Contraception sans prescription: pourquoi pas?

Tribüne
Édition
2020/13
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2020.18586
Bull Med Suisses. 2020;101(13):474-476

Affiliations
Professeure à la Faculté de droit de l’UNIGE et à la Faculté des HEC de l’UNIL

Publié le 24.03.2020

Aux Etats-Unis et en France, des voix s’élèvent pour réclamer au moins une pilule contraceptive non soumise à prescription médicale. Dans de nombreuses régions d’Asie et d’Amérique du Sud, des pilules contraceptives sont disponibles sans prescription du médecin. En Suisse, la question n’est guère débattue: obtenir la pilule – que ce soit pour la première ou la trentième fois – passe par le médecin. Cet article examine les «pour» et les «contre» d’une remise encadrée par le pharmacien.
Si l’exigence d’une prescription médicale n’est pas controversée en Suisse, la réglementation en matière de catégorie de remise y évolue néanmoins. Ainsi, dans la dernière révision de la Loi fédérale sur les produits thérapeutiques figure l’encouragement de l’automédication [1]. Le législateur a décidé de supprimer la catégorie de remise C et de modifier les quatre catégories résiduelles de remise. Swissmedic reclassifie ainsi des centaines de médicaments, mais les pilules contraceptives n’en font malheureusement pas partie (il n’est pas question ici de la pilule du lendemain). Demeurant en catégorie de remise B, les contraceptifs nécessitent en principe une ordonnance médicale [2]. Leur exclusion de l’assurance-maladie n’y change rien.
Si plusieurs arguments plaident en faveur de cette prescription médicale, ils résistent mal à l’examen une fois comparés aux bénéfices d’une remise par le ­pharmacien. De plus, dans une perspective axée sur l’autonomie reproductive, il paraît difficile d’imposer à presque toutes les femmes une visite annuelle ou biennale chez le médecin. Cet article passe en revue les argu­ments en faveur et à l’encontre d’une remise encadrée par le pharmacien.

Le risque de thrombose

Le risque le plus souvent cité en lien avec la pilule est celui de thrombose [3]. En moyenne, en Suisse, quelque 150 annonces d’effets indésirables en lien avec la pilule sont adressées à Swissmedic [4], tandis qu’une femme par an décède d’une embolie pulmonaire, sans qu’on ne puisse déterminer exactement la part attribuable à la pilule. Malheureusement, il est difficile pour les médecins d’identifier ex ante (avec une fiabilité ­suffisante) les femmes à risque de thrombose. Même celles sans facteurs de risque identifiés peuvent en être victimes. De plus, la survenance d’une thrombose n’est pas toujours immédiatement décelable, les symptômes pouvant être vagues.
En Suisse, la perception de ce risque est particulièrement élevée, notamment en raison de l’écho médiatique du cas Céline, jeune fille de 16 ans devenue gravement handicapée suite à l’embolie pulmonaire très vraisemblablement causée par la pilule Yasmin, et de l’arrêt du Tribunal fédéral qui s’en est suivi [5]. Les ­critiques fustigeaient une communication insuffisante du danger cardiovasculaire à la patiente. La plainte contre le fabricant avait toutefois échoué, le Tribunal fédéral considérant que le risque accru associé aux pilules de 4e génération devait uniquement être communiqué par les fabricants aux médecins prescripteurs.
Malgré le risque avéré et l’augmentation relative du risque (selon le type de pilule), le risque absolu de thrombose et d’événements cardiovasculaires reste faible [6]. La prise de pilule n’augmente pas la mortalité globale, elle pourrait même la diminuer [7]. Les femmes enceintes présentent un plus grand risque de thrombose que les femmes prenant la pilule.

