La chirurgie viscérale, un espoir dans le traitement du carcinome du pancréas
Amélioration des soins médicaux: quels bénéfices en retour des dépenses consenties?

La chirurgie viscérale, un espoir dans le traitement du carcinome du pancréas

FMH
Édition
2017/48
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2017.06233
Bull Med Suisses. 2017;98(48):1598–1599

Affiliations
a Dr méd., PhD, Service de chirurgie, Hôpital cantonal de Winterthour; b Prof. Dr méd., Service de chirurgie, Hôpital cantonal de Winterthour

Publié le 29.11.2017

La chirurgie viscérale, discipline des chirurgiens spécialisés dans les organes ­ab­dominaux, a réalisé d’importantes avancées au cours des dernières décennies. ­Notamment dans le domaine des techniques opératoires, l’utilisation accrue de la laparoscopie a apporté des améliorations pour les patients. Aussi pour les maladies telles que le carcinome du pancréas, dont le pronostic reste peu encourageant, on constate des progrès.
Dans le domaine de la chirurgie viscérale aussi, la question du rapport coûts/bénéfices des soins fait l’objet de vifs débats publics et scientifiques. Ces discussions menées en Suisse et à l’étranger ont provoqué d’importants processus d’optimisation dans cette discipline au cours des dernières années. Ainsi, le transfert d’interventions stationnaires dans le domaine semi-stationnaire et ambulatoire est systématiquement discuté. Mais aussi les techniques laparoscopiques, dont l’usage s’est progressivement élargi et qui permettent d’opérer de façon peu invasive à l’aide d’une caméra introduite dans la cavité abdominale, sont soumises à une analyse critique avec cette perspective. Bien que la laparo­scopie soit associée à des frais de matériel plus élevés, la récupération postopératoire est améliorée et la durée de séjour à l’hôpital raccourcie, ce qui réduit la facture finale. Ce sont d’ailleurs les analyses coûts/bénéfices qui ont permis à cette technique d’être depuis largement acceptée [1].1
Monsieur S., un monteur âgé de 37 ans, souffre d’hernies inguinales ­bilatérales douloureuses qui l’entravent dans son travail. On procède à un traitement chirurgical peu invasif des deux hernies en implantant des filets prothétiques à travers trois petites incisions (de 1 à 3 cm). L’ensemble de l’intervention dure moins de 90 minutes et est peu contraignante pour le patient. Monsieur S. peut donc déjà quitter l’hôpital le lendemain. Il pourra ­reprendre son activité de monteur dans deux semaines.

