Journée de réflexion 2018

L'avenir de la formation médical

FMH
Édition
2018/15
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2018.06511
Bull Med Suisses. 2018;99(15):460-463

Affiliations
Journaliste indépendant

Publié le 11.04.2018

Quel avenir pour la formation médicale? C’est à cette question qu’est consacrée la journée annuelle de réflexion. Les débats de fin janvier ont surtout porté sur la ­pénurie de médecins et la trop grande distance entre la formation prégraduée et la formation postgraduée.
Chaque année, l’Institut suisse pour la formation médicale postgraduée et continue (ISFM) et le Collège des Doyens organisent une Journée de réflexion dans la ­région de Lucerne, au bord du lac des Quatre-Cantons. La trentaine de personnes qui ont participé à la rencontre de 2018 se sont penchées sur le présent et l’avenir de la formation médicale.
La rencontre de cette année était animée par Werner Bauer, président de l’ISFM, et Henri Bounameaux, président du Collège des Doyens. Dans son allocution de bienvenue, Werner Bauer a affirmé d’emblée que les études de médecine et les offres de formation post­graduée et continue sont excellentes en Suisse, tout en précisant que leur qualité ne va pas de soi 
et n’est jamais acquise définitivement. En effet, les ­défis sont nombreux. Parmi ceux-ci, citons la pression économique que subissent les hôpitaux, toujours plus tiraillés entre leur mission d’enseignement et de service, la numérisation qui crée de nouveaux profils professionnels et les objectifs de formation qui doivent sans cesse être actualisés. En outre, le ­financement de la formation postgraduée est à redé­finir.
Les deux animateurs de la Journée de réflexion: Henri Bounameaux (à gauche), ­président du Collège des Doyens, et Werner Bauer, président de l’Institut suisse pour la ­formation médicale postgraduée et continue (ISFM).

La solidarité a ses limites

Concernant le financement, la conseillère d’Etat Heidi Hanselmann, également directrice de la santé du canton de Saint-Gall et vice-présidente de la Conférence suisse des directrices et directeurs de la santé (CDS), a fait part de développements intéressants. Elle estime que la formation pré- et postgraduée doit être financée de façon plus solidaire par tous les cantons, y compris ceux qui n’ont pas de faculté de médecine.
La conseillère d’Etat Heidi Hanselmann a parlé du financement de la formation pré- et postgraduée.
En 2011, sept cantons de Suisse orientale ont mis cette idée à exécution en décidant spontanément de participer aux coûts de l’enseignement et de la recherche universitaires. Leur intention était de trouver à moyen terme une solution nationale qui tienne compte de la capacité financière de chaque canton.
La CDS a ainsi lancé l’idée d’une convention intercantonale. Lorsqu’il est apparu que tous les cantons n’y participeraient pas, toujours plus de cantons se sont retirés de la convention de Suisse orientale. La solidarité était arrivée à ses limites.
On ignore encore si la convention intercantonale sera conclue, car, selon le droit fédéral, au moins 18 cantons doivent y adhérer. Or, jusqu’ici, seuls 13 cantons l’ont ratifiée. Selon Heidi Hanselmann, la CDS mène des discussions intensives et espère que la convention pourra entrer en vigueur début 2019.
Indépendamment de ce projet de convention, le canton de Saint-Gall a déployé plusieurs efforts pour renforcer la formation médicale. Dès 2020, l’Université et l’Hôpital cantonal de Saint-Gall proposeront conjointement avec l’Université de Zurich un «Joint Medical Master» avec 40 places de formation. Cette offre sera ­financée par le biais du programme incitatif prévu par le Conseil fédéral dans le cadre de sa stratégie contre la pénurie de médecins.

