Règlement relatif aux dispositifs médicaux: faits et conséquences

FMH
Édition
2020/09
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2020.18682
Bull Med Suisses. 2020;101(09):279-280

Affiliations
Dr méd., membre du Comité central de la FMH, responsable du département Santé publique, professions de la santé et produits thérapeutiques

Publié le 26.02.2020

Fin mai, le nouveau Règlement européen relatif aux dispositifs médicaux s’appliquera à toute l’Union européenne (UE). Les délais transitoires irréalistes qui l’accompagnent laissent cependant présager un manque de dispositifs médicaux certifiés, au détriment de l’amélioration de la sécurité des patients. Il semble très incertain que la situation soit gérée de manière uniforme dans toute l’UE alors que ce serait souhaitable. Du point de vue de la santé publique, il est cependant primordial que les autorités suisses consultent les acteurs concernés afin de mettre sur pied et d’introduire des solutions transitoires adaptées à la pratique.
La réglementation sur les dispositifs médicaux en Europe est jeune et remonte à 1990. Les dispositions dont chaque Etat disposait initialement ont été progressivement harmonisées; tout d’abord pour les dispositifs médicaux complexes tels que les stimulateurs cardiaques ou les défibrillateurs puis, en 1998, pour tous les dispositifs médicaux avec les diagnostics in vitro. Sur le plan juridique, la Communauté européenne (CE) avait alors opté pour des directives dont les objectifs devaient être repris dans le droit respectif de chaque Etat membre.
En Suisse, la réglementation en matière de dispositifs médicaux date de 1996. Lors de son élaboration et des actualisations ultérieures, le législateur a toujours veillé à ce qu’elle soit en conformité avec le droit européen. La dernière fois, c’était au printemps 2019, lorsque le Parlement a adopté la modification de la loi sur les produits thérapeutiques pour l’adapter au nouveau règlement européen relatif aux dispositifs médicaux (RDM).

Nouveau règlement

La mise en œuvre du programme communautaire de Lisbonne, approuvé en mars 2005 pour renforcer l’UE, ciblait une harmonisation supplémentaire des exigences pour les dispositifs médicaux. Marquée par le scandale des implants mammaires défectueux en 2011, la Commission européenne a voté l’entrée en vigueur de deux règlements en mai 2017: le règlement relatif aux dispositifs médicaux (RDM) et le règlement relatif aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro (RDIV). Le délai transitoire du premier court jusqu’au 26 mai 2020, et celui du second jusqu’en 2022; tous deux étant directement applicables et contraignants dans les Etats membres de l’UE.
Leur objectif et celui du droit national équivalent est de poursuivre l’amélioration de la sécurité des patients. C’est aussi dans ce sens que vont les principales modifications du RDM: niveau de qualification plus élevée du personnel des sites d’investigation, traçabilité parfaite des dispositifs médicaux grâce à un étiquetage univoque, exigences plus élevées pour démontrer l’efficacité clinique des produits et enregistrement de tous les produits dans la base de données européenne sur les dispositifs médicaux (EUDAMED). Par ailleurs, les conditions et obligations pour la surveillance du marché ont été renforcées et la collaboration entre les autorités de surveillance compétentes institutionnalisées.

Avancement problématique

Il n’est pas réaliste de mettre en œuvre le RDM dans les délais impartis. L’autorisation des sites d’investigation, qui doivent se soumettre à un processus de qualification complet, a accumulé des retards importants. Aujourd’hui, moins de quatre mois avant la date butoir du 26 mai 2020, seuls onze des 55 sites d’investigation sont autorisés à délivrer des certificats RDM (consulté le 14.2.2020, cf. lien). A la mi-décembre 2019, le Parlement européen a adopté un rectificatif du RDM. Une période de transition jusqu’en 2024 est accordée aux dispositifs médicaux de la précédente classe I, qui auraient dû faire l’objet d’une première évaluation par un site d’investigation avant l’échéance. Cela ne résout toutefois pas le problème du déséquilibre flagrant entre le nombre de sites d’investigation nécessaires et les produits à certifier. En novembre 2019, la Commission ­européenne a par ailleurs annoncé que l’introduction de la banque de données EUDAMED serait retardée de deux ans. C’est un affaiblissement considérable pour la traçabilité des dispositifs médicaux. Mais il manque aussi des groupes d’experts, des laboratoires de référence et des documents explicatifs. La situation générale n’est pas du tout réjouissante.