Progrès dans le traitement du carcinome du pancréas résécable

Le traitement du cancer du pancréas fournit un exemple parlant des progrès continus de la chirurgie viscérale au cours des vingt dernières années. L’adénocarcinome ductal, qui est responsable d’environ 85% des carcinomes du pancréas, occupe le dixième rang en termes de fréquence parmi les cancers en Occident et, en raison de son mauvais pronostic, le quatrième rang en termes de mortalité [2]. Le taux de mortalité correspond encore toujours à l’incidence de la maladie [3, 4], étant donné que les tumeurs sont le plus souvent diagnostiquées à un stade avancé et non résécable ou même au stade métastatique. La chirurgie viscérale permet, chez les patients avec une tumeur résécable, c’est-à-dire chez un patient sur cinq, d’obtenir une guérison potentielle avec un taux de survie à cinq ans d’environ 25% [3, 4]. Bien que cette intervention soit relativement lourde, elle peut aujourd’hui être réalisée avec une mortalité relativement faible, inférieure à 5% [5], grâce à l’amélioration continue des techniques opératoires et de la prise en charge du patient avant, pendant et après l’opération. Un facteur décisif dans ce contexte est l’expérience du centre. En effet, les hôpitaux qui réalisent un grand nombre d’opérations du pancréas atteignent de meilleurs résultats et une survie à long terme plus élevée chez leurs patients [6]. Comme de meilleurs résultats chirurgicaux réduisent la durée de séjour à l’hôpital, il en résulte aussi des avantages en termes de coûts.
L’optimisation des techniques opératoires compte parmi les principales avancées techniques et scientifiques de ces dernières années. Ainsi, une procédure chirurgicale s’est imposée, permettant d’enlever des parties de la tête du pancréas et du duodénum tout en maintenant le pylore. Le patient subit ainsi une opération moins longue, perd moins de sang et a besoin de moins de transfusions que pour l’opération classique selon Whipple, pour laquelle il faut aussi enlever certaines parties de l’estomac [7]. Comme la précision du diagnostic a progressé et qu’il a été clairement défini dans quelles situations une résection (partielle) du pancréas et des organes environnants est indiquée, les patients bénéficient aujourd’hui d’un traitement ciblé. La meilleure prise en charge aux soins intensifs et la meilleure gestion de la douleur (par ex. utilisation d’une anesthésie épidurale) aident les patients [4]. De plus, l’utilisation des techniques laparoscopiques dans la chirurgie du pancréas joue un rôle important, car celles-ci permettent de réduire les saignements pendant l’opération, le risque d’infection des plaies et de raccourcir le séjour à l’hôpital, avec des résultats oncologiques équivalents [8].
Madame K., 66 ans, une veuve jusqu’ici en bonne santé avec trois petits-enfants, reçoit le diagnostic d’un cancer du pancréas au ­niveau de la queue du pancréas. Les procédés gastro-entérologiques et radiologiques modernes permettent de constater avec précision que la tumeur n’a pas encore de métastases et qu’elle peut être réséquée. Cette opération est réalisée par voie laparo­scopique dans un centre hospitalier. La tumeur maligne est enlevée. Grâce à l’appui de procédés modernes de la médecine intensive et du traitement de la douleur, aucune complication ne survient pendant la phase postopératoire, ce qui permet à Madame K. de quitter l’hôpital déjà quelques jours plus tard, certes encore affaiblie, mais sans limitations importantes. Elle a donc profité de l’évolution positive de la chirurgie viscérale des vingt dernières années et peut maintenant, avec sa famille, espérer guérir.

Développement parallèle de l’oncologie moderne

Grâce aux progrès réalisés au cours des dernières ­années dans le traitement du carcinome du pancréas résécable, ces patients profitent de résultats cliniques nettement meilleurs tels qu’un taux de complication réduit, une durée d’hospitalisation plus courte et un gain en termes de survie et de qualité de vie. L’opération justifie cependant ses coûts un peu plus élevés par rapport au traitement palliatif par le fait qu’elle représente la seule option curative [9].
Compte tenu des résultats obtenus, les approches thérapeutiques médicamenteuses proposées aux nombreux patients atteints d’un carcinome du pancréas non résécable ne justifient pas actuellement les coûts supplémentaires importants qu’elles entraînent. Ainsi, le traitement par association d’erlotinib et de gemcitabine représente une augmentation de la survie d’environ deux semaines seulement par rapport à la gemci­tabine en monothérapie [10]. Malgré tout, il ne faut pas sous-estimer le grand potentiel de l’oncologie moderne dans le traitement du carcinome du pancréas. Il faut même l’encourager, comme en témoignent des études précliniques prometteuses sur des carcinomes du pancréas et les percées dans le traitement d’un grand nombre de pathologies cancéreuses malignes (par ex. mélanome, certaines leucémies) [11]. Pour apprécier les progrès décris dans les études par rapport à leur pertinence pour les patients, les sociétés d’oncologie européennes et américaines ont récemment publié des cadres de référence à ce sujet. Ils quantifient l’avantage de survie des traitements oncologiques en fonction de la toxicité et des bénéfices en termes de qualité de vie et feront référence à l’avenir en matière de bénéfice thérapeutique et de coûts, aussi pour les patients traités chirurgicalement [12, 13].

Perspectives: développements à venir, absence d’explosion des coûts

Pour conclure, on constate que, pour les patients traités en chirurgie viscérale, autant les innovations purement techniques que les progrès dans le traitement médical associé sont de grande importance. Même si l’on ne doit pas s’attendre à une augmentation sensible des coûts dans ce domaine, une société moderne devra malgré tout se payer le luxe de certains coûts supplémentaires pour garantir des soins de haut niveau. Notamment dans la perspective de la maîtrise des coûts, il faudrait toujours considérer d’un œil critique l’utilisation de stratégies thérapeutiques novatrices.

