Donner la parole aux résidents d’EMS

Les personnes âgées se racontent

Horizonte
Édition
2019/48
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2019.18301
Bull Med Suisses. 2019;100(48):1641

Affiliations
Dr méd., membre de la rédaction

Publié le 26.11.2019

La narration dans les contacts avec les patients, sans doute aussi vieille que les activités de soins, a vu son importance adéquatement reconnue au cours des décennies récentes seulement. Des formations y relatives ont été développées, dans les pays anglo-saxons et ailleurs, en médecine* et dans d’autres cadres. Ainsi, à l’Université de Fribourg a été créé en 2011 un «Certificate of Advanced Studies» (CAS) de recueilleuses/-eurs de récits de vie. L’ouvrage présenté ici en est un fruit.
Catherine Schmutz-Brun, docteure en sciences de l’éducation qui a créé ce CAS, est à la tête du quintette d’auteures. Ses collègues – ayant toutes bénéficié de la formation – sont: écrivaine et intervenante en institution (H. Cassignol); journaliste indépendante (A.-M. Nicole); enseignante, concernée par le séjour en insti­tution de sa mère (D. Hersch); infirmière et animatrice de journal (M.-J. Varin). Une est de la région de Zurich, les autres sont Romandes.
Les parties de l’ouvrage traitent successivement des expériences diverses – et attachantes – de recueils de récits des auteures, de la formation et du CAS (contexte scientifique, historique, spécificités), de la pertinence de cette pratique en institution (impact relationnel et personnel du récit, possibles écueils), des apports pour les résidents/raconteurs et les lecteurs – tels que vu par une non-soignante, avec une discussion de la gérontagogie, l’art de bien mener sa vieillesse. Un chapitre est consacré aux perspectives institutionnelles (Varin-Nicole – «Quand le recueil de récits de vie devient un projet d’établissement»). Le dernier chapitre inclut des «récits de vie en marge», sur les circonstances et difficultés de l’entrée en EMS, et quelques pages de témoignages d’aides-soignantes venues d’autres continents.
* La médecine narrative est une compétence qui permet de «reconnaître, absorber, interpréter et être ému» par les histoires des patients. Son enseignement devrait être – avec celui de la médecine fondée sur les preuves – l’un des deux piliers de la formation des médecins. Il peut constituer une réponse à certaines insuffisances du système de santé. Plus d’infos: https://descartesinfo.parisdescartes.fr/la-medecine-narrative
A propos de la fin du recueil d’une histoire, Anne-Marie Nicole évoque une préoccupation déontologique (de ­morale professionnelle: qu’est-ce qui est adéquat?): «Je me suis attachée à Madame R. Je me dis qu’une fois son récit achevé je pourrais continuer de venir lui rendre ­visite. Je m’interroge alors sur mon rôle, sur la bonne distance à adopter.»
Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale à ­Paris, a écrit la préface («ce recueil de la parole se découvre comme l’expression d’un accueil de l’autre, c’est redonner vie à travers l’échange»). Et Pierre Dominicé, de l’Université de Genève, la post-face, d’où est tiré: «La production d’un récit génère un effet un peu magique d’accès à la parole [...] Il faut sortir la parole du silence entretenu par tous ceux qui se taisent parce qu’ils considèrent qu’ils n’ont rien à dire.»

A propos de se raconter

Daniela Hersch cite Primo Levi, rescapé des camps de concentration et auteur d’un célèbre récit sur sa déportation à Auschwitz: «Raconter, c’est un médicament sûr.» Dans l’introduction, Catherine Schmutz-Brun s’interroge: «Quelle est donc cette société qui établit de formidables projets et conçoit des mondes virtuels, et qui se trouve désemparée quand il s’agit d’écouter l’histoire d’une vie.» La fondatrice du CAS évoque la force du récit: «Novatrice, la démarche repose sur un moteur puissant: se raconter pour tisser des liens et consolider la transmission entre générations. Opportunité pour les professionnels de mieux connaître les personnes qu’ils accompagnent» [...] «L’expérience contri­bue à la dynamique institutionnelle. C’est d’autant plus vrai lorsque le recueil de récits devient collectif, comme dans le cas des cafés-souvenirs, favorisant les liens interpersonnels dans l’institution.» Les rencontres ont été l’occasion de vraies découvertes pour les auteures: «Personnellement, par leur attitude et leur sérénité, certaines personnes âgées me donnent envie de vieillir.» «Ce que j’ai redécouvert, c’est que bien vieillir est synonyme de bien vivre ensemble.»
En plus de leur large contenu et de leurs composantes professionnelles, représentant un substantiel «tour de la question» du recueil de récits de vie, les textes de ces cinq auteures se lisent très agréablement.
Catherine Schmutz-Brun et coll.
Le récit de vie 
de la personne âgée 
en institution
Toulouse: Editions érès, 2019, 268 pages.
jean.martin[at]saez.ch