Conséquences

Ces dispositions transitoires irréalistes mettent à mal l’idée d’une régulation efficace et sûre mais aussi d’un approvisionnement continu avec des standards de qualité plus élevés. Pire, l’objectif initial du RDM d’améliorer la sécurité des patients risque de s’inverser et l’approvisionnement suffisant de dispositifs médicaux certifiés est menacé.
Face au manque de sites d’investigation, un nombre appro­ximatif de 500 000 dispositifs médicaux sont en attente, d’ici mai 2024 au plus tard, d’un certificat de vente et de gestion de la qualité conforme au RDM. Ce manque crée d’énormes ralentissements qui se traduiront par des retards dans la certification et par des  produits indisponibles. Pour certaines opérations, il faudra se replier sur des produits de substitution, en espérant qu’ils soient disponibles. S’ils ne le sont pas, il serait tout à fait possible que certaines opérations ou certains traitements soient repoussés avec des délais d’attente importants ou, pire encore, qu’ils soient exclus pendant une certaine période.
Il faut également s’attendre à ce que les gammes de produits changent. Dans ce nouveau contexte, les fabricants vont les adapter pour ne pas mettre en danger leur situation économique et rester concurrentiels, au détriment de certains produits, dont la fabrication sera simplement stoppée. Les plus concernés sont les produits de niche ou ceux qui ne créent pas une forte ­valeur ajoutée (p. ex. les pansements pour brûlure, set de soins et suture épisiotomie, etc.).
Pour les acteurs de la santé, la tâche sera encore compliquée car les changements d’assortiments et de prix peuvent engendrer des tâches administratives considérables, influencer la planification générale et avoir des effets négatifs sur les processus internes des hôpitaux.
Pour des raisons financières et organisationnelles, il n’est pas toujours possible de stocker des produits à l’avance, car cet approvisionnement anticipé n’était pas prévu jusqu’à présent. De plus, de nombreux dispositifs médicaux ont une date de péremption et exigent une logistique particulière pour créer des stocks, qui ne peuvent être ni constitués ni gérés au dernier moment.
La pénurie de produits médicaux qui se profile aura également un impact économique. Il faut s’attendre à une montée des prix en raison d’un fort déséquilibre entre l’offre et la demande et donc à des marchés de vente instables qui pourraient conduire à un tourisme d’achat. Ce sont des facteurs de risque supplémentaires pour la sécurité.

Solutions envisageables

La Suisse n’est pas la seule à être impactée par les conséquences de ces délais de transition irréalistes. Il serait donc souhaitable de trouver une solution uniforme pour toute l’UE. Le Parlement de l’UE pourrait par exemple prolonger le délai transitoire ou repousser son échéance, ce qui donnerait la possibilité aux sites d’investigation de terminer le processus de qualification, d’avoir suffisamment de personnel formé et de traiter les demandes de certification avec le niveau de qualité et de rigueur souhaité. Cela laisserait aussi le temps de mettre en place la banque de donnée EUDAMED pour qu’elle puisse fonctionner.
Rien n’est moins sûr que cette situation soit gérée de manière uniforme dans toute l’UE. Du point de vue de la santé publique, il est donc essentiel d’assurer globalement la sécurité de l’approvisionnement et des patients en Suisse et de veiller à ce que les autorités de notre pays anticipent et mettent en place, à titre de précaution, des solutions nationales transitoires. Des réglementations exceptionnelles seraient envisageables afin que les produits avec d’anciens certificats continuent d’être utilisés ou obtiennent une autorisation de Swissmedic, l’autorité compétente pour surveiller ce marché. On pourrait également accepter des produits extra-européens au bénéfice d’une autorisation équivalente de mise sur le marché (p. ex. la FDA aux Etats-Unis, Health Canada et le Japon). Les fabricants peuvent également apporter leur pierre à l’édifice en faisant preuve de transparence, notamment lors de la refonte de leur assortiment et en cas de stocks insuffisants. Les opérateurs et autres utilisateurs, pour autant qu’ils soient en mesure de le faire, pourraient optimiser les stocks de sécurité, examiner et mettre en place des solutions de secours et maximiser la transparence en matière d’achat. Une telle approche permettrait de garantir l’approvisionnement continu de la population suisse en dispositifs médicaux certifiés; non seulement pour satisfaire les responsables de santé publique, mais aussi dans l’intérêt des médecins, des homes, des hôpitaux, des organisations de protection des patients et des représentants de l’industrie, qui pourraient apporter des solutions constructives, soucieuses des coûts et adaptées à la pratique quotidienne. L’objectif prioritaire commun reste de garantir la sécurité de l’approvisionnement et des patients en Suisse.
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