Parler c’est bien, agir c’est mieux…

Zu guter Letzt
Édition
2018/11
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2018.06520
Bull Med Suisses. 2018;99(11):364

Affiliations
Dr méd., président de l’Institut suisse pour la formation médicale postgraduée et continue (ISFM)

Publié le 14.03.2018

J’ai récemment fait partie d’une équipe chargée d’une ­visite de contrôle dans un grand hôpital, pour évaluer les prestations de formation postgraduée. Nous avons été ­aimablement accueillis. Les responsables ont réitéré leur engagement en faveur d’une formation postgraduée optimale des médecins-assistants. Ils aspiraient en fin de compte à être classés parmi les meilleurs établissements de formation postgraduée. Un tel classement est apprécié comme label de qualité pouvant être rendu public; plus il est élevé, plus la durée d’engagement imputée à la formation postgraduée est longue. Jusque-là, tout va bien.
Mais en discutant avec les médecins, nous avons entendu d’autres discours, et pas seulement dans l’hôpital visité.
Les médecins-cadres pointaient le dilemme devant ­lequel ­ils se trouvaient, tiraillés entre les exigences inhérentes à l’efficacité de leurs prestations et celles allant de pair avec une formation postgraduée solide. On parle ici de temps, donc d’argent! Toute opération ou intervention dure un peu plus longtemps quand elle est expliquée ou surveillée en détail. Visiblement, les plages horaires des interventions sont progressivement raccourcies et l’organisation s’adapte de plus en plus aux besoins liés à ­l’exploitation des établissements, au détriment de ceux des médecins. Dans certains endroits, c’est l’arrivée de l’équipe de nettoyage qui semble marquer la fin de l’activité opératoire. Il n’y a bien sûr rien à redire à cela et l’optimisation du fonctionnement des hôpitaux est incontournable. Mais j’entends par optimisation une notion qui couvre aussi la prise en compte des besoins en for­mation postgraduée. Que ce soit dans les hôpitaux ou dans les milieux politiques, les responsables doivent être conscients que le système de santé dépendra toujours de la compétence de la prochaine génération de médecins.
Malheureusement, on constate même parfois une certaine «lassitude» chez les médecins-cadres, qui argumen­tent qu’ils n’ont pas été embauchés pour enseigner, qui se plaignent du manque de reconnaissance, de temps et d’argent en compensation de cette tache; ils estiment que cette mission pourrait tout aussi bien être assumée par les spécialistes de l’hôpital, pour qui la charge serait moins lourde. Au risque qu’on me reproche de me répéter, je voudrais répliquer par cette maxime de W. Osler: «The work of an institution in which there is no teaching is rarely first class.» (Le travail d’une institution dans ­laquelle aucune formation n’est délivrée est rarement de bonne qualité.). Ce discours est appuyé par une autre citation de W. J. Hall, célèbre interniste et gériatre: «I suppose I would want to be remembered as a competent clinical teacher. It is one of the highest professional privileges anyone can wish for.» (Je voudrais qu’on se souvienne de moi comme d’un enseignant compétent. C’est le plus bel honneur professionnel qu’on puisse souhaiter.)
Dans le cadre d’entretiens confidentiels, les médecins chargés de la formation postgraduée déploraient avant tout la lourdeur des tâches administratives. Des plaintes étaient régulièrement exprimées sur les systèmes informatiques trop peu conviviaux, les processus administratifs empreints de bureaucratie, le transfert des soins à la charge des médecins, parfois même l’incompréhension des médecins-cadres face à ces problèmes (eux-mêmes étant peu concernés directement par ces questions). Se profilait l’insupportable image de médecins ayant de moins en moins de temps à consacrer au chevet et à l’écoute des patients, mais étant de plus en plus longtemps rivés au clavier, à l’écran et au téléphone. Il n’était pas rare d’entendre l’opinion selon laquelle il serait compréhensible et supportable de faire parfois des heures supplémentaires à l’hôpital, mais pas pour remplir des formulaires ou se battre avec un système informatique exaspérant.
Et il était systématiquement fait mention de l’augmentation du nombre de cas et de l’objectif principal affiché par la direction, à savoir y faire face sans augmenter le nombre de postes. Dans de nombreux établissements, cette multiplication des contraintes limite manifestement la disponibilité des médecins-cadres, qui finissent eux-mêmes sous pression, ce qui rend de plus en plus ­difficile l’accompagnement suivi et l’éducation pratique des personnes en formation.
Pour résumer, certes, nous pouvons partir du principe que la formation médicale postgraduée est, pour le ­moment encore, à la hauteur de ses exigences. On ne manque pas de soutien en paroles, ce qui n’empêche pas le contexte de continuer indubitablement de se dégrader, de façon variable suivant les secteurs et les lieux. Il est indéniable qu’un établissement doit être géré. Mais quand, dans les restructurations, la formation postgraduée est considérée comme «quantité négligeable», voire comme embêtante, on passe alors à côté de son importance centrale pour le système de santé. Ce n’est pas de belles ­paroles le jour de la visite de contrôle dont elle a besoin, mais d’un appui quotidien et des investissements nécessaires en temps et en argent. Ils seront payants, pas dans le prochain compte de résultat, mais pour l’avenir.
werner.bauer[at]saez.ch