Plan d'action pour une médecine interne générale universitaire

Weitere Organisationen und Institutionen
Édition
2018/38
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2018.06954
Bull Med Suisses. 2018;99(38):1262-1265

Affiliations
a Prof. Dr méd., Directeur et médecin-chef du Service de médecine interne générale, Inselspital, Hôpital universitaire de Berne; b Prof. Dr méd., Médecin-­
chef du Service de médecine interne, Hôpital universitaire de Bâle; c Prof. Dr méd., Directeur de la Policlinique et du Service de médecine interne, Hôpital universitaire de Zurich (USZ); d Prof. Dr méd., Directeur, médecin-chef, Policlinique médicale universitaire, Chef du Département universitaire de médecine
et santé communautaire, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV), Lausanne; e Prof. Dr méd., Médecin-chef de la policlinique médicale, Hôpital universitaire de Bâle; f Prof. Dr méd., Médecin-chef du Service de médecine interne, Hôpital cantonal de Bâle-Campagne; g Prof. Dr méd., Directeur
du Service universitaire de médecine interne, Médecin-chef du Service de médecine interne générale et des urgences, Hôpital cantonal d’Argovie;
h Prof. Dr méd., Médecin-chef du Service de médecine interne générale, Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG); i Prof. Dr méd., Médecin-chef de la Poli­clinique médicale, Service de médecine interne générale, Inselspital, Hôpital universitaire de Berne, Directeur de l’Institut bernois de médecine de premier recours, Université de Berne; j Prof. Dr méd., Médecin-chef du Service de médecine interne, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV), Lausanne; k Prof. Dr méd., Chef du Département de médecine, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV), Lausanne; l Prof. Dr méd., Médecin-chef du Service de médecine de premier recours, Chef du Département de médecine communautaire, de premier recours et des urgences, Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG)

Publié le 19.09.2018

Introduction

Résumé

Les décideurs ont du mal à comprendre les raisons d’une médecine interne «générale» (MIG) à l’hôpital universitaire hautement spécialisé et ils critiquent son «profil flou». De plus, des patients multimorbides et souvent non rentables se concentrent dans la MIG. Il en résulte que la discipline est désavantagée en termes de priorisation et de ressources. Résultat: une perte d’attractivité, une désacadémisation et des difficultés de recrutement de jeunes médecins. Ces derniers temps pourtant, la MIG universitaire a suscité un regain d’intérêt de la part des directions d’hôpitaux du fait de la pénurie de généralistes, de l’«épidémie» de patients multimorbides, de la fragmentation liée à la spécialisation ainsi que de la difficulté croissante pour la médecine spécialisée de gérer les problèmes hors de son domaine de compétence. C’est ainsi qu’unimedsuisse a chargé les professeurs ordinaires des cliniques universitaires de médecine interne suisses d’élaborer un plan d’action visant à renforcer la MIG dans l’organisation des hôpitaux universitaires. Le plan prévoit notamment d’accorder un plus haut degré de priorité à la MIG en termes d’infrastructures et de personnel, de reconnaître les ressorts de compétence professionnelle de la MIG et de créer des profils professionnels structurés. Ces mesures devraient renforcer le prestige et l’attractivité de la MIG en tant que discipline et permettre de meilleures perspectives de développement dans le but de lutter contre la pénurie de généralistes et de réduire les dépenses de santé.
Comme la médecine interne générale (MIG) cultive une approche holistique et ne se focalise pas sur un organe, une maladie ou un groupe d’âge spécifique, les directions et les conseils d’administration ont parfois du mal à concevoir l’importance de la MIG au sein de l’hôpital universitaire et critiquent son «profil flou». De plus, la MIG se concentre sur des patients multimorbides nécessitant de longues hospitalisations (souvent pour décharger d’autres services), de telles prestations n’étant pas suffisamment indemnisées dans le système SwissDRG. Il se peut dès lors que la MIG universitaire se trouve défavorisée en termes d’investissements ou qu’elle soit réduite ou transférée vers des sites non universitaires, avec à la clé une perte de visibilité et de prestige pour la discipline. Vu la spécialisation croissante, des évolutions analogues ont été observées dans la plupart des hôpitaux universitaires, à des degrés ­variés: (1) scission de spécialités qui revendiquent une patientèle sélective, (2) concentration sur la MIG des cas difficiles 
à «classifier» dans un domaine précis, souvent des patients multimorbides complexes exigeant des soins importants, (3) prise en charge des soins de base et des services de nuit et du week-end impopulaires dans les services spécialisés en raison de la diminution de la compétence/disposition des spécialistes à traiter des patients en dehors de leur spécialité. Il va sans dire que ces facteurs ont eu un impact négatif sur l’attractivité, le prestige et le développement académique de la MIG.

