Génétique et épigénétique: de la linéarité à la complexité

Zu guter Letzt
Édition
2019/45
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2019.18256
Bull Med Suisses. 2019;100(45):1518

Affiliations
Prof. Dr méd., membre de la rédaction

Publié le 06.11.2019

Moi, l’Eternel, […] je […] punis l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et la quatrième génération de ceux qui me haïssent, et […] fais miséricorde jusqu’à mille générations à ceux qui m’aiment et qui gardent mes commandements.
(Exode 20:5–6)
Quand en 2003 le séquençage du génome humain a été accompli, beaucoup ont imaginé que notre sort, déterminé par le génome, pouvait être prédit par l’analyse de notre code génétique. C’est par ailleurs ce que ­proposent certains laboratoires, étant donné que le ­séquençage, dont le premier coûtait des millions, se fait actuellement pour quelques centaines de francs. Plusieurs phénomènes s’opposent à cette pensée linéaire: une grande partie des gènes ne sont pas exprimés et leurs fonctions restent inconnues; la plupart des maladies ne sont pas déterminées par un seul gène et un gène peut coder plusieurs expressions phénotypiques; enfin, l’expression des gènes peut être modifiée par l’environnement et, de plus, ces altérations peuvent être héréditaires. Ce phénomène est appelé l’épigénétique.
Ariane Giacobino
Peut-on se libérer de ses gènes?
L’épigénétique 
Stock; 2018, 340 pages.
Le livre d’Ariane Giacobino Peut-on se libérer de ses gènes? L’épigénétique (Paris: Ed. Stock; 2018) donne une excellente introduction à ce nouveau chapitre passionnant de la génétique. Ce livre de quelque 250 pages se lit d’un trait, comme un roman, car l’auteure sait allier d’une façon délicate et fort plaisante sa propre carrière avec des faits scientifiques concernant l’épigénétique. Ariane a fait des études de médecine à Genève. Une rencontre heureuse avec le célèbre généticien Craig Venter l’a décidée à s’intéresser à la génétique, et après un stage à Pittsburgh plus précisément à l’épigénétique. Elle a pu montrer que des souris mâles exposées ­pendant la grossesse à des pesticides non seulement avaient des problèmes de fécondité dus à un blocage de gènes associés à la fertilité, mais que ce trait se transmettait à la progéniture. La question se posait de savoir si de tels phénomènes s’observent aussi chez l’homme. En effet, elle a pu montrer que des abus sexuels dans l’enfance laissaient des traces épigénétiques sur le gène NR3C1 ­associé au stress. Ce travail a ouvert à Ariane Giacobino une collaboration internationale avec des psychiatres ruandais: les enfants de femmes qui avaient vécu des atrocités lors du génocide montraient des changements similaires sur ce gène. Il existe donc un lien entre le vécu du fœtus et le comportement dans la vie postnatale – ce qui par ailleurs a toujours été suspecté par des psychanalystes – transmis (épi-)génétiquement. Il est donc bien concevable que des atrocités comme l’Holocauste, la migration forcée ou l’esclavage laissent des traces sur plusieurs générations.
Les mécanismes principaux de l’altération génétique sont une méthylation de l’ADN au niveau de la cytosine ou une acétylation des histones. Ces changements sont aussi réversibles. Dans un travail plus récent, Ariane a pu montrer que le niveau de méthylation du gène NR3C1 a diminué après un traitement d’acupuncture.
La compréhension de l’épigénétique si bien expliquée dans ce livre nous incite à réfléchir:
– Du fait que nos gènes subissent des altérations dues à l’environnement qui peuvent être héritées, n’avons-nous pas, par notre façon de vivre, une responsabilité vis-à-vis de notre progéniture avant même de l’avoir conçue? Sur le plan social, le contexte dans lequel se passent les grossesses demande une attention particulière.
– Notre appareil génétique n’est pas un livre qui se lit simplement en épelant les quatre lettres ACTG, mais un système complexe avec toutes les particularités d’un système complexe: il peut s’adapter et il a de ce fait un passé et un futur; le subdiviser en fractions ne permet pas de le reconstituer et le comprendre dans son entier; des altérations minimes peuvent avoir des conséquences imprévues.
– Le séquençage génétique ne pourra donc jamais ­permettre de prévoir notre avenir d’une façon très précise, car les gènes peuvent s’adapter à l’environnement et interagir avec nos autres systèmes complexes (cardiovasculaire, cérébral, etc.).
– Des correctifs à nos gènes induits artificiellement, comme c’est devenu possible par les «ciseaux» Crispr, peuvent avoir des effets imprévisibles.
Chers collègues, lisez ce livre, vous y rencontrerez aussi Dolly, assisterez à un congrès sur l’esclavage aux Antilles, voyagerez en Chine et participerez aux consultations génétiques de couples infertiles (en plus d’apprendre les bases de l’épigénétique).
hans.stalder[at]saez.ch