Un «Röstigraben» médical

Laurent Bernheim, vice-doyen en charge de l’enseignement à la Faculté de médecine de l’Université de Genève, s’est penché à son tour sur la pénurie de médecins et a fait part de conclusions surprenantes: d’après ses calculs basés sur le rapport du Conseil fédéral de 2011 (Stratégie pour lutter contre la pénurie de médecins et encourager la médecine de premier recours), près de 1300 nouveaux médecins devraient être formés chaque année en Suisse. Or, d’après Laurent Bernheim, le pays est divisé par un «Röstigraben»: en Suisse romande, le nombre de nouveaux médecins (400) dépasse les besoins (325), alors que c’est l’inverse en Suisse alémanique et au Tessin (seules 720 personnes sont formées, alors qu’il en faudrait 975). Il est d’autant plus important de tenir compte de cette différence que les médecins franchissent très rarement la barrière des langues pour une activité professionnelle.
Laurent Bernheim, vice-doyen en charge de l’enseignement à la Faculté de médecine de l’Université de Genève, s’est ­exprimé sur la pénurie de médecins.
La Suisse romande ne manque donc pas de médecins? Loin de là, comme l’a démontré Laurent Bernheim. Dans la partie francophone du pays, la répartition des médecins entre les différentes disciplines ne correspond pas aux besoins. Par exemple, le canton de Genève manque de médecins généralistes et compte trop de spécialistes, notamment en psychiatrie, radiologie, chirurgie orthopédique et cardiologie. Laurent Bernheim est convaincu que la revalorisation de la mé­decine de famille dans les universités, des incitations ­financières par le TARMED et une refonte de la formation continue ne sont pas des mesures suffisantes pour remédier à cette situation. Il faudrait aussi pousser les jeunes médecins vers certaines voies. «Je n’en suis pas enchanté, mais nous devrions y réfléchir avant que la politique et les caisses-maladie nous obligent à le faire.»
Dans ce contexte, l’enquête sur la formation postgraduée que l’EPF de Zurich mène chaque année à la demande de l’ISFM est intéressante. Une des questions posées en 2017 portait sur la régulation du nombre 
de médecins à former par spécialité. Les résultats montrent que la majorité des responsables d’établissements de formation postgraduée rejettent ce type de régulation ciblée (contre: 52%; pour: 40%; sans avis: 8%), alors que les médecins-assistants l’approuvent à 38%, la désapprouvent à 32% ou n’ont pas d’avis sur la question (30%).

Associer les médecins exerçant en cabinet

Jürg Lareida, président de la société argovienne de ­médecine, a assuré dans son exposé que les besoins 
en médecins vont continuer d’augmenter. Son asso­ciation, par exemple, a pu doubler l’effectif de ses membres depuis 1994. De nombreux nouveaux adhérents, venant pour la plupart de l’étranger, sont cependant proches de l’âge de la retraite. Jürg Lareida est ­persuadé que si le manque de cabinets s’accentue à l’avenir, les hôpitaux risquent d’être submergés par les patients. L’évolution démographique nécessite un nombre accru de médecins, mais en réalité c’est l’inverse qui se passe: la multiplication des tâches administratives et l’augmentation des temps partiels, surtout chez les femmes médecins, réduisent le temps à disposition pour les patients. Selon lui, «la diminution de la charge administrative est une illusion». Par exemple, on observe déjà maintenant que la cybersanté augmente les tâches administratives au lieu de les alléger.
«La cybersanté augmente les tâches administratives au lieu de les alléger»: Jürg Lareida, président de la société argovienne de médecine.
Pour Jürg Lareida, la flexibilisation de la formation sous forme de modules pourrait être une solution. Cela permettrait aux futurs médecins de décider ­eux-mêmes à quelle vitesse ils entendent atteindre les objectifs de formation. Il faudrait par ailleurs que les médecins installés soient davantage impliqués, notamment par la formation postgraduée dans les cabinets.