Renaissance de la MIG

Déjà donnée pour morte, la MIG universitaire connaît pourtant à l’heure actuelle une véritable renaissance. Cela s’explique par la hausse des dépenses de santé, la pénurie de généralistes, la fragmentation de la prise en charge des patients et l’accroissement du nombre des patients multimorbides complexes (60% de la population de plus de 65 ans [1]). Ces problèmes sont notamment dus à une spécialisation croissante et ne peuvent être résolus par cette voie. L’Office fédéral de la santé publique (groupe thématique «Spécialisation croissante en médecine humaine du point de vue de l’organisation dans les hôpitaux») et les directions des hôpitaux sont ainsi arrivés à la conclusion qu’une nouvelle perspective d’avenir devait être développée pour la MIG à l’hôpital universitaire. C’est pourquoi le Collège des Directeurs Médicaux d’unimedsuisse a chargé les professeurs ordinaires des services universitaires en MIG d’élaborer un plan d’action visant à renforcer la MIG dans l’organisation des hôpitaux universitaires. Le plan suivant esquisse les conditions-cadres institutionnelles nécessaires à cet effet et décrit les profils professionnels et de carrière structurés pour les internistes généralistes à l’hôpital universitaire.

Plan d’action

A. Conditions-cadres institutionnelles nécessaires

L’avenir de la MIG universitaire – comme celui d’autres spécialités – est essentiellement déterminé par les dé­ci­sions d’investissement et par les perspectives de développement qui en découlent. Indépendamment du modèle d’organisation existant, une MIG fonctionnant correctement nécessite deux conditions-cadres institutionnelles:

1. Priorisation stratégique de la MIG
avec des investissements en infrastructures et en personnel

Du fait de son rôle important pour l’organisation hospitalière centrée sur le patient, le lien avec les médecins référents, la prise en charge interniste de base dans les services spécialisés ainsi que son importance pour un système de santé performant en termes de coûts (formation postgraduée et continue des médecins généralistes), la MIG doit faire l’objet d’une prise en compte adéquate à l’hôpital en termes d’infrastructure nécessaire (nombre de lits et de places de poli­clinique) et de personnel nécessaire pour assurer les soins. Suite à la forte hausse du nombre de patients multimorbides et compte tenu de l’objectif visant à encourager une médecine centrée sur le patient, il faut aussi offrir une perspective de croissance à la MIG. La prise en charge de patients multimorbides complexes est très lourde et entraîne une charge administrative importante [2]. La MIG est par conséquent impactée de manière disproportionnée par la question des dossiers de patients électroniques conviviaux. C’est pourquoi, parallèlement à un allégement administratif par du personnel non médical, le développement de dossiers de patients électroniques rapides, intuitifs et mis en réseau est très important du point de vue de la MIG. En raison de la charge de travail élevée, un nombre de 8 à 9 patients stationnaires par médecin assistant ne devrait généralement pas être dépassé.

2. Domaine de compétence propre, autonomie professionnelle, compensation adéquate au sein de l’hôpital pour les «prestations de service»

