Les effets pervers de l'excès de qualité

Briefe / Mitteilungen
Édition
2019/36
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2019.18167
Bull Med Suisses. 2019;100(36):1188

Publié le 04.09.2019

Les effets pervers de l’excès de qualité

Sous prétexte de qualité des soins, nos spécialistes, reconnus dans le domaine, ont élaborés de multiples critères et règlements extrêmement détaillés, sur la stérilisation, la définition des locaux opératoires, etc.
Dans la pratique, il est évident que des règles de bonne pratique doivent exister et être apprises par les médecins au cours de leur formation. Lorsqu’il s’installe en privé, aucun praticien ne souhaite avoir des problèmes avec ses patients, et il prendra dès lors toutes les mesures pour éviter les infections et les problèmes.
Mais on a poussé tellement loin ces restrictions à pratiquer des gestes simples, que personne ne veut plus et ne peut plus (pour des raisons de technique trop compliquée et financières) créer des locaux et des conditions qui permettent de les réaliser. Exemple: la seule ventilation d’une petite salle d’opération de cabinet pour la chirurgie dermatologique revient à plus de 30 000 francs! De même, pour éviter les contrôles de stérilisation, la majorité des dermatologues genevois utilise maintenant du matériel et des instruments jetables (avec les conséquences sur l’environnement que l’on imagine aisément) et a renoncé à la stérilisation au cabinet.
On en est donc arrivé au stade où les ophtalmologues, par exemple, ne sont plus équipés pour enlever un simple papillome de la paupière. Résultat, on fait venir le patient dans une salle d’opération d’une clinique, avec tout un équipement sophistiqué pour un geste d’une banalité déconcertante, avec les coûts qui en résultent.
Il fut un temps béni, où les médecins tentaient d’avoir un équipement qui leur permettait de réaliser un maximum de gestes chez eux, ce qui rendait le travail plus intéressant et varié, leur rapportait de l’argent et permettait des économies considérables au système de santé. Ainsi, l’ablation du papillome, enlevé au cabinet, qui coûtait une cinquantaine de francs, coûte maintenant plus de mille francs en clinique.
Si l’on veut suivre toutes les recommandations, l’ablation d’un simple nævus devra bientôt se faire dans un établissement disposant d’un flux laminaire! La qualité finale du travail et la sécurité des patients s’en ­trouveront-elles réellement améliorées? On est en droit de se demander jusqu’où le système de santé et son financement permettront d’aller.
C’est donc bien la complexification totalement inutile et perverse qui pousse le système à devenir de plus en plus cher, pour des prestations banales.
Mais cela n’est pas perdu pour tout le monde: les fournisseurs de matériel jetable et les plateformes chirurgicales qui fleurissent un peu partout sont satisfaits. Tous ces règlements leur permettent des gains substantiels et en même temps de devenir incontournables. Ce n’est pas de leur faute si les coûts augmentent! Pendant ce temps, c’est autant d’argent qui échappe maintenant aux médecins. La qualité et la sécurité des soins a certes un coût, mais pas n’importe lequel.
Au final, les politiciens construisent un monde absurde pour satisfaire leurs électeurs: d’un côté, ils imposent aux médecins des exigences qui font grimper les prix et d’un autre ils veulent diminuer les coûts, bien sûr, tout ça sur le dos des médecins! Il faudra bien à un moment faire des choix et, comme le dit le Dalaï-Lama: Dans tout choix il y a un renoncement. Monsieur Berset ferait bien d’y réfléchir…