Créer des normes européennes

La pénurie de médecins n’est pas seulement d’actualité en Suisse, mais aussi en Europe, comme l’a exposé Vassilios Papalois, professeur en chirurgie de la transplantation et secrétaire général de l’Union européenne des médecins spécialistes (UEMS), l’organisation faîtière des associations médicales nationales. Il a indiqué que, selon la Commission européenne, il manquera un million de professionnels dans le secteur de la santé d’ici 2020. Et, a-t-il ajouté, les médecins et les patients sont très mobiles au sein de l’Europe, où il n’y a pas de «Röstigraben» comme en Suisse. Il est donc très important que la formation médicale soit soumise à des normes de qualité communes. Or de nombreux pays européens n’ont encore prévu aucun contrôle pour la formation médicale pré- et postgraduée, ou alors seulement sous une forme rudimentaire.
Vassilios Papalois, secrétaire général de l’Union européenne des médecins spécialistes (UEMS), a plaidé pour des normes de qualité européennes.

Tirer profit de la numérisation

Les deux ateliers de la Journée de réflexion étaient consacrés à la «Médecine 4.0» et à la continuité de la formation médicale. Le premier était animé par Christian Lovis, professeur d’informatique médicale à l’Université de Genève et chef du Service des sciences de l’information médicale aux Hôpitaux universitaires de Genève. Celui-ci a expliqué que si la médecine a toujours été un domaine extrêmement régulé – de la ­formation aux médicaments –, la numérisation a créé un nouveau marché beaucoup moins réglementé. Aujourd’hui, par exemple, les patients peuvent envoyer des photos de leurs symptômes sur Internet et obtenir, parfois pour un dollar seulement, un diagnostic généré par des algorithmes d’analyse d’images.
Christian Lovis défend une approche pragmatique et réaliste. Selon lui, il est encore difficile d’estimer dans quelle mesure la numérisation contribue à améliorer la médecine. Elle présente des avantages et des inconvénients. Il est cependant nécessaire que les médecins se familiarisent avec les nouvelles technologies pendant leur formation pré- et postgraduée, qu’ils apprennent à les évaluer sous un angle scientifique et à les utiliser. Pour pouvoir profiter des avantages de la cybermédecine, il faut encore lever certains obstacles, particulièrement en Suisse. Le manque fréquent de compati­bilité entre les données est davantage un problème sémantique que technique. L’échange de données est seulement possible si tout le monde emploie les mêmes termes précis. Les instruments d’interopérabilité qui ont été développés à cet effet, tels que la banque de données de référence SNOMED, ne sont pas encore suffisamment utilisés en Suisse par rapport à l’étranger.
Christian Lovis, professeur d’informatique médicale à l’Université de Genève: les médecins doivent se familiariser avec la numérisation.

Modules communs

Les participants au deuxième atelier se sont demandé comment améliorer la continuité entre la formation prégraduée et la formation postgraduée. Ils ont notamment pensé à des modules à option, aussi bien accessibles aux étudiants qu’aux personnes en formation postgraduée. D’après les conclusions présentées en plénum, les activités ­professionnelles déléguées (Entrustable Professional ­Activities) pourraient améliorer la continuité entre formation pré- et postgraduée.
Chaque année, la Journée de réflexion s’achève par la rédaction d’une liste des tâches à accomplir jusqu’à 
la prochaine rencontre. Quelques thèmes de l’année précédente nécessitent encore des discussions et des mesures et restent donc sur la liste. En voici quelques exemples: les objectifs de formation, le nombre de postes de formation postgraduée, la répartition des spécialistes, le financement de la formation postgraduée, l’organisation de la formation postgraduée en réseaux et la reprise des activités médicales par d’autres professionnels. Avant de se séparer, les participants ont décidé de se concentrer jusqu’à la prochaine Journée de réflexion sur les mesures permettant de combler le trop grand fossé entre la formation prégraduée et la formation postgraduée. Le Collège des Doyens et l’ISFM prendront contact ces prochains mois avec les sociétés de discipline médicale et les facultés de médecine pour en discuter.
adrianritter[at]gmx.ch