Résumé

Les progrès réalisés dans la chirurgie viscérale ont clairement apporté un bénéfice aux patients au cours des vingt dernières années. Ainsi, la laparoscopie rend possible des opérations peu invasives et avec nettement moins de contraintes pour le patient, et qui présentent un bon rapport coûts/bénéfices. Des techniques et procédures perfectionnées se sont imposées pour la résection du carcinome du pancréas, mais ce sont aussi des procédés en médecine intensive et pour le traitement de la douleur qui bénéficient aux patients. Dans le domaine des approches thérapeutiques médicamenteuses, les succès restent relatifs, mais certains développements font espérer d’autres progrès, dont la pertinence pour le patient et le rapport coûts/bénéfices pourront être évalués grâce à de nouveaux cadres de référence.
Prof. Dr. med. Stefan ­Breitenstein
Direktor Departement Chirurgie
Kantonsspital Winterthur
CH-8401 Winterthur
stefan.breitenstein[at]ksw.ch
1 Siewert JR, Rothmund M, Schumpelick V. Praxis der Viszeralchirurgie – Gastroenterologische Chirurgie (3. Auflage). Springer Verlag. 2011.
2 Siegel R, Naishadham D, Jemal A. Cancer statistics, 2013. CA Cancer J Clin. 2013;63:11–30.
3 Ryan DP, Hong TS, Bardeesy N. Pancreatic adenocarcinoma. N Engl J Med. 2014 Sep 11;371(11):1039–49.
4 Heestand GM, Murphy JD, Lowy AM. Approach to patients with pancreatic cancer without detectable metastases. J Clin Oncol. 2015 Jun 1;33(16):1770–8.
5 Winter JM, Cameron JL, Campbell KA, et al. 1423 pancreaticoduodenectomies for pancreatic cancer: A single-institution experience. J Gastrointest Surg. 2006;10:1199–1210.
6 Güller U, Warschkow R, Ackermann CJ, Schmied B, Cerny T, Ess S. Lower hospital volume is associated with higher mortality after oesophageal, gastric, pancreatic and rectal cancer resection. Swiss Med Wkly. 2017 Jul 27;147:w14473.
7 Karanicolas PJ, Davies E, Kunz R, et al. The pylorus: take it or leave it? Systematic review and meta-analysis of pylorus-preserving versus standard whipple pancreaticoduodenectomy for pancreatic or periampullary cancer. Ann Surg Oncol. 2007;14:1825–34.
 8 Venkat R, Edil BH, Schulick RD. Laparoscopic distal pancreatectomy is associated with significantly less overall morbidity compared to the open technique: a systematic review and meta-analysis. Ann Surg. 2012;255:1048–59.
 9 O’Neill CB, Atoria CL, O’Reilly EM, LaFemina J, Henman MC, Elkin EB. Costs and trends in pancreatic cancer treatment. Cancer. 2012 Oct 15;118(20):5132–9.
10 Moore MJ, Goldstein D, Hamm J, et al; National Cancer Institute of Canada Clinical Trials Group. Erlotinib plus gemcitabine compared with gemcitabine alone in patients with advanced pancreatic cancer: a phase III trial of the National Cancer Institute of Canada Clinical Trials Group. J Clin Oncol. 2007 May 20;25(15):1960–6.
11 Vennin C, Chin VT, Warren SC, et al. Transient tissue priming via ROCK inhibition uncouples pancreatic cancer progression, sensitivity to chemotherapy, and metastasis. Sci Transl Med. 2017 Apr 5;9(384).
12 Del Paggio JC, Sullivan R, Schrag D, Hopman WM, Azariah B, Pramesh CS, Tannock IF, Booth CM. Delivery of meaningful cancer care: a retrospective cohort study assessing cost and benefit with the ASCO and ESMO frameworks. Lancet Oncol. 2017 Jul;18(7):887–94.
13 Young RC. Value-Based Cancer Care. N Engl J Med. 2015 Dec 31;373(27):2593–5.