Vérifier les contre-indications

Près de 30% des femmes en Suisse optent pour ce contraceptif. Celui-ci est contre-indiqué en présence de certains facteurs de risque, en distinguant les contre-indications absolues (p. ex. un cancer) et les contre-indications relatives, en dépit desquelles la ­pilule peut être prescrite mais avec une mise en garde de la patiente (p. ex. ­fumée, hypertension, surpoids). Néanmoins, de nombreuses femmes prennent la pilule en dépit de contre-indications, en tout cas relatives [8]. Dans ces cas, le médecin et la patiente doivent peser les avantages et les risques de ce moyen de contraception par rapport à d’autres.
Si la pilule devait être remise en Suisse en pharmacie, le pharmacien pourrait se charger de contrôler l’absence de contre-indications absolues et de mettre en garde en cas de contre-indications relatives. C’est le cas déjà en France où le pharmacien fait remplir un ­questionnaire pour remettre certaines pilules sans prescription du médecin. En Suisse, on devrait aussi admettre que les pharmaciens soient rémunérés spécialement pour cette prestation (ce qui est d’ailleurs déjà le cas lorsqu’ils remettent la pilule du lendemain, qui, elle, ne requiert pas de prescription médicale).

Le bilan régulier gynécologique

L’exigence d’une prescription pour obtenir la pilule ­incite les femmes à passer un examen gynécologique ­annuel. Elles reçoivent ainsi un contrôle qui couvre ­notamment la palpation des seins afin de détecter un possible cancer du sein et le frottis vaginal pour identifier un possible cancer de l’utérus.
Imposer une contrainte indirecte (prescription contre le contrôle gynécologique) est toutefois problématique. Tout d’abord, seules les femmes qui débutent ou continuent à prendre la pilule bénéficient par ce biais du contrôle en question. Ensuite, une femme peut ­vouloir prendre la pilule, mais être opposée à un dépistage vaginal, notamment pour son caractère invasif. Enfin et surtout, la pilule est le seul médicament qui est utilisé pour exercer une contrainte sur un autre champ médical. On imaginerait mal que l’homme qui veut se faire prescrire du Viagra soit amené à subir en contre­partie un toucher régulier de la prostate.
Pour les partisans de la prescription, l’intervention du médecin permet d’avoir une discussion avec la patiente quant au choix du contraceptif le plus approprié et sur la meilleure manière de le prendre. Toutefois, en pratique, les explications sont souvent basiques. Il est difficile d’avoir un aperçu clair des avantages et inconvénients des différentes pilules. Les autres méthodes contraceptives (hormis le préservatif) sont assez peu utilisées en Suisse. S’agissant de la prise à proprement parler, les explications à fournir sont très simples et figu­rent de toute façon sur la notice d’emploi.
Le pharmacien devrait dès lors être en mesure de communiquer ces informations concises tout aussi bien que le médecin. C’est d’ailleurs en principe son rôle d’expliquer au patient comment prendre les médicaments remis.

Accès facilité et à coût moindre

L’argument principal en faveur d’une remise sans prescription est l’accès facilité. Aujourd’hui, la patiente qui souhaite la pilule doit prendre rendez-vous, souvent atten­dre plusieurs semaines, se rendre sur place, obtenir la prescription et aller à la pharmacie. Le tout lui aura pris une ou deux heures. La visite médicale coûte généralement autour de 200 francs. La pilule en Suisse coûte entre 12 et 30 francs l’emballage d’un mois. Sur une vie – entre 20 et 50 ans –, cela revient à environ 15 000 francs. Si la visite médicale est remboursée (pour autant que la franchise soit atteinte, ce qui pour des ­patientes jeunes et en bonne santé n’est pas forcément le cas), la pilule, elle, ne l’est pas. Si la pilule pouvait être obtenue directement en pharmacie, le coût total serait certainement moindre, même si le pharmacien devait être rémunéré.
Au delà de la question du coût, il est admis que les risques d’une grossesse sont considérablement plus élevés que les risques liés à la pilule. De même, les risques associés à une interruption de grossesse sont plus ­élevés que les risques de la pilule. Par conséquent, si un accès facilité à la pilule devait augmenter le nombre de femmes qui commencent ou continuent à prendre la pilule et réduire le nombre de femmes qui «tombent» enceintes ou avortent, le rapport bénéfice-risque serait nettement en faveur d’un tel accès. Certes, en Suisse, le taux de grossesse accidentelle est plus bas que dans d’autres pays. Il demeure ­toutefois quelques 10 000 interruptions annuelles de grossesse, dont on peut supposer que certaines en tout cas auraient été évitées grâce à un accès facilité à la ­pilule.

