Plafonner le coûts au détriment des patients?

FMH
Édition
2019/11
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2019.17684
Bull Med Suisses. 2019;100(11):365

Affiliations
Dr méd., président de la FMH

Publié le 13.03.2019

Ceux qui aiment se forger une opinion sur la base de faits ont pu lire un rapport réjouissant fin février: le système de santé suisse figure en tête de classement en Europe, grâce à ses standards élevés dans tous les domai­nes et à son excellente accessibilité pour des soins médicaux de très bonne qualité [1, p. 28]. Ce qui explique aussi pourquoi 87% de la population évalue positivement notre système de santé; un chiffre record [2].
Un défi important reste son financement, même si la situation est bien meilleure que ce qu’on entend en général: les coûts de l’assurance-maladie ont augmenté de seulement 1,7% en 2017 [3] et ils ont même stagné en 2018 [4]. La part d’assurés qui considère les primes comme un «problème continuel» a chuté à 5%, un taux historiquement bas [2]. Il y a même des propositions concrètes pour utiliser les ressources de façon optimale à long terme sans alourdir les primes – et surtout sans restreindre la qualité des soins ou la liberté de choix des patients [5].
Les efforts d’économie impliquent généralement des conflits, y compris dans le domaine de la santé: si tout le monde s’accorde sur des dépenses et des primes aussi basses que possible, la plupart s’oppose à une réduction de l’offre ou à des restrictions d’accès [6]. Certains acteurs politiques ont d’ailleurs entrepris de réinterpréter cet éternel dilemme pour s’en servir en vue des élections: ils promettent simplement le beurre et l’argent du beurre, c’est-à-dire une diminution sensible des coûts sans restriction visible, ou encore des pres­tations identiques pour moins d’argent.
Au premier abord, leur message ressemble à ce que tout le monde voudrait entendre: les coûts de la santé ne doivent pas augmenter plus fortement que les salaires (PDC), on a besoin d’un «plafond […] pour l’évolution des dépenses» (experts du DFI), il faut empêcher une «augmentation injustifiée des quantités et des coûts» (proposition art. 47c LAMal) [7] ou contrer une «croissance trop élevée [des coûts]» en intervenant dans les conventions tarifaires (motion 18.3305). Tout cela sonne bien: il ne viendrait à l’idée de personne de défendre des coûts excessifs. Mais en réalité, ces propo­sitions visent toutes un seul et même but: soumettre le système de santé à une enveloppe budgétaire pour économiser de l’argent, en laissant au monde politique – sans consulter les patients – le soin de définir quels coûts sont «injustifiés» [7].
Evidemment, personne ne s’avance pour expliquer ce miracle de l’épargne sans douleur. Il ne faut surtout pas effrayer les électeurs en leur disant où il faudra faire des économies. On préfère invoquer un hypothétique poten­tiel d’économie de 20% dans le système de santé, non étayé. Le PDC renvoie la balle à la Confédération et aux cantons censés prendre des «mesures» non spécifiées. Les autres propositions citées ci-dessus feraient porter le chapeau aux médecins en rationnant des coûts dont la politique ne voudrait pas, par une modification du tarif.
Personne ne veut voir la réalité qui dérange et admettre qu’il est en général impossible de réduire les coûts sans restriction. D’où le souhait exprimé par une généraliste du canton de Glaris dans un entretien à la page 366 [8], qui aimerait «que les patients ne se préoccupent pas seulement de leurs primes d’assurance-­maladie, et qu’ils s’informent vraiment des modifications prévues pour le système de santé». Les patients, qui ­aujourd’hui «tombent des nues» lorsqu’ils appren­nent que la durée de la consultation est limitée, seraient d’autant plus indignés des conséquences de l’instauration d’un plafond budgétaire.
Le fait «qu’il n’y a pas encore de budget global en Suisse» est un grand avantage, pour cette collègue originaire d’Allemagne. Les classements internationaux et la satisfaction générale de la population lui donnent raison. Nous ne devrions pas abandonner l’excellence de nos prises en charge pour des promesses creuses.