Non, il ne s’agit pas d’écofascisme mais de mesures nécessaires

Lutter contre l’inertie face au dérèglement climatique

Zu guter Letzt
Édition
2019/19
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2019.17686
Bull Med Suisses. 2019;100(19):672

Affiliations
Dr méd., membre de la rédaction

Publié le 07.05.2019

«Les mobilisations qui essaiment en Suisse et ailleurs en Europe frappent les observateurs par leur ampleur, leur jeunesse et leur ton radical» [1]. Les Klima-Demos / manifs pour le climat / marce per il clima du 2 février dans les villes de Suisse ont rassemblé quelque 40 000 participants. Parmi les injonctions lancées sur des centaines de pancartes et autres bannières: «Les dinosaures aussi pensaient qu’on avait le temps», «La planète, tu la préfères bleue ou cuite?», «Il n’y a pas de planète B». Plus ­politique: «Sauver la banquise plutôt que les banques» (on sait que la glace des deux pôles fond à grande vitesse). Et de nombreuses expressions déplorant que les politiques dorment, même si le Parlement de Bâle-Ville et d’autres ont proclamé l’urgence climatique.
L’engagement des jeunes s’est concrétisé récemment par les Semaines de la durabilité, organisées par des groupes d’étudiants du 4 au 9 mars, dans plus de vingt hautes écoles de Suisse (Sustainability Week Switzerland, SWS – www.sustainabilityweek.ch). La multiplicité et la variété de ce qui a été mis sur pied impressionne. Selon le site de SWS: «Nous croyons que les hautes écoles (HE) veulent mettre en place des campus durables (sustainable), mais elles peinent à y arriver. […] Notre vision est d’intégrer la durabilité dans tous les aspects de la vie des HE et les aider à devenir des ‘role models’ pour la société en général. L’impact potentiel au niveau global est énorme.»
Pour l’Uni de Lausanne et l’EPFL, c’est sur le thème «Changer le système, pas le climat» qu’a eu lieu le 28 février le lancement de cette Semaine. Jacques Dubochet est convaincu que la dynamique a changé de camp, ­notamment grâce à la nouvelle génération. Même s’ils apprécient d’être aux côtés de seniors, «ils entendent prendre les choses en main et nous avons impérativement besoin d’eux pour sortir du carbone dans 20 ans, en tout cas en 2050», lance le prix Nobel. A été évoquée Greta Thunberg, qui est allée dire à Davos que «la seule chose sensée est de tirer le frein de secours». En stigmatisant l’incurie climatique actuelle, Dominique Bourg, figure des débats dans le monde francophone, a rappelé les multiples indicateurs pointant la «Grande accélération» du dernier siècle [2]. Il a répondu aux «réalo-­climato-sceptiques» et à leurs critiques bruyantes des mesures drastiques nécessaires – correspondant à des changements majeurs de nos modes de vie (voir [3]): «Non, il ne s’agit en rien d’écofascisme, mais des moyens de préserver l’habitabilité de la Terre»; il faut absolument éviter d’aller au-delà de 2 °C de réchauffement, au risque sinon d’évolutions irréversibles. Voir aussi l’appel récent de 260 chercheurs à participer à la grève mondiale du climat du 15 mars [4].
Exemples: les hautes écoles s’emploient activement à limiter les vols en avion de leurs collaborateurs (qui aurait osé y penser il y a quelques années?). Le canton de Genève a décidé que les voyages scolaires ne peuvent plus utiliser ce moyen. Simonetta Sommaruga vient aussi de dire des choses fortes… mais il faut bien sûr s’attendre aux réactions de ceux qui rêvent encore à une croissance sans limites.
Elément rarement évoqué, mais que je crois majeur: c’est que nous avons peur, écrit (sans cacher son avis que les politiques ne sont pas à la hauteur des enjeux) un pasteur chargé d’une colonne éthique dans le journal du PLR vaudois. Jean-François Ramelet: «L’émergence d’une intelligence collective est indispensable. Cela ne se fera pas sans la reconnaissance que nous sommes tous peu ou prou habités par la peur et le sentiment d’impuissance devant l’ampleur des problèmes que les scientifiques sont unanimes à décrire. La peur transpire des sarcasmes et des discrédits que suscitent les manifestations pour le climat. Cette peur doit devenir le moteur de la prise de conscience et de la mobilisation» [5].
Dans un contexte où devraient prédominer la science et les faits avérés, on sait cependant que les croyances ont une large place; entre autres chez ceux qui ne veulent pas voir ni écouter ou qui, comme certains aux Etats-Unis, disent: «Si Dieu a mis chez nous des gisements de charbon, c’est bien pour qu’on en profite»… L’émotion principale qui nous inhibe serait-elle la peur de l’inconnu? Pas exclu.
jean.martin[at]saez.ch
1 Zünd C. Les lanceurs d’alerte du climat. Le Temps, 2 février 2019, p. 6.
3 O’Neill DW, et al. A good life for all within planetary boundaries. Nature Sustainability, vol. 1, February 2018, p. 88–95.
5 Ramelet JF. Question de valeur. Tribune (Lausanne), no 2/2019, p. 14.