Atteinte à la liberté reproductive

Même si le passage chez le gynécologue apporte des ­bénéfices notables en termes de santé individuelle et publique, l’obligation d’une prescription pour obtenir la pilule porte une atteinte non négligeable à la liberté personnelle des femmes, en particulier à leur autonomie reproductive. La situation analysée ici ne peut être comparée à celle des maladies graves où les connaissances pointues du médecin sont indispensables. Elle ne peut davantage être comparée à celle où la maladie est moins grave, mais pour laquelle l’ingérence dans les droits individuels est légère – faire un contrôle du taux de cholestérol pour déterminer s’il convient de suivre un traitement à base de statines.
Comment une femme veut gérer son corps et sa sexualité appartient à sa sphère la plus intime. A part le préservatif féminin dont l’usage n’est pas évident, les femmes n’ont accès à aucun moyen qui relève de leur seule décision, l’emploi du préservatif relevant de la ­décision de l’homme ou du couple. Par contraste, on verrait mal qu’on soumette le préservatif à prescription, au motif que certains hommes sont ou peuvent devenir ­allergiques au latex. Il convient donc de prendre également en compte le respect de la sphère intime de la femme.

Solution de compromis

S’inspirant du modèle français et celui mis en place pour la pilule du lendemain, le pharmacien devrait pouvoir demander à la femme de remplir un questionnaire écrit. En l’absence de contre-indications manifestes, après un conseil personnalisé, il lui remettrait une pilule à base de progestérone uniquement [9], celle-ci étant considérée comme ne causant pas ou peu de thromboses [10].
Par ailleurs, les femmes qui auraient reçu pendant un certain nombre d’années (4, 6, 8, 10 ans?) une pilule de leur médecin seraient autorisées à présenter leurs précédentes prescriptions médicales à leur pharmacie pour obtenir un renouvellement pendant un laps de temps donné (4, 6, 8, 10 ans?). Elles devraient également remplir un questionnaire.
Les deux solutions proposées minimisent les risques tout en promouvant l’autonomie individuelle. Il serait ensuite possible de mener des études épidémiologiques pour savoir si le risque a été augmenté ou diminué dans la population obtenant sa pilule directement en pharmacie. Il se peut que le recours plus fréquent à une micropilule à base de progestérone aboutisse à une réduction du risque global. Aucune étude scientifique n’a montré à ce jour un risque globalement accru dans les pays où la pilule est en accès libre.

L’essentiel en bref

• Contrairement à de nombreux pays, obtenir la pilule contraceptive en Suisse passe par le médecin. Aucune étude n’a montré un risque globalement accru lié à l’accès libre de la pilule.
• Si des arguments plaident en faveur d’une prescription (risque de thrombose, contre-indications, discussion avec le/la gynécologue), les bénéfices d’une remise par le pharmacien l’emportent toutefois (accès facilité, caractère contraignant et invasif de l’examen, liberté reproductive).
• La patiente devrait pouvoir se faire conseiller par le pharmacien à l’aide d’un questionnaire. Sans contre-indications ­manifestes, il lui remettrait une pilule à base de progestérone uniquement, le risque de thrombose étant moindre, voire nul. Les patientes ayant reçu pendant plusieurs années une pilule de leur médecin pourraient présenter leurs anciennes prescriptions à la pharmacie pour un renouvellement.

