Lu et médité…

Zu guter Letzt
Édition
2017/2627
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2017.05764
Bull Med Suisses. 2017;98(2627):884

Affiliations
Dr méd., membre de la rédaction

Publié le 27.06.2017

«Je trouve la télévision très éducative. Chaque fois que quelqu’un l’allume, je change de pièce et je lis un livre» (Groucho Marx).
Sans que mon poste soit allumé