Un secteur de compétence propre et une autonomie professionnelle sont les conditions de base pour renforcer l’identité professionnelle propre de la MIG. Cela inclut la gestion de cas et la responsabilité médicale finale dans des policliniques et des unités de lits consacrées à la MIG, où, en collaboration avec les disciplines spécialisées, une prise en charge des patients, un enseignement et une formation postgraduée ainsi qu’une recherche propre au domaine sont possibles.
Les formes d’organisation où la tâche de la MIG réside essentiellement dans la fourniture de services de support au sein de départements spécialisés (prise en charge de base, gardes) ne sont pas attractives. De telles «prestations de services» pour d’autres spécialités doivent être rémunérées à leur juste valeur.
Les formes d’organisation où le plus gros du personnel interniste est employé à des postes de rotation en dehors de la MIG sont eux aussi peu attractives. L’expérience montre qu’une formation postgraduée coordonnée, des aspects de gestion et la mise en place d’une corporate identity sont rendus bien plus difficiles lorsque plus de 50% des places de formation postgraduée ­représentent des rotations spécialisées. Pour cette raison aussi, la MIG nécessite un propre noyau suffisamment vaste qui devrait représenter dans l’idéal au moins 20% des lits de l’hôpital universitaire.
En tant que discipline polyorganique et polypathologique, la priorité professionnelle de la MIG se situe dans les domaines suivants: (1) la prise en charge de patients multimorbides, (2) l’analyse de symptômes peu clairs et (3) la prise en charge efficiente de pathologies courantes qui ne nécessitent a priori aucun traitement spécialisé. Ces compétences doivent être reconnues par la direction de l’hôpital et attribuées à la MIG. La gestion de ­patients multimorbides représente précisément une chance de renforcer le profil professionnel et académique de la MIG. De plus, les patients multimorbides (plusieurs maladies par patient) offrent de grandes possibilités au niveau de l’enseignement et de la formation postgraduée ainsi qu’en matière de recherche clinique.

B. Profils professionnels et de carrière académiques et non académiques des internistes généralistes à l’hôpital universitaire

La MIG a de plus en plus de mal à recruter des médecins-chefs et des médecins-cadres. C’est pourquoi le développement de profils professionnels et de carrière clairement structurés représente un pilier important du renforcement de la MIG universitaire. Des exemples de profils professionnels académiques et non académiques sont décrits ci-dessous.

1. Clinician Investigator

Bien que la recherche fondamentale soit également pratiquée en MIG, celle-ci s’éloigne de la recherche ­fondamentale et translationnelle traditionnelle pour s’orienter vers une recherche clinique centrée sur le ­patient et dont l’objectif est l’amélioration immédiate de la qualité des soins. Quel que soit le type de recherche, il est éminemment important pour le profilage académique qu’une recherche spécifique visible soit proposée dans la discipline même, donc au sein de la MIG. Comme une bonne recherche clinique a un ­caractère interdisciplinaire, des coopérations interdisciplinaires sont indispensables. En revanche, le modèle selon lequel la recherche est entièrement confiée à 
des sous-spécialités de médecine interne et où le chercheur retourne ensuite à la MIG en tant que médecin- cadre, fonctionne de moins en moins et ne contribue pas à la clarification du profil académique de la MIG.
Le Clinician Investigator est un interniste généraliste académique pratiquant la recherche dont l’activité principale comprend la recherche clinique et la prise en charge de patients. Le parcours professionnel typique inclut une formation en médecine interne générale, une activité de chef de clinique, une rotation de ­re­cherche clinique dans le domaine de la MIG, une activité de recherche clinique sur plusieurs années subventionnée par le Fonds national suisse, le tout combiné avec un master en recherche clinique. Les coûts des études de master sont pris en charge par l’hôpital dans le cadre d’un contrat de formation, le chercheur étant lié à l’institution à moyen terme. A son retour de l’étranger, celui-ci sera habilité et promu au titre de médecin-cadre. Les Clinician Investigators constituent le pool des futurs médecins-cadres et médecins-chefs en méde­cine interne. Bien que le financement des postes en rotation, des programmes de master et des postes de cadre pour les médecins représente un important facteur de soutien du point de vue de l’hôpital pour la réussite de ce parcours professionnel, la «volonté de ­re-
cherche» et la priorité qui lui est accordée au sein du service doit venir des chefs de services, tout comme la mise en place d’offres de recherche au sein de la MIG, d’une fonction d’exemplarité en tant que chercheur et d’un mentorat personnel intensif auprès de la relève académique.

2. Clinician Educator

Souvent, les services de MIG sont particulièrement ­engagés dans l’enseignement et dans la formation postgraduée en raison du nombre important de médecins assistants. L’accroissement des besoins d’enseignement et de formation postgraduée parallèlement à ­l’accroissement du nombre d’étudiants et de médecins assistants ouvre la voie à une profession académique nouvelle au sein de l’hôpital universitaire: le Clinician Educator. Outre son travail clinique et administratif, il consacre une importante partie de son temps à l’enseignement et à la for­mation postgraduée. Cela comprend un enseignement innovant, l’élaboration de cursus d’enseignement et de formation postgraduée, du mentorat et du conseil en carrière et une activité de recherche en medical education. En raison du développement et de la professionnalisation de la formation médicale, un master en medical education peut se révéler là encore utile. Comme pour le Clinician Investigator, les frais du programme de master devraient être pris en charge par l’hôpital liant ainsi les futurs collaborateurs à celui-ci. Des Clinician Educators performants devrai­ent également être promus médecin-cadre et obtenir une habilitation pour l’enseignement.

