Inclure l’avis du patient

FMH
Édition
2018/40
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2018.17202
Bull Med Suisses. 2018;99(40):1347

Affiliations
Dr, vice-président de la FMH, responsable du département DDQ/ASQM

Publié le 03.10.2018

Cela nous arrive souvent dans notre quotidien clinique: avant de prendre une décision sur un cas concret, nous consultons différentes directives dont les recommandations respectives s’excluent mutuellement. Prenons l’exemple d’une fibrillation auriculaire détectée chez un patient de septante ans. Une hémodilution serait indiquée pour répondre au risque d’apoplexie cérébrale. Mais il a eu précédemment une hémorragie stomacale… Pas aussi banal donc, de donner un bon conseil. Les études scientifiques et les directives qui en découlent atteignent leurs limites là où elles commencent à s’exclure. Même l’évidence la plus élevée des études randomisées contrôlées comporte aussi de nombreuses exclusions car sinon, sans facteurs perturbateurs supplémentaires, les collectifs ne pourraient pas être comparés entre eux. La polymorbidité est justement aussi toujours un critère d’exclusion. ­Enfin, schématiquement, nos patients ne partagent pas tous les mêmes souhaits et n’ont pas non plus des projets de vie similaires. Personne ne se réduit à un être purement médical!
En publiant le 2 décembre 2015 le document de référence «Quelle est la qualité de la recherche médicale?» [1], le Bulletin des médecins suisses a mis en lumi­ère de manière critique d’autres facteurs perturbateurs. Une chose est certaine: les directives sont des outils de travail essentiels pour nous ­guider au quotidien mais elles ne peuvent pas se ­substituer à notre prise de décision. Nous avons donc besoin d’un autre élément complémentaire. Ne serait-­
il pas naturel de le chercher directement chez nos patient­s? Eux qui nous confient leurs douleurs, leurs souhaits, leurs visions et leurs angoisses!
C’est justement sur ce principe que repose la mesure des résultats de santé rapportés par le patient: qu’est-ce qui pousse les patients à solliciter un conseil ou notre aide? Quels sont les défis à relever concrètement? Il ne s’agit pas seulement de polymorbidité, même si elle est de plus en plus fréquente, mais aussi de différents ­aspects individuels: le patient souhaite-t-il pouvoir reprendre le travail? réduire ou éviter une dépendance aux soins et donc préserver son indépendance? se remettre en forme pour son temps libre? A chaque fois, il est question d’estime de soi et de valeurs, qui ne se laissent pas standardiser. Mais elles peuvent, elles doivent même, intégrer le processus décisionnel! Si une telle procédure est mise en œuvre avec des outils appropriés et qu’elle bénéficie d’un soutien systématique, ce ne seront plus les résultats de laboratoire et les radios qui seront au centre, mais les besoins réels de nos patients. Dans l’idéal, ces besoins pourront être déterminés au préalable d’une consultation, en salle d’attente ou à la maison, sans précipitation. Le temps précieux de la consultation pourra alors servir à re­discuter et concrétiser les aspects évoqués au lieu de passer par un relevé structuré de l’anamnèse. Pour cela, les systèmes mis en place devront alléger et non surcharger les tâches administratives. Ensuite, lorsqu’il sera possible de mettre en réseau des données anonymisées et agrégées et de les analyser, un système de soutien devra les réunir et proposer les résultats de situations cliniques comparables. En définitive, seule la situation individuelle de chaque patient décidera si, comment et sous quelle forme un tel processus est justifié. Les solutions pour tous n’auront pas la vie ­facile.
Pour conclure, si le quotidien au cabinet médical n’est pas comparable à celui d’une polyclinique d’un hôpital universitaire, les besoins diffèrent aussi d’une spé­cialisation à l’autre. Au final, nous devons non seulement respecter l’individualité de nos patients mais aussi la mettre en valeur. Associer les directives aux expériences pratiques n’est pas un oxymore mais bien plus une complémentarité nécessaire, censée nous ­accompagner dans la prise de décision indi­viduelle. Elles n’ôteront la décision ni à nos patients, ni à nous médecins. Cette responsabilité nous appar­tiendra toujours.