“To pay or not to pay”, là n'est pas seulement la question

Zu guter Letzt
Édition
2019/41
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2019.18152
Bull Med Suisses. 2019;100(41):1376

Affiliations
Prof. Dr en économie, membre de la rédaction

Publié le 09.10.2019

Le célèbre arrêt Myozyme du Tribunal fédéral de 2010 contenait déjà tous les éléments importants du drame qui se joue aujourd’hui autour des médicaments onéreux pour soigner les maladies rares et graves. «La caisse-maladie doit-elle payer près de 500 000 CHF par an pour le Myozyme, à l’époque le seul médicament ­autorisé pour la maladie de Pompe, une maladie héréditaire métabolique rare et grave?» D’après les études, insuffisantes à l’époque, le bénéfice attendu était modeste. Une patiente a porté plainte; en dernière instance, le Tribunal fédéral a soutenu la décision de la caisse-maladie, qui a refusé la garantie de prise en charge des coûts en arguant d’une économicité insuffisante.
La problématique reste la même aujourd’hui. Elle est très clairement décrite dans l’article de Jung et al., qui propose une approche innovante de l’art. 71 OAMal. Cette solution doit permettre d’améliorer la vitesse, la qualité et l’impartialité dans la recherche d’une solution, sans pour autant perdre de vue le critère d’éco­nomicité. Cela vaut la peine d’envisager à travers le prisme de l’économie de la santé les trois thématiques qui sous-tendent ce dossier:

1) Les données nécessaires pour prendre une ­décision fondée

Comme le montre le cas du Myozyme, les données sont généralement très insuffisantes pour pouvoir prendre une décision fondée.

2) Manque de critères pour établir l’économicité

Dans la LAMal, le critère d’économicité signifie qu’une prestation médicale n’est remboursée que si elle est «économiquement raisonnable». A l’époque, le Tribunal fédéral a justifié l’arrêt Myozyme en s’appuyant sur des études sur l’économie de la santé, qui postulaient une limite maximum d’environ 100 000 CHF par ­année de vie gagnée. L’arrêt a déclenché un tollé. Paradoxalement, ce sont justement ces valeurs indicatives (valeurs ICER) qui sont utilisées actuellement pour ­déterminer le prix des médicaments, sous le libellé «value-based pricing», ce qui aboutit parfois à des tarifs absurdes. Le débat sur la question «économique ou non économique» n’a pas encore eu lieu en Suisse.

3) «Not to pay» n’est ni accepté, ni compris

Pour les médicaments ou les indications ne figurant pas sur la LS, selon l’art. 71 OAMal, les caisses doivent vérifier les critères EAE pour chaque cas. C’est alors aux assureurs d’assumer la responsabilité de la réponse à la question empoisonnée: «To pay or not to pay?» Il faut cependant avoir la possibilité de décider si un prix est trop élevé. C’est la seule façon pour que le système de santé, résultat d’un financement solidaire, puisse continuer à fonctionner.
Comme le montrent Jung et al. avec leur proposition, en fait nous sommes face aux mêmes problèmes que lors de l’intégration des nouveaux médicaments à la LS. Les auteurs comptent sur la participation du médecin et du patient pour améliorer les données sur les prestations médicales controversées. Ils demandent un système pay-for-performance (paiement à la performance). Cela permettrait de mieux accepter la décision «not to pay», ou au moins de la comprendre. Ils s’appuient sur la procédure «coverage with evidence development» (CED). CED signifie qu’il n’y a remboursement qu’à la condition que les données prédéfinies sur la qualité de l’indication et l’intérêt de la thérapie, en intégrant les mesures de résultats rapportés par les patients (patient reported outcome measures), aient été enregistrées. Ce type de registre permettrait de consigner systématiquement l’intérêt objectif et subjectif du patient, aiderait à lever les doutes et servirait de base à un système pay-for-performance et à une ­intégration future à la LS.
Il revient maintenant aux spécialistes d’évaluer si la proposition des auteurs est applicable ou non sur le terrain, suivant différentes perspectives. Les valeurs ICER et le value-based pricing sont-ils judicieux? Un ­office d’évaluation (fédéral) objectif et centralisé est-il nécessaire? Peut-on admettre qu’un seul médicament génère des coûts supérieurs aux dépenses de toute l’équipe interdisciplinaire en charge du diagnostic, du traitement et du suivi? Les médecins traitants et les ­patients sont-ils assez objectifs? Le débat est ouvert et va bien au-delà de la mucoviscidose.
urs.bruegger[at]bfh.ch