The show must not go on! (mit Replik)

Briefe / Mitteilungen
Édition
2020/2122
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2020.18933
Bull Med Suisses. 2020;101(2122):687

Publié le 20.05.2020

The show must not go on [1]! (mit Replik)

Continuons d’applaudir les éditoriaux percutants de Bertrand Kiefer (dans la Revue Médicale Suisse) et les articles érudits de Jean Martin (dans le bulletin jaune), mais réfléchissons aussi comment nous pouvons, chacun à son niveau, tel le colibri dans cette histoire indienne qui apporte sa goutte d’eau à la lutte contre l’incendie de forêt, participer à ce que la crise que nous sommes en train de vivre ­puisse se transformer en kairos, moment opportun pour amener un changement devenu indispensable. La vraie catastrophe serait que les choses continuent comme avant [2].
Avec Bernard Stiegler, réenchantons le monde, avec Michel Foucault réinventons l’esthétique de l’existence, avec Hans Jonas assumons le principe de responsabilité non seulement pour aujourd’hui mais aussi pour demain, avec Nietzsche acceptons l’incertitude, avec Frédéric Gros désobéissons, en particulier à ces injonctions paradoxales qui nous demandent de soigner les gens sans tenir compte des injustices sociales. Sachons résister à la double contrainte des institutions, assurances et autres décideurs (pour ne pas parler des financiers dont le seul intérêt est le profit à court terme) qui nous enjoignent à respecter les critères de la médecine basée sur les preuves alors même que la science médicale montre depuis de nombreuses années que l’injustice sociale ­constitue un déterminant majeur et un facteur de risque important non seulement pour les maladies psychiatriques mais aussi somatiques et les accidents. En effet, contrairement à une idée répandu, l’écart entre les nantis et les démunis ne se creuse non seulement au ­niveau des salaires mais aussi au niveau de la morbidité et de la mortalité [3].
Le jour où nous arriverons à écouter ce que le malade ou le blessé a à nous dire, aussi et surtout si ses propos sont mal audibles ou parais­sent confus, nous arriverons peut-être à l’entendre et ainsi à le soigner plutôt que de réparer une fonction défaillante pour le renvoyer au plus vite au front où il fait un travail souvent utile mais mal reconnu et exposé. La pandémie du coronavirus n’a-t-elle pas largement confirmé l’hypothèse de David Graeber que les métiers les plus utiles sont souvent les plus mal payés alors que les «bullshit jobs», fréquemment inutiles et peu dangereux sont bien rémunérés?
Réveillons-nous! Tous ensemble on peut y arriver et l’utopie d’aujourd’hui pourra devenir la réalité de demain [4].

Réplique à: The show must go on

Grand merci à notre confrère Feider pour ses remarques substantielles. A juste titre à mon avis, il relève que la catastrophe serait que nous n’ayons rien appris de la pandémie et que les choses reprennent comme avant. J’ai récemment noté la formule «il faut absolument éviter le retour à l’anormal», totalement pertinente.
A propos des inégalités de santé et sociales qu’il évoque et qui sont un fléau généralisé, une remarque personnelle: je suis parti au début de ma carrière d’outre-mer, où j’ai travaillé huit ans. Malgré les limites vite attein­tes de ma propre action, je n’avais alors pas de doute que les situations de morbidité et mortalité évitables à large échelle, et les énormes dis­parités dans l’accès aux soins, seraient largement soulagées voire résolues au cours de ma vie professionnelle. Un demi-siècle plus tard, il n’en a rien été – ou pas beaucoup. Pour une bonne part, c’est là un échec lamentable d’une certaine mondialisation.
1 Titre de l’éditorial d’avril 2020 de l’Int J Occup Environ Med par F. Habibzadeh et T. Lang.
2 Adapté d’après une citation de Walter Benjamin dans C. Baudelaire: un poète lyrique à l’apogée du capitalisme.
3 Dans la plupart des pays de l’OCDE en tout cas, il est difficile d’avoir des données fiables pour la Suisse.
4 Adapté d’après une citation de Victor Hugo dans Les Misérables.