à leur assureur. Dans le cas où ils voudraient changer de point de contact, ils ne pourront le faire que si les conditions définies par le Conseil fédéral sont remplies. Ce dernier déciderait également dans quelles conditions un assureur peut imposer un point de premier contact à un assuré.

Premier conseil = conseil obligatoire pour tous

Selon la représentation du Conseil fédéral, les points de premier contact pourront être des médecins de famille, des cabinets de groupe, des centres de télémédecine ou des réseaux de soins coordonnés. Pour remplir ce rôle, les médecins devront être titulaires d’une spécialisation en médecine interne générale ou en pédiatrie,ou d’un titrede médecin praticien. Ils pourront demander au canton de les inscrire sur la liste cantonale des points de premier contact, et ce dernier décidera d’accéder ou non à leur demande. Le Conseil fédéral a l’intention de déterminer également les prestations que pourront fournir les points de premier contact et de les rémunérer au forfait. Après audition des partenaires tarifaires, il déterminera le montant de la rémunération forfaitaire que les points de premier contact toucheront par patient, ainsi que les prestations comprises dans ce forfait. Les forfaits seront versés aux points de contact indépendamment du fait que les patients auront ou non recouru à leurs prestations.
Quiconque s’engage professionnellement pour répondre au plus près aux besoins des patients et pour leur fournir la meilleure prise en charge possible ne peut pas être favorable à une rémunération forfaitaire. Tout comme il ne peut pas être favorable à ce que la ­liberté d’opter pour un modèle d’assurance à choix ­restreint soit remplacée par une obligation.
Un patient confronté par exemple à une allergie ou à une éruption cutanée préférera certainement pouvoir consulter sans délai un dermatologue, sans avoir à passer d’abord par un premier conseil. L’obligation de passer par un point de premier contact sera vécue comme une détérioration de la qualité des soins. Sans compter que ces consultations supplémentaires feront probablement augmenter les coûts de la santé.

L’objectif de maîtrise des coûts est la mesure la plus interventionniste du DFI à ce jour

L’objectif de maîtrise des coûts est l’élément du volet de mesures qui pourra avoir les incidences les plus importantes sur notre système de soins. Il modifie en effet la répartition des compétences et déplace l’équilibre des forces en donnant davantage de compétences à la Confédération. Il se fonde sur le postulat que l’administration dispose des compétences nécessaires en matière de planification pour réaliser des économies aux endroits qui s’y prêtent. Par ailleurs, l’administration semble partir du principe que son affirmation selon laquelle il devrait être possible d’économiser 20% des coûts sans perte de qualité repose sur des faits et que l’on doit pouvoir respecter l’objectif de maîtrise des coûts sans impacter la qualité des soins, du moins dans la phase de démarrage. Le Département de l’intérieur semble néanmoins conscient que ces mesures sont susceptibles d’entraîner un cauchemar administratif. Dans son rapport explicatif, le Conseil fédéral évoque une certaine charge de travail initiale pour l’exécution, puis une charge administrative constante pour la Confédération, les cantons et les partenaires tarifaires. Le DFI n’a cependant pas commandé d’étude de faisabilité. Pour l’essentiel, la Confédération entend définir un plafond général de coûts, émettre des recommandations aux cantons pour qu’ils fixent leur propre objectif en matière de coûts et dispenser quelques conseils sur la manière de répartir la hausse sur les différentes catégories de coûts. Il revient donc aux cantons de fixer leurs propres objectifs et d’édicter des dispositions cantonales concernant la répartition de la hausse des coûts, et éventuellement de la préciser un peu plus, notamment en fixant des objectifs de croissance spécifiques pour les médecins de premier recours et pour les spécialistes. Qu’elles soient facultatives ou obligatoires, les mesures correctives prendront la forme d’adaptations des conventions tarifaires. Et pour affaiblir encore le partenariat en matière de tarifs, il est probable que l’on définisse des compétences subsidiaires pour la Confédération et les cantons. Les chances de voir les partenaires tarifaires convenir d’une tarification insuffisante sont assez réduites, raison pour laquelle les cantons pourront ou devront eux-mêmes ordonner des mesures. Il s’agira essentiellement de modifications des tarifs et des prix (valeur du point, taux de base). Dans son rapport explicatif, le Conseil fédéral réfute en quelques lignes l’hypothèse selon laquelle les objectifs de maîtrise des coûts assortis de sanctions pourraient mettre à mal tout notre système d’assurances. Le respect de notre constitution ne semble pas non plus le préoccuper outre mesure. Il vaudrait pourtant largement la peine de vérifier la constitutionnalité des plans de notre ministre de la Santé.
La consultation en cours, qui se prolongera jusqu’au 19 novembre, constitue une bonne occasion pour le faire. Le message paraîtra environ six mois plus tard.

La mise en œuvre de l’objectif de maîtrise des coûts en cours d’examen au Parlement

Le Parlement est en train d’examiner une des mesures de mise en œuvre de l’objectif de maîtrise des coûts, et plus précisément les mesures des partenaires tarifaires concernant le pilotage des coûts. Ce point a été âprement discuté au sein de la commission, mais a été intégré dans la deuxième partie du 1er volet de ­mesures, et doit être soumis au Conseil national durant sa session extraordinaire de fin octobre. Cette nouvelle exigence légale doit obliger les partenaires tarifaires à s’accorder par exemple sur des tarifs dégressifs. Là aussi, un contrôle de constitutionnalité serait de mise. Si l’Etat en venait à fixer des tarifs insuffisants faute d’accord entre les partenaires tarifaires, cela contreviendrait au principe de l’assurance, comme l’a confirmé un arrêt du Tribunal fédéral, puisque le droit aux prestations prend le pas sur la tarification.
Les autres mesures du 1er volet, qui intéressent directement le corps médical, portent avant tout sur la ­question de savoir combien d’influence faut-il encore accorder à la Confédération dans le domaine de l’organisation tarifaire nationale, des tarifs et des données. Alors que le National a fait d’importantes concessions à l’ambition dévorante du Département fédéral de l’intérieur, la Commission du Conseil des Etats fait montre quant à elle d’une plus grande retenue.
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