Ce qui est possible n'est pas toujours pertinent et indispensable

Zu guter Letzt
Édition
2020/39
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2020.19188
Bull Med Suisses. 2020;101(39):1246

Affiliations
Dr méd., directeur médical du service médical de la Ville de Zurich, Comité AMDHS

Publié le 22.09.2020

Pour nombre d’entre nous, les derniers mois et semaines ont été synonymes de profonds bouleversements. Si la pandémie a fortement occupé mes pensées, j’ai aussi beaucoup réfléchi à l’accompagnement au jour le jour des patients. Un exemple: A 90 ans, ­arrière-grand-père de plusieurs jeunes enfants, M. X vit encore avec son épouse de 88 ans dans leur maison familiale. Un sentiment de faiblesse généralisée depuis plusieurs semaines et un pouls très ralenti l’amènent à consulter. Cela se termine par une décompensation cardiaque et la pose d’un pacemaker. L’ultrasonographie non invasive du cœur est pathognomonique et explique l’état de faiblesse. Les autres examens confirment l’hypothèse d’une amylose, dépôt de protéines excessif sur les organes. Le spécialiste contacté préconise une biopsie afin de confirmer le diag­nostic et d’évaluer les options thérapeutiques. Le patient a défini des directives anticipées excluant tout traitement invasif. Voilà pour ce qui est des aspects cliniques.
M. X appartient à une génération qui n’a pas grandi avec «Dr Internet», qui entretient donc encore un rapport de confiance avec son médecin et applique en ­général ses recommandations sans demander mille précisions supplémentaires ou remettre en question le diagnostic. Comme souvent, je suis surpris que, là aussi, quelques médecins traitants tiennent à épuiser l’ensemble des options disponibles pour confirmer le diagnostic. Une biopsie est-elle vraiment indispensable dans le cas de M. X? Une méthode d’examen non invasive, considérée jusqu’il y a peu comme ‘la’ méthode de référence, ne paraît plus suffire aujourd’hui. Le simple fait qu’une chose soit possible semble la rendre indispensable. Mais est-ce vraiment le cas?
Pour moi, la précision du diagnostic est bien entendu importante et répond à l’intérêt suprême du patient, mais il ne faut pas oublier le coût pour l’intéressé, ni les risques liés à certaines méthodes diagnostiques. Dans le cas de M. X, 90 ans, le transfert vers une clinique ­spécialisée à 70 kilomètres de son domicile, l’anesthésie nécessaire pour l’examen, le séjour de convalescence dans un cadre non familier, ainsi que le transport pour son retour à la maison représentent un stress non négligeable, sans parler des complications possibles à chaque étape. Le recours aux méthodes diag­nostiques les plus poussées se justifie-t-il dans un tel cas? J’en ai parlé à plusieurs confrères spécialistes, qui m’ont répondu: «Je n’imposerais pas forcément de telles épreuves à mon grand-père, mais en même temps, le diagnostic est important!» Leur attitude m’a surpris.
N’avons-nous pas l’obligation, en tant que médecins, de peser les avantages et les inconvénients dans chaque cas concret, et d’en faire part au patient pour lui permettre de décider en connaissance de cause? «Dr Google» ou pas, je constate que nous sommes toujours plus souvent confrontés à des directives et des «standards», et le cadre dans lequel nous pouvons exercer notre art se restreint toujours plus. Et bien sûr, il n’y a plus moyen de pratiquer aujourd’hui sans une assurance responsabilité professionnelle. Le risque, toutefois, est que tous ces garde-fous et ces directives nous fassent perdre de vue l’intérêt suprême et les réels ­besoins de nos patients.
Je pourrais citer d’autres exemples, mais celui-ci illustre suffisamment bien mon propos. Je crois que nous ferions bien, nous médecins, de nous intéresser en tout premier lieu aux souhaits et aux besoins des principaux intéressés, les patients. Les directives doivent servir de soutien dans notre travail, pas de règles contraignantes. Epuiser toutes les possibilités sur le plan médical n’est pas toujours dans l’intérêt du patient. Et j’insiste là-dessus: il n’en va pas de l’aspect ­financier selon moi, mais du respect du patient qui nous confie sa santé.
daniel.schroepfer[at]zuerich.ch