3. Physician Administrator

Par son étendue professionnelle, les multiples interfaces avec d’autres domaines spécialisés et le haut niveau d’expérience en matière de formation postgraduée, de gestion de personnel et de tâches d’organisation, l’activité de médecin généraliste prédestine aux tâches de gestion et de direction de l’ensemble de l’hôpital. Les médecins ayant un bagage en médecine interne ­choi­-
sissent de plus en plus souvent des orientations de carrière au sein de l’administration hospitalière, par exemple en qualité de directeur médical. Les internistes qui manifestent un intérêt pour les tâches de direction et d’organisation interdisciplinaires devraient être identifiés en temps voulu, soutenus dans le sens d’une formation structurée dans une étroite collaboration entre la MIG et la direction de l’hôpital et préparés à leur futur domaine d’activité. Les mesures de soutien comprennent notamment l’obtention d’un Master of Business Administration ou Public Policy ainsi que des formations en économie de la santé, leadership, gestion de projets, etc. Les frais de telles formations complémentaires doivent être pris en charge par l’hôpital liant ainsi le personnel à ce dernier.

4. L’«hospitaliste»

Pour une prise en charge optimale des patients, il est important d’offrir aussi aux internistes généralistes non académiques une perspective d’avenir à long terme à l’hôpital universitaire. Le mouvement hospitaliste a été très lent à s’implanter en Suisse et présente aussi un profil d’emploi très hétérogène. Le spectre va du médecin qui fonctionne de manière autonome (médecin assistant et chef de clinique «en union personnelle») et prend en charge directement les patients, au médecin-cadre avec une fonction de superviseur et des tâches supplémentaires. Les hospitalistes en médecine interne sont également recrutés par les services de chirurgie pour lesquelles ils fournissent les soins périopératoires aux patients. La désignation professionnelle de l’hospitaliste varie également et comprend des termes tels que médecin hospitalier (Spitalfacharzt), interniste hospitalier (Spitalinternist), médecin-cadre (Kaderarzt) et autres.
Les profils où l’hospitaliste est exclusivement responsable de la prise en charge directe de patients ne fonctionnent pas à long terme. Les modèles dans lesquels l’hospitaliste interniste assure la prise en charge de base dans les services de chirurgie et est donc subordonné au médecin-cadre en chirurgie, sont aussi souvent insatisfaisants. Les modèles assortis d’un portefeuille mixte de missions semblent fonctionner le mieux. Dans de tels cas, l’hospitaliste s’acquitte d’une part de missions de supervision mais a d’autre part aussi une fonction spéciale, par exemple en clinique, en formation, à l’amélioration de la qualité des soins ou au sein de l’administration. Des perspectives de progression professionnelle doivent aussi être garanties. Les hospitalistes doivent être rattachés à la MIG dans la perspective d’échanges professionnels.

Remarque finale

L’avenir professionnel de la MIG est déterminé en fin de compte par des décisions structurelles dans les hôpitaux universitaires. Reste à savoir si les directeurs médicaux, les directions et les conseils d’adminis­tration seront suffisamment visionnaires pour comprendre le potentiel de la MIG et garantir un juste ­équilibre entre médecine spécialisée et médecine ­généraliste au sein de l’hôpital universitaire. Si le site universitaire mise trop sur la médecine spécialisée, cela pourrait entraîner une prise en charge lacunaire des patients multimorbides, une aliénation des médecins référents, un déplacement régional de la répartition des médecins vers la médecine spécialisée et une hausse des dépenses de santé.
Prof. Dr méd.
Drahomir Aujesky, MSc
Directeur de clinique
et médecin-chef
Clinique universitaire et policlinique de médecine interne générale
Bâtiment 5, H010
Hôpital de l'Ile, Hôpital universitaire de Berne
CH-3010 Berne
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