On en sait toujours plus sur la complexité du vivant

Les arbres, nous et la biosphère

Horizonte
Édition
2020/47
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2020.19208
Bull Med Suisses. 2020;101(47):1598

Affiliations
Dr méd., membre de la rédaction

Publié le 17.11.2020

Que de lectures et initiatives intéressantes au sujet des arbres, en tant qu’individus et communautés (forêts). Je pense aux ouvrages de Peter Wohlleben [1] et de notre compatriote Ernst Zuercher, Biennois et enseignant à l’Ecole polytechnique de Lausanne et à la HES bernoise [2]. On a démontré scientifiquement chez les arbres de multiples particularités et compétences remarquables, notamment des symbioses, entre eux et avec des champignons, et des échanges, révélant que la biosphère est faite de collaborations plus que de compétition. Plus interpellantes encore sont des capacités de communication: les arbres émettent des composés volatils pour s’avertir mutuellement de dangers tels que l’arrivée d’un insecte ravageur.
J’ai eu l’occasion cet été de suivre Ernst Zuercher dans une sortie où il présentait in situ certaines de ces propriétés et découvertes. Il a été question de la longévité des arbres, d’eau «nouvelle» qu’ils élaborent, du nombre d’or, de «marées lunaires» dans les fûts et de pouls cosmique des bourgeons, du choix des meilleurs épicéas pour fabriquer des violons, mais aussi de phénomènes subtils, dont les signes avant-coureurs de tremblements de terre, mesurés par des techniques électriques sophistiquées. La Russie, pays vastement recouvert de forêts, participe activement à la recherche actuelle. Grâce à la dendro­logie, on sait mieux comment les arbres ont vécu des variations climatiques séculaires.
L’ouvrage de Zuercher contient des chapitres très scientifico-techniques, d’autres plus descriptifs et histori­ques, comme celui consacré à l’if, arbre sacré des Celtes. Tous les éléments de l’if sont toxiques sauf la partie rouge de son fruit. Zuercher émet même l’hypothèse que l’if était l’ayahuasca des druides…
Les forêts jouent un rôle majeur dans l’approvisionnement en eau. On parle de «rivières volantes» à propos des masses d’eau s’élevant au-dessus de grandes forêts (Amazonie) qui se déplacent vers les régions avoisinantes et les abreuvent. La désertification de zones d’Afrique occidentale et d’Amérique du Sud s’explique par une déforestation à si grande échelle que les rivières volantes, trop éloignées, ne peuvent plus rendre ce service essentiel. L’actualité demande aussi de rappeler que la déforestation est en cause dans l’émergence de la pandémie à coronavirus (et d’autres à venir?) en poussant des animaux porteurs vers les zones urbaines.
Comme les climatologues dont les propos sur le réchauffement ont longtemps été ignorés, les spécialistes de la forêt rapportant de tels phénomènes ont parfois été considérés comme donnant dans la poésie, voire dans l’ésotérisme. Ils sont maintenant reconnus et sollicités: des revues qui refusaient les articles d’Ernst Zuercher il y a 25 ans le sollicitent maintenant.
Aujourd’hui, ces données prennent place dans le grand mouvement nécessaire de transition, dont des volets majeurs sont liés à l’agroforesterie, la permaculture, les méthodes bio. Le refus des monocultures intensives, agricoles, forestières et dans l’élevage, s’avère indispensable pour contrer le dérèglement climatique et la baisse alarmante de la biodiversité.
Avec des collègues, Ernst Zuercher va mettre en place un programme de «Pèlerinage et compagnonnage pour un monde en émergence». Le but: 
offrir la possibilité aux jeunes et moins jeunes d’accomplir un périple d’étude et de travail en Suisse et ailleurs pour découvrir des fermes et entrepreneurs ruraux engagés dans la transition écologique. A pied, pour renouer avec les rythmes de la vie et permettre un travail intérieur. Ils travailleront un temps à un endroit avant d’aller plus loin – un modèle comparable à celui des charpentiers Compagnons du Tour de France.
Ce dont parlent les biologistes modernes de l’arbre sont des faits scientifiques avérés, même s’ils déconcertent. Certains jugeront que, ce faisant, on introduit des éléments de réflexion indûment soft. Je suis pour ma part convaincu qu’il importe d’élargir à d’autres dimensions nos cadres trop rigides et d’aller vers des attitudes et pratiques plus soft, précisément.
jean.martin[at]saez.ch