Das Wichtigste in Kürze

• Anders als in vielen Ländern ist die Antibabypille in der Schweiz rezeptpflichtig. Erhöhte Risiken im Zusammenhang mit dem freien Zugang zur Pille wurden in keinen Studien nachgewiesen.
• Es gibt zwar Argumente, die für eine Verschreibung sprechen (Thrombosegefahr, Kontraindikationen, Absprache mit dem Gynäkologen), aber die Vorteile einer Abgabe durch den Apotheker überwiegen die Nachteile (leichterer Zugang, restriktiver und invasiver Charakter der Untersuchung, reproduktive Freiheit).
• Die Patientin sollte die Möglichkeit haben, sich mithilfe eines Fragebogens vom Apotheker beraten zu lassen. Wenn es keine offensichtlichen Kontraindikationen gibt, würde der Apotheker ihr eine reine Progesteronpille geben, da bei ­dieser das Thromboserisiko geringer oder gar nicht vorhanden ist. Patientinnen, die seit mehreren Jahren eine Pille von ihrem Arzt erhalten haben, könnten ihre alten Rezepte in der Apotheke erneuern lassen.
Valérie Junod
Professeure associée UNIL HEC
Professeure titulaire UNIGE Droit
Bureau MAIL 4081
Faculté de droit
Boulevard du Pont-d’Arve 40
CH-1211 Genève 4
valerie.junod[at]unil.ch
 1 Voir les nouveaux art. 24 LPTh et 45 OMéd; pour la classification en catégorie B, voir l’art. 42 OMéd.
 2 La pratique de certaines pharmacies peut être plus souple pour leur clientèle régulière. De plus, l’art. 24 al. 1 let. a LPTh et l’art. 45 OMéd ouvrent la voie à des dérogations en faveur des pharmaciens.
 3 van Vlijmen EFW. The pill and thrombosis, University of Groningen, 2015; Vinogradova Y, et al. Use of combined oral contraceptives and risk of venous thromboembolism. BMJ. 2015;350; McDaid A, et al. Risk prediction of developing venous thrombosis in combined oral contraceptive users. PLOS One. 2017; BH Stegeman, et al. Different combined oral contraceptives and the risk of venous thrombosis. BMJ. 2013;347. Voir De Geyter C, et al. Thromboembolies veineuses sous contraceptifs oraux combinés – état des lieux. Bull Med Suisses. 2009;90:1654–7; Gynécologie Suisse, Fiche d’information SSGO destinée aux utilisatrices de contraceptives hormonaux combinés, 2013; Embolie pulmonaire: le chemin sinueux vers le diagnostic. Bull Med Suisses. 2010;91:1859–61.
 4 Swissmedic, Contraceptifs hormonaux et thromboembolie veineuse: annonces spontanées en Suisse et actualisation au 30.6.2018 des chiffres publiés le 22.10.2009; Swissmedic, Contraceptifs hormonaux autorisés en Suisse – vue d’ensemble, juillet 2017.
 5 Arrêt du 5 janvier 2015, 4A_365/2014, 4A_371/2014. Philippe Fuchs, Haftung für unerwünschte Arzneimittelwirkungen. Jusletter 26, janvier 2015.
 6 Gynécologie Suisse, Avis d’experts concernant le risque thromboembolique sous contraception hormonale, juin 2013.
 7 Hannaford PC, et al. Mortality among contraceptive users: cohort evidence from Royal College of General Practitioners’ Oral Contraceptive Study. BMJ. 2010;340:c927.
 8 Obsan. En Suisse, quatre personnes sur cinq recourent à la contraception, communiqué du 23 juin 2017.
 9 Grossman D, et al. Contraindications to combined oral contraceptives among over-the-counter compared with prescription users, Obstetrics and Gynecology. 2011;117(3):558; Kennedy CE, et al. Should oral contraceptive pills be available without prescription? A systematic review of over-the-counter and pharmacy access availability? BMJ Global Health. 2019;4:e001402.
10 Medical eligibility criteria for contraceptive use, MMWR Recommendation, 2016; Julen O, et al. Quelle contraception pour la femme à risque de maladie thromboembolique veineuse. Revue médicale suisse, 9 février 2011, p. 351–6; Gynécologie suisse, Avis d’experts de juin 2013.