La médecine sur la voie de la féminisation

FMH
Édition
2020/14
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2020.18764
Bull Med Suisses. 2020;101(14):485-489

Affiliations
a Dr phil., collaboratrice scientifique du président; b Dr méd., président de la FMH

Publié le 31.03.2020

Depuis que la première Suissesse a obtenu son diplôme de médecin à l’Université de Zurich il y a plus de 150 ans, la démographie médicale a bien changé. Les femmes représentent aujourd’hui une grande partie du corps médical – et elles devraient même être majoritaires dans un avenir proche. L’occasion de nous pencher sur cette évolution et sur les questions que cela soulève: domaines d’activité, travail à temps partiel, perspectives de carrière et égalité salariale.
Depuis que Marie Heim-Vögtlin a terminé ses études de médecine à l’Université de Zurich il y a 150 ans et ouvert son cabinet en 1874 [1], la répartition des sexes en médecine a complètement changé. En 1950, les femmes représentaient 12% du corps médical; un pourcentage qui n’a pas évolué jusqu’en 1960 avant de progresser lentement à 18% en 1980 et à 22% en 1990. Depuis, la part des femmes a pratiquement doublé. La statistique médicale 2018 recense 37 525 médecins en activité en Suisse, dont 15 982 femmes, soit 43% [2].

Femmes jeunes, hommes âgés? ­Démographie du corps médical

Les diplômes fédéraux en médecine humaine délivrés ces dernières années montrent cette tendance à la féminisation: depuis 2005, les femmes sont désormais plus nombreuses que les hommes à obtenir leur diplôme. Elles sont également plus nombreuses à faire reconnaître leur diplôme de médecin obtenu à l’étranger [3]. Dans les jeunes générations, les femmes représentent déjà la majorité des médecins en exercice, tandis que les hommes sont encore majoritaires dans les générations précédentes. Si cette évolution se pour­suivait sans être relativisée par d’autres facteurs (médecins étrangers, médecins qui quittent la profession), les femmes devraient être majoritaires en médecine d’ici 20 ans au plus tard, lorsque les mé­decins âgés aujourd’hui de plus de 45 ans seront en fin de carrière.
Figure 1: Part des femmes médecins en activité en %.

Spécialités typiquement féminines? Masculines? Des disciplines en mutation

La part des femmes diffère fortement en fonction des domaines de spécialisation. La première femme médecin en Suisse, Marie Heim-Vögtlin, était la première en Europe à se former en gynécologie et obstétrique. Si l’on regarde les titres de formation postgraduée délivrés entre 2011 et 2018 (tab. 1), on constate qu’avec 84%, la gynécologie reste la spécialisation qui compte le plus de femmes, suivie de la pédiatrie (79%) et de la psychiatrie infantile (77%). La discipline médicale la plus répandue, la médecine interne générale, est choisie actuellement par 60% de femmes; elles y sont donc aujourd’hui surreprésentées, alors qu’elles étaient ­encore sous-représentées en 2000 (16%).
La répartition des sexes entre les différentes spécialités est donc en constante évolution. On le constate aussi dans plusieurs disciplines généralement perçues comme plutôt «masculines»: alors que la part des femmes chirurgiennes était de 5% en 2000, elle était déjà de 23% en 2018 et elle est même de 40% parmi les titres de spécialiste délivrés ces dernières années. Avec une évolution de 18 à 35% de titres délivrés à des femmes, les disciplines comme la chirurgie orthopédique, l’urologie, la gastroentérologie ou la neurochirurgie ont aussi amorcé une mutation, en considérant qu’elles comptaient moins de 5% de femmes médecins en 2000.
Figure 2: Démographie médicale (état au 31.12.2018; mise à jour: 19.3.2019).

Taux d’occupation: quand moins 
de 56 heures par semaine est considéré comme du «temps partiel»

D’après les chiffres actuels, la durée moyenne de travail des médecins à plein temps est de 55,7 heures hebdomadaires. Si l’on tient compte de l’ensemble des médecins – y compris les médecins à temps partiel – cette durée est de 49 heures [4]. On comprend bien l’intérêt toujours plus grand suscité par le travail à temps partiel parmi les médecins: plus de la moitié des femmes exercent à 70–80% [5], ce qui représente tout de même entre 39 et 45 heures par semaine!
Comme les femmes sont plus nombreuses à exercer à temps partiel, le temps à disposition pour les patients se réduit dans les disciplines comptant une majorité de femmes. La durée de travail hebdomadaire moyenne (= nombre de demi-jours à 4–6 heures) a effectivement diminué entre 2000 et 2018 principalement en raison de l’augmentation de la part des femmes1 – mais le taux d’occupation moyen des hommes a lui aussi ­diminué2.

