Bulles de bonheur

Zu guter Letzt
Édition
2018/0102
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2018.06228
Bull Med Suisses. 2018;99(0102):36

Affiliations
Dr méd., membre de la rédaction

Publié le 03.01.2018

Chaque année depuis 2012, l’ONU présente le niveau de bonheur collectif dans les Etats membres, jeu duquel la Norvège, le Danemark, l’Islande et la Suisse sortent régulièrement grands vainqueurs. L’Etat a pour mission de promouvoir le développement de ce qui nous fait du bien. Pour en savoir plus, il faut lire les études scientifiques sur ce bien-être dans le Journal of Hap­piness Studies. D’après elles, les expériences heureu­ses font considérablement baisser la mortalité. L’espérance de vie d’une personne ayant obtenu un Oscar est de 3,9 ans de plus que celle d’un groupe témoin. Si cette personne reçoit un second Oscar par la suite, son avance augmente de deux années de vie supplémentaires. Cet effet est moins visible chez les gagnants de gains élevés au loto car l’effet de contraste neu­tralise l’euphorie du début. L’inévitable habitude qui ­s’ensuit déprécie le confort d’antan. Un jeu émotionnel à ­résultat neutre. Les conséquences de la ­satisfaction individuelle ont fait l’objet d’études ­approfondies. Le bonheur rend actif et créatif. Les gens heureux sont ouverts d’esprit, s’informent, sont engagés dans la société et politiquement tolérants. La conclusion contraire autorise certaines hypothèses.
Comment font Monsieur et Madame Tout-le-monde, ces gens comme vous et moi?
Ils font du shopping à Dubaï, s’abonnent à l’Illustré, s’achètent un pitbull ou fréquentent les fêtes populaires. Mais cela peut aussi être plus simple. Peut-être qu’il suffit d’avoir des lunettes roses, puisque ce sont les images qui fabriquent notre réalité. Occulter peut faire gagner beaucoup de temps. Les porte-bonheur numériques, ces applications pour chaque style de vie, prennent soin des consommateurs de zones de bien-être. Bienvenue dans le monde du bonheur. Désormais, notre écran est submergé d’instants heureux en provenance des quatre coins du monde. Grâce à FixApp de Photoshop, le selfie parfait est possible. L’outil électronique enjolive automatiquement les proportions du visage, optimise l’angle de la prise de vue ou intègre la photo d’une star du cinéma dans l’autoportrait. Tout le monde peut ressembler à George Clooney ou à Julia ­Roberts et ça coûte toujours moins cher que des injections de botox ou toute autre intervention. Chaque ­année, les conférences Adobe nous injectent du bonheur avec leurs mondes virtuels grâce au Big Data, à l’intelligence artificielle et à l’apprentissage auto­matique, qui peuvent créer de fantastiques algorith­mes de bonheur. Project Felix, une entreprise d’Adobe, déve­loppe la composition de scènes à la perfection. ­Désormais, on peut embellir les environnements sinistrés à l’aide du viseur. A la place des gratte-ciel s’élève une belle forêt, des paysages bucoliques traversés par des rivières effacent les autoroutes et de spectaculaires levers de soleil remplacent le ciel obstrué par le smog. Les vacances pluvieuses sont retouchées avec art. Le Creative Cloud contient pour cela des millions de belles photos.
Le Human Augmented Design booste la confiance en soi quand les griffonnages malhabiles et les esquisses tremblotantes de débutant se transforment en dessins dignes de professionnels. La médecine de haut vol s’est depuis longtemps approprié nombre de ces effets. Dans les salles d’examen équipées de la technologie Philips Ambient Experience, un écran tactile permet de per­sonnaliser l’ambiance des lieux. L’association d’une ­lumière colorée dynamique, d’une projection murale adaptée et de sons agréables évacue l’anxiété de la pièce. Seul le personnel doit encore s’y habituer.
Pourtant, grâce aux contes de Grimm, cela fait longtemps que l’on sait ce qu’est le bonheur. Jean le Chanceux échange sa pépite d’or jusqu’à ce qu’il ne lui reste plus rien. «Délivré de tout fardeau, le cœur léger comme les jambes, il continua son chemin», dit-on. Le conte du pêcheur et de sa femme narre le contre-exemple d’une perte totale causée par l’avidité. A trop en vouloir, on se retrouve à son point de départ. En ­psychologie, on parle de «manège hédoniste», et l’on explique que rechercher toujours plus de bien-être n’apporte pas de bonheur à l’infini.
Evitez ces manèges et 2018 sera une belle année.
Link: www.happier.com/happier/community
erhard.tavern[at]saez.ch