Demande d’assistance au suicide et souffrance insupportable

Qu’en pense le patient ?

Tribüne
Édition
2019/36
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2019.18079
Bull Med Suisses. 2019;100(36):1200

Affiliations
Dr méd.

Publié le 04.09.2019

Sans aucune intention polémique, j’apporte ici une réflexion complémentaire sur le sujet discuté l’année dernière suite à l’adoption par l’ASSM de ses Directives médico-éthiques «Attitudes face à la fin de vie et à la mort». Ce texte inclut de nombreux éléments sur lesquels il y a accord de longue date mais une formulation a été jugée litigieuse: «Les symptômes de la maladie et/ou les limitations fonctionnelles du patient lui causent une souffrance qu’il juge insupportable.»
Sont ici en cause: d’abord, l’autonomie garantie au patient capable de discernement dans les soins de santé. On peut rappeler que pour être licite tout acte médical (sauf urgence grave) doit avoir été précédé du consente­ment éclairé du patient.
Puis, principalement, l’enjeu éthique, pratique, de savoir qui est le meilleur juge, s’agissant de souffrance et de son intensité. Le thérapeute a avec lui son expérience clinique et humaine, il reste cependant que souffrir est éminemment subjectif. Bien difficile de se mettre à la place du malade. Osler disait: «Ecoutez le patient, il vous donne le diagnostic.» La mesure de la douleur n’est pas un diagnostic mais le conseil d’Osler pourrait valoir ici aussi. Dans plusieurs lectures récentes, j’ai été frappé par ces réactions de patients, suite à tels propos directifs des «sachants»: «Mais qui sont-ils donc pour prétendre mieux savoir que moi/nous?» Parmi d’autres, la Dre Véronique Fournier, ­directrice du Centre national français des soins palliatifs et de la fin de vie, rapporte de tels propos dans des situations éthiquement difficiles [1, 2].
Dans un cadre de relation soignant-soigné marquée par l’échange mutuel d’une information claire, le dialogue et la responsabilisation du malade, il ne parait pas possible de poser comme règle que le médecin ­disposerait d’une appréciation plus solide, plus intime, de la souffrance ressentie par le malade; partant, ce qu’en dit ce dernier doit être cru. Et il ne saurait être ­sérieusement question de requérir de lui qu’il «démontre» – à d’autres – combien il souffre.
A propos du caractère vague de «insupportable»: on peut toujours faire plus précis, sans doute, mais il me semble que ce qualificatif dit ce qu’il veut dire, dans la vie et en fin de vie. Sans préjudice au fait que c’est une partie intégrante du métier de médecin de s’entretenir avec le malade et d’estimer son état, la détermination de ce dernier doit prévaloir, sauf cas exceptionnel – il peut y avoir, dans des demandes d’assistance au suicide, une dimension de crise aigüe ou de dépression qui doit faire surseoir à une décision dans le sens de l’assistance, mais ce n’est pas le cas général.
Deux mots au plan juridique: le cadre légal, ferme mais peu précis, est l’article 115 du Code pénal: si elle n’est pas motivée par des mobiles égoïstes (de l’aidant), ­l’assistance au suicide n’est pas punissable. Aucune autre condition n’est posée. Cela étant, il est judicieux que des instances professionnelles le fassent pour notre corporation mais les éventuelles sanctions restent internes, de nature privée. Hypothétiquement: que peut-il se passer si un médecin affirmait que c’est à cause de la souffrance insupportable alléguée par le ­patient qu’il l’a aidé. Au cas éventuel de procédure pénale, il est bien improbable qu’on voie des décisions de sanction du praticien concerné. Les juges s’en tiendraient au critère du code (y avait-il motifs égoïstes?). Et, si on devait leur poser la question, ils seraient fort réticents à vouloir juger – mieux que le patient demandeur – d’un caractère insupportable de sa souffrance (avec de plus la difficulté à le faire a posteriori…).
Finalement: la modalité suisse d’un dispositif légal peu défini est particulière, mais à au moins deux reprises le Conseil fédéral a jugé qu’il n’était pas judicieux de la compléter. Pour avoir eu à me préoccuper d’assistance au suicide dès les années 1990 au sein de l’autorité sanitaire de mon canton, et pour avoir suivi les débats ­depuis lors, j’estime que les faits montrent que ce dispositif est adéquat dans nos circonstances (je note que je ne suis pas membre d’Exit). Il est bon qu’il laisse une large autonomie, à la personne demandeuse d’abord, au médecin interpelé ensuite, pour se déterminer – sur une question, il faut le rappeler vivement, de nature particulièrement privée, personnelle, intime.

L’essentiel en bref

• L’auteur évoque la formulation controversée de «souffrance insupportable» aux yeux du patient, utilisée dans les directives sur l’assistance au suicide adoptées par l’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM).
• Pour l’auteur, le patient est le mieux placé pour juger de sa douleur et son mal-être. Souffrir est hautement subjectif et déterminer de sa propre mort relève de l’intime.
• Le caractère «flou» de l’art. 115 CP s’avère judicieux pour laisser au patient ainsi qu’au corps médical une marge de manœuvre suffisante sur une question aussi délicate que l’aide au suicide.
jean.martin[at]saez.ch