Abandon de la profession: est-ce dû aux femmes, aux horaires, à la conciliation vie privée - vie professionnelle?

Quant à la question de savoir si les femmes quittent plus la profession que les hommes, les études empiriques sont contradictoires [6, 7]. D’après une enquête réalisée en 2016, les raisons de ces abandons diffèrent clairement en fonction du sexe: la principale raison invoquée par les femmes est la difficulté à concilier vie professionnelle et garde des enfants (41%), suivie par les horaires combinés à la surcharge de travail (40%). Cette dernière raison est la principale invoquée par les hommes, mais ils sont en revanche moins nombreux que les femmes (29%). En deuxième position, les hommes invoquent la teneur du travail (28%) [8]; et ils sont seulement 6% à citer la difficulté à concilier vie privée et ­professionnelle [7].

Y a-t-il un plafond de verre? 
Proportion de femmes à différents 
échelons hiér­archiques

Les femmes sont moins nombreuses dans les fonctions dirigeantes, la part des femmes diminuant plus le niveau hiérarchique est élevé. C’est bien connu [12] mais cela s’explique-t-il seulement par le fait que les femmes sont plus nombreuses dans les tranches d’âge plus jeunes – et qu’elles n’ont donc pas (encore) accédé aux fonctions dirigeantes? La pyramide des âges des médecins hospitaliers (hommes et femmes) en fonction du niveau hiérarchique ne confirme pas cette hypothèse: dans chaque tranche d’âge, la part des femmes dans les échelons hiérarchiques élevés est inférieure à leur proportion dans la tranche d’âge considérée. A titre d’exemple, la part des femmes parmi les médecins-­chef-fe-s ne représente même pas la moitié de la proportion de femmes dans la tranche d’âge considérée.
Tableau 1: Part des femmes parmi les spécialistes en activité (2000 et 2018) et parmi les titres de formation postgraduée délivrés (2011 à 2018).
 Part des femmes en %(n = nombre total de femmes et d’hommes)
 Spécialistes en 2000aSpécialistes en 2018bTitres de FP délivrés 2011–18c
Part des femmes, total20% (18 230)40% (32359)54% (12968)
Génétique médicale*30% (10)57% (28)90% (10)
Gynécologie et obstétrique28% (915)63% (1898)84% (601)
Pédiatrie36% (868)63% (1885)79% (762)
Pédopsychiatrie51% (340)65% (697)77% (205)
Médecine légale17% (29)55% (62)69% (45)
Endocrinologie/diabétologie21% (112)45% (222)68% (78)
Dermatologie et vénéréologie37% (287)50% (584)67% (124)
Médecine tropic. et des voyages* 8% (50)19% (31)67% (12)
Pathologie34% (129)49% (252)64% (91)
Prévention et santé publique25% (64)51% (70)63% (30)
Médecine interne générale**16% (6901)41% (8308)60% (3932)
Psychiatrie et psychothérapie33% (1639)43% (3814)55% (1013)
Hématologie22% (113)39% (199)54% (59)
Infectiologie13% (85)39% (203)54% (124)
Oncologie médicale21% (188)42% (368)53% (193)
Allergologie/immunologie22% (136)37% (164)53% (53)
Ophtalmologie32% (544)42% (1048)53% (234)
Neurologie18% (262)34% (623)53% (181)
Anesthésiologie34% (799)45% (1551)51% (659)
Médecin praticien47% (1492)51% (1283)
Pharmacol. et toxicol. clinique24% (21)52% (44)50% (22)
Néphrologie17% (109)40% (229)49% (92)
Médecine du travail13% (61)37% (142)48% (46)
Radio-oncologie/radiothérapie34% (29)36% (124)47% (51)
Médecine pharmaceutique29% (34)36% (45)44% (27)
Radiologie19% (345)31% (901)43% (404)
ORL15% (310)29% (511)42% (139)
Chirurgie plastique20% (110)28% (215)41% (66)
Chirurgie 5% (912)23% (1188)40% (478)
Médecine intensive17% (283)33% (641)40% (343)
Chirurgie pédiatrique21% (52)40% (94)39% (33)
Rhumatologie17% (372)29% (459)38% (95)
Neuropathologie*17% (12)38% (8)
Angiologie16% (96)26% (193)37% (62)
Pneumologie10% (209)26% (329)36% (117)
Méd. physiqueet réadaptation17% (192)31% (237)35% (51)
Chirurgie de la main14% (114)24% (194)35% (66)
Gastroentérologie 4% (239)19% (402)35% (119)
Cardiologie 8% (378)20% (795)31% (306)
Médecine nucléaire10% (48)22% (77)27% (37)
Urologie 1% (152)15% (353)23% (107)
Chirurgie orthopédique 3% (542)10% (1170)22% (443)
Neurochirurgie 4% (71)14% (217)18% (83)
Chirurgie vasculaire12% (81)16% (37)
