Le droit au remboursement ­sacrifié sur l’autel du budget?

FMH
Édition
2020/07
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2020.18639
Bull Med Suisses. 2020;101(07):195

Affiliations
Dr méd., président de la FMH

Publié le 11.02.2020

Dans le calendrier chinois, l’année 2020 est celle des innovations et du renouveau. En Suisse aussi, les projets de loi en politique de la santé augurent de nombreux changements, mais de loin pas toujours positifs: 2020 sera placé sous le signe du budget global.
Le Parlement examinera tout d’abord un premier volet de mesures visant à freiner la hausse des coûts, dans lequel le Département fédéral de l’intérieur (DFI) a plus ou moins dissimulé le budget global. Avec l’art. 47c LAMal, les partenaires tarifaires devront corriger les évolutions de quantités et de coûts «injustifiées» [1] et dé­finir en fonction d’objectifs politiques «ce qu’est une hausse des coûts ‘acceptable’, c’est-à-dire justifiée» [2, p. 5825]. Le projet de loi prévoit donc de facto un budget dont le dépassement implique des réductions tarifaires et la restitution de sommes déjà perçues.
La mise en consultation du deuxième volet de mesures ce printemps mettra sur les rails «l’objectif de maîtrise des coûts de la santé» [3] annoncé par le Conseil fédéral. Ce deuxième volet s’inscrit dans la même veine que le premier qui, comme esquissé ci-dessus, spécifiait déjà: «Les mesures de gestion des coûts convenues par les partenaires tarifaires […] viseraient alors à ne pas dépasser cette valeur-cible» [2, p. 5783].
Ce qui semble peu suspect en langage administratif signifie concrètement pour les prises en charge médicales de demain que le droit au remboursement des patients sera sacrifié sur l’autel du budget. Plus personne ne voudra effectuer des prestations qui ne seront pas rémunérées (ou insuffisamment), ou qui risqueraient d’être sanctionnées. L’exemple de cette neurologue (p. 196 [4]) en Allemagne qui n’accepte plus de patients l’illustre très bien. Les participants allemands du groupe d’experts du Conseil fédéral ont même écrit, en évoquant le «plafonnement / la budgétisation de l’ensemble des rémunérations» en Allemagne,que «l’effet de limitation des coûts est atteint notamment par une réduction des quantités proposées.L’accès aux soins risque d’être péjoré par la mise en place d’un budget» [5]. En d’autres termes, ce seront bien des prestations concrètes qui ne seront pas fournies, reste à savoir quelles prestations et pour quels patients. Alors que l’assurance obligatoire garantissait jusqu’ici une prise en charge médicale de haute qualité en cas de maladie, cette protection serait à l’avenir limitée par un plafonnement des dépenses.
Le fait que les «valeurs-cibles» soient incompatibles avec le droit au remboursement des patients a été démontré récemment dans un autre contexte. Dans un article intitulé «Bund legt die Zahl der IV-Renten fest» [6], on pouvait lire que l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) fixait chaque année des objectifs de performance aux offices cantonaux de l’AI. De tels objectifs sont pourtant en contradiction avec un examen impartial des demandes [7]: les chances d’obtenir une rente ne devraient pas dépendre d’objectifs définis par des mesures d’économie. Cette pratique fait donc ­l’objet d’une enquête «sur l’activité de surveillance de l’OFAS», ouverte par le conseiller fédéral A. Berset [6].
Que signifie une «hausse justifiée des coûts» et des ­«valeurs-cibles» pour la prise en charge des patients? Dans le domaine de l’AI, il est considéré à juste titre choquant et juridiquement discutable que des «objectifs» politiques puissent remettre en cause le droit à une rente. Alors pourquoi, dans l’assurance obligatoire des soins (AOS), de telles restrictions, basées sur une fourchette de coûts fixée au niveau politique, seraient-elles moins problématiques? Du point de vue de la FMH, bénéficier d’un traitement de qualité, au moment opportun, ne peut dépendre ni de budgets ni de valeurs-cibles. L’année du renouveau ne doit pas marquer la fin du droit au remboursement des patients.
4 Oliver Hach. Quand politique et administration veulent limiter les volumes de prestations, Amende de 300 000 euros pour un dépassement du budget. Bull Med Suisses. 2020;101(7):196–7.
5 Busse, Reinhard; Blankart, Rudolf (2017). Kostendämpfungsmassnahmen zur Entlastung der obligatorischen Krankenpflegeversiche­rung (OKP). Erfahrungen aus Deutschland. Studie zu Handen der Expertengruppe Kostendämpfung. Berlin et Berne: Technische Universität Berlin et Universität Bern (non publiée).
6 Der Bund, 21 décembre 2019, article «Berset leitet eine Untersuchung ein» ou «Bund legt Zahl der IV-Renten fest» (p. 1 et 9), et aussi l’article du Temps sur le même sujet.
7 NZZ, 13 janvier 2020, Fabian Schäfer, Misstraut Berset seinen -eigenen Leuten? Der Sozialminister lässt angebliche Sparvorgaben in der Invalidenversicherung untersuchen.