Sur le front du climat (et de l’effondrement) par Jean Martin (Bull Méd Suisses. 2018;99(28-29):958)

«Etre et durer avec Gaïa», que faire devant notre «oil addiction»

Horizonte
Édition
2018/35
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2018.17037
Bull Med Suisses. 2018;99(35):1159-1160

Affiliations
Dr méd., médecin specialiste en Médecine du travail, maîtrise en géographie physique et humaine, membre de la FMH

Publié le 29.08.2018

La situation

Le mercredi 01.08.18, l’humanité a consommé en 8 mois à peine toutes les ressources naturelles renouvelables que la Terre est en mesure de produire en une année; et ce n’est rien «sur le front du climat (et de l’effondrement)» au regard de l’oil addiction de cette civilisation occidentale mondialisée et surconsommatrice. Cette dépendance aux énergies fossiles risque bien de nous conduire vers une catastrophe durable, voire à notre disparition en tant que modèle civilisationnel, alors qu’aucune décision révoltionnaire majeure n’a été prise en matière de politique climatique, dans un contexte de montagnes de dettes et de bilans de banques centrales astronomiques post-crise de 2008.
Mais quels sont réellement les effets climatiques de cet oil addiction dans le bilan des gaz à effet de serre? 
Il s’agit essentiellement des rejets de CO2 atmos­phérique qui atteignent actuellement 416 ppm, et sont en progression cons­tante depuis 1850 environ (valeur à cette date 280 ppm). L’accrois­sement est linéaire, sans interruption notable, tout comme la production pétrolière de 80 Mb/j voici quelques années encore, à 100 Mb/j actuellement, les hydrocarbures de schistes permettant de suppléer au peak oil des grands gisements anciens. Les Etats Unis sont devenus d’ailleurs le premier producteur mondial de pétrole (10 Mb/j env.) et fixent le prix du marché. Les capacités de neutrali­sation en carbonate au niveau des océans étant dépassées, nous en sommes déjà au stade de l’acidification progressive avec un pronostic plus que réservé pour la flore et la faune sur 70% de la surface de la planète.
Ce gaz à effet de serre est responsable à lui seul de l’essentiel du réchauffement climatique, et il apparaît déjà selon les revues spécialisées que l’objectif des 2° C de réchauffement ne sera pas tenu («tipping point»), et que, vraisemblablement, nous nous acheminons vers un 4° C, voire un 6° C avec toutes les complications graves que cela implique, et plus rapidement que nous le pensions (cf. évaluation du forçage radiatif à l’horizon 2050–2100). Une augmentation du niveau de la mer de 6 à 9 m à court terme provenant de la fonte de l’inlandsis du Groenland (calotte de glace), et des glaciers de l’hémisphère nord n’est plus une lubie, pas plus qu’à plus long terme une fonte progressive de l’Antarctique avec alors 60 m en plus. Les mécanismes de notre planète «Gaia» commencent à être bien connus: les deux livres universitaires les plus actuels avec des données scientifiques incontestables, et qui se lisent comme des romans, sont publiés chez Odile Jacob, avec «Voyage à travers les climats de la Terre» de Gilles Ramstein, et «Gros temps sur la planète» de Duplessy et Morel. Comment ne pas citer aussi Jean Jouzel, Claude Lorius avec «La Glace et le Ciel», dont le film ­résume toute cette ­situation.
Adolescent j’allais à l’Institut de Géographie Alpine de Grenoble, et en 1980-90 déjà des rapports ­prospectifs circulaient sur ce qui allait se passer. Il était déjà annoncé à cette date la disparition des stations de ski en dessous de 1800 m (prospective des investissements, désengagement des collectivités etc..). Les rapports du Giec (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) sont plus difficiles et s’adressent à des spécialistes, mais au fond aucun politique n’a jugé utile de lire au moins le plus accessible de cette littérature scientifique malgré la gravité de la catastrophe à venir.
Que croyez vous qu’il va se passer si, dans quelques ­années, le niveau des mers montait de 6 à 9 m? Je laisse à votre réflexion sur une carte d’Europe redessinée les frontières de nos Etats, voire pour certains leur dis­parition, sans parler des plaines nourricières du Nord; en d’autres points du globe, des pays entiers seront ­engloutis pour toujours. Oui, car comme l’explique la ­littérature scientifique revenir un jour à la situation initiale ne sera plus possible. Qu’allons-nous faire nous, pour supporter ce sevrage de cette oil addiction, que vont faire les populations directement touchées par ce changement climatique? Je laisse cette suggestion à votre réflexion, surtout pour nos enfants, car cela va être dur. Déjà plusieurs zones européennes sont soumises au stress hydrique, à la baisse des rendements agricoles du fait du réchauffement, aux problèmes de production énergétique (refroidissement du nucléaire) et hydraulique. Enfin, voici quelques années, le «Camp des Saints» de Jean Raspail, publié en 1973 avait provoqué une vive polémique, mais la réalité a, semble-t-il, dépassé ce qui était délirant. Quelques titres de presse sont aussi intéressants cet été: «la France chauffe, la Scandinavie suffoque» (Figaro 28–29.07.2018) avec le mois de juillet le plus chaud jamais enregistré, et un record de température en Europe du Nord – 15° C en plus autour du cercle polaire. «Climat: la fonte du plus haut sommet suédois inquiète les scientifiques» (Figaro 03.08.2018)». Et en Suisse, pouvons nous imaginer le ­Valais comme le Mercantour au-dessus de Nice, voire Barcelonnette, une montagne sèche et caillouteuse?
Chers confrères; que faire, quelles actions urgentes?
Le Dr Martin est tout à fait juste en introduisant la ­notion de déni halluciné. Cliniquement, effectivement nous en serions au stade d’un état limite grave (prépsychose) sous l’influence de cette oil addiction. Evidemment le sevrage de cette addiction, comme tous les ­sevrages, est douloureux, il nécessite du courage, des ressources et votre adhésion pour prendre conscience et se sortir de cet esclavage, qui nous mène au précipice. Mais beaucoup pensent comme souvent dans ces cas, qu’il est plus dangereux d’arrêter une addiction que de la continuer. Toutefois, avec courage et dignité, vous pouvez le faire, changer et inverser le cours des choses à titre individuel ou collectif, car la pression que vous pouvez mettre sur les industriels, les banques et les politiques est énorme, dans quelque pays occidental que ce soit. En effet, la 1ère source mondiale de revenus dans le commerce (et donc du pouvoir, sans parler de l’actualité et des conflits) est le pétrole, et en second, vous avez l’industrie automobile. La tonne de CO2 coûte ici 35–45 frs, contre 150–160 frs dans les pays du nord, alors que son juste prix devrait être au moins le double avec un prix réel de l’essence à 5, voir 7 frs: cf. coût environnemental, du réchauffement climatique, services diplomatiques et défense pour la sécurisation de l’acheminement, impact sur la santé etc.
En choisissant ce sevrage, et en construisant un monde totalement décarboné à la mesure des moyens de chacun, même petitement, vous mettez le système sous tension. Les secteurs clefs où vous mettrez le plus de pression et où vous aurez le plus d’impact sur le taux de CO2 à venir est celui du transport et de l’énergie (qui ­englobe le chauffage). Avec une production solaire ou de petite hydraulique de quelques Kilowatts de puissance, vous subvenez à vos besoins personnels, y compris déplacement, à 30–50 kw, vous avez déjà de l’énergie à profusion pour plusieurs, et à la barre des 100 kw, vous devenez un acteur du marché en maitrisant ce ­savoir-faire. Veuillez noter aussi que la production in situ permet d’économiser une production 10 fois supérieure ailleurs (rendement du transport énergétique, effet Joule, etc.). 100 kw de puissance solaire in situ, c’est 1% d’un réacteur nucléaire classique ailleurs (tranche de 1000 Mw). L’objectif de stabilisation à 420–430 ppm serait possible rapidement, voire une descente de ce taux, la «machine océan» jouant un rôle non négligea­ble dans la neutralisation du CO2. Par ex., en optant pour un véhicule tout électrique, l’impact est démultiplié, et en le combinant avec des installations solaires, voire des piles, vous décuplez votre empreinte économi­que: c’est bien, c’est favorable, c’est une forme de vote déguisé en faveur d’une politique climatique visible.
Vous devenez maître de votre énergie, de son utilisation et de votre approvisionnement. Vous changez tout. Il en est de même pour le chauffage avec les pompes à chaleur, ou la climatisation des bâtiments. Il existe bien d’autres voies comme les approvisionnements sur circuits courts, voire les origines de productions: le principal domaine pour une baisse rapide du CO2 est le transport et l’énergie en décarbonant complètement. Les investissements sont conséquents, vous êtes souvent seuls, peu épaulés, et évidemment exposés. En effet, «les milieux dont les intérêts sont touchés par une véritable transition énergétique utiliseront toujours les mêmes moyens usuels: distorsion des faits, disqualification des personnes, allégations trompeuses, lobbying des négationnistes…» (cf. article Dr Martin), y compris sur la toile à grand renfort de troll. Ils vivent d’une rente de situation énorme et ­injustifiable sur le bien commun.
Voilà, il n’existe qu’un seul vaisseau habitable dans notre système, notre Terre, Gaia, il n’y pas de plan ou de planète B. Pour rappel, Mars n’est pas un système tellurique (système actif), elle n’a pas de ceinture de Van Haelen (radiation), et la gravité y est trop faible pour retenir l’hydrogène, ceci expliquant la disparition connue d’océans primitifs et de l’atmosphère. Elle n’est qu’un embryon fossilisé de notre monde.
gilles.chardon[at]smrsr.oai.ch
Gilles Ramstein, «Voyage à travers les climats de la Terre», Odile Jacob sciences, ISBN: 9782738128539, 2015, 352 p.
Jean-Claude Duplessy et Pierre Morel «Gros temps sur la planète» Odile Jacob, 1990, 300 pages, 130–40.
Jean-François Minster, «La machine-océan», Flammarion, collection Champs, année 1999, ISBN 9782080814272.