Chirurgie thoracique 6% (35)11% (18)
Chirurgie card. et vasc. thoracique* 6% (35)12% (81) 7% (14)
Chirurgie orale et maxillo-faciale* 8% (91) 7% (15)
a Source: statistique médicale de la FMH «Médecins en exercice par titre de spécialiste», statistique médicale 2000 de la FMH.
b Source: statistique médicale de la FMH «Médecins en exercice par discipline principale et par sexe», statistique médicale 2018 de la FMH.
c Analyse FMH des titres de formation postgraduée délivrés entre 2011 et 2018.
* Les disciplines avec cellules n ≤15 ont été rendues moins visibles afin de mettre en évidence l’incertitude statistique liée à un nombre 
très faible de cas.
** Pour les données de l’an 2000, les disciplines «médecine générale» et «médecine interne» ont été regroupées.
Tableau 2: Taux d’occupation moyen en demi-jours par semaine (un demi-jour = 4 à 6 h) par secteur et par sexe, en 2008 et 2018.
 FemmesHommesTous
 2008 [11]2018 [12]2008 [11]2018 [12]2008 [11]2018 [12]
Secteur ambulatoire7,16,9 9,1 8,88,78,1
Secteur hospitalier9,08,810,210,19,99,5
Sources: Kraft E, Statistique médicale 2008 de la FMH: nouveaux chiffres – nouveau contenu – nouvelle présentation. BMS 2009;90:12. 
Hostettler S, Kraft E. Peu de femmes aux postes de cadre. Bull Med Suisses. 2019;100(12):411–6.
Tableau 3: Part des femmes (%) dans les différentes tranches d’âge selon le niveau hiérarchique 
(n = nombre total de femmes et d’hommes).
 TotalMédecins-assistantesCheffes de cliniqueMédecins adjointesMédecins-cheffes
25–2960% (1384)60% (1379) 0% (2) 0% (0) 0% (0)
30–3461% (2964)61% (2773)56% (162) 0% (4)50% (2)
35–3958% (2910)60% (2074)56% (646)25% (79)25% (24)
40–4449% (2834)59% (1428)45% (801)27% (318)16% (117)
45–4941% (2236)55% (716)47% (593)23% (486)15% (211)
50–5437% (1917)49% (404)46% (507)30% (448)13% (310)
55–5931% (1666)48% (271)47% (316)24% (412)13% (428)
60 plus22% (1675)39% (228)38% (266)18% (404) 9% (463)
Tous47% (17 609)59% (9295)48% (3294)25% (2151)12% (1555)

Ecart salarial entre hommes et femmes: chez les médecins aussi?

En novembre 2018, un communiqué de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), s’appuyant sur une nouvelle étude, a placé le revenu des médecins au centre de l’attention médiatique. Il y était notamment question de «variations systématiques de revenus entre les hommes et les femmes»: «les revenus des hommes sont de 29% supérieurs à ceux des femmes, un écart considérable. Celui-ci subsiste même lorsqu’on tient compte de l’expérience professionnelle, du domaine de spécialité et du secteur d’activité» [9]. L’inégalité salariale touche-t-elle donc aussi les femmes médecins?
En lisant attentivement l’étude citée par l’OFSP, on ne saurait être aussi affirmatif; il manque en effet des facte­urs d’influence comme la fonction exercée (chef de clinique, médecin adjoint, médecin-chef, etc.) dans l’analyse multivariée à la base de l’étude ([10], p. 41). La différence de revenu serait ainsi impactée par la forte sous-représentation des femmes dans les échelons hiérarchiques élevés (cf. tab. 3).
Une autre faille méthodologique soulève encore des doutes, non seulement concernant les revenus «standardisés» mais aussi dans les différences présumées entre les sexes: comme la durée de travail hebdomadaire est exprimée en demi-jours, définis en périodes de 4 à 6 heures, les différences inférieures ou égales à 20 heures hebdomadaires passent inaperçues. Cela représente une source d’erreur importante car on ne peut exclure que les femmes médecins travaillent en moyenne non seulement moins de demi-jours (cf. tab. 2) mais fassent également des demi-journées plus courtes que leurs collègues masculins3.
La «standardisation» de ces données relatives au taux d’occupation ne permet donc pas de comparer les revenus de façon valable. Pour cela, il faudrait connaître le salaire horaire et d’autres facteurs comme l’expérience professionnelle et la fonction occupée. En l’absence de ces données, il n’est possible ni d’affirmer ni d’infirmer la présence d’inégalités salariales entre les sexes au sein du corps médical suisse.

Quid des femmes en politique 
pro­fessionnelle?

Bien que les femmes représentent désormais 43% des médecins en activité, elles restent encore largement absentes de la politique professionnelle. Le Comité central de la FMH compte une seule femme parmi ses sept membres (14%), l’Assemblée des délégués 9 membres sur 33 (27%), et lors de la dernière Chambre médicale en octobre 2019, les femmes représentaient 25% des membres avec droit de vote. Dans les comités des grandes sociétés de discipline aussi, les femmes sont plutôt, voire fortement, sous-représentées. Cela pourrait s’expliquer notamment par la surreprésentation, en politique professionnelle, d’une génération de médecins dans laquelle les femmes étaient encore peu présentes. Une autre raison pourrait aussi être la plus grande difficulté, pour les femmes, de concilier le tout.

Conclusion: une profession en mutation

Depuis plusieurs années, le nombre d’étudiantes en médecine est plus élevé que celui des étudiants, et la part croissante de femmes dans toutes les disciplines médicales oblige à revoir d’anciens schémas et les structures organisationnelles. L’évolution démographique de la profession permet en particulier d’aborder la question des horaires de travail et des possibilités/limites du travail à temps partiel, ce qui n’est pas seulement dans l’intérêt des jeunes femmes médecins. Avec l’évolution des rôles traditionnels, les jeunes hommes sont eux aussi plus nombreux à désirer être plus présents pour leur famille au quotidien et plus rares à pouvoir se reposer sur une partenaire qui prendrait en charge tous les aspects non professionnels de leur vie. Pour continuer à assurer la prise en charge médicale en Suisse, il ne suffit donc pas d’offrir un nombre suffisant de places d’études; il faut aussi proposer à la relève des modèles de travail adaptés à notre époque dans toutes les disciplines afin de l’encourager à rester dans la profession. Les perspectives de carrière doivent aussi être abordées. La notion de masculin/féminin ne doit pas constituer un frein à l’ascension professionnelle, pas plus que les congés familiaux ou le travail à temps partiel. Dans l’intérêt d’une organisation professionnelle forte et reflétant la réalité de sa base, il faut espérer que la part des femmes fera aussi son chemin en politique professionnelle, et que davantage de femmes médecins contribueront à faire évoluer la profession.
Dr phil. Nora Wille
Elfenstrasse 18
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CH-3000 Berne 15
 1 Naef J. Première femme médecin suisse – Dr. med. Marie Heim-Vögtlin. Bull Med Suisses. 2016;97(9):315–7.
 3 Office fédéral de la santé publique (OFSP). Unité de direction Politique de la santé (2018). Médecins 2018.
 6 One in seven Swiss physicians has left patient care – results from a national cohort study from 1980–2009. Swiss Med Wkly. 2019;149:w20116.
 8 Bolliger C, Golder L, Jans C. Der Ausstieg aus der kurativen Tätigkeit. Schlussbericht. gfs.bern; 31 mai 2016 (en allemand).
10 Künzi K, Morger M (2018). Einkommen, OKP-Leistungen und Beschäftigungssituation der Ärzteschaft 2009–2014. Analyse verknüpfter Datensätze: Medizinalberuferegister BAG, AHV-Daten der Zentralen Ausgleichsstelle, Krankenversicherungsdaten SASIS. Schlussbericht. Im Auftrag des Bundesamts für Gesundheit BAG. Direktionsbereich Gesundheitspolitik (en allemand).
12 Hostettler S, Kraft E. Peu de femmes aux postes de cadre. Bull Med Suisses. 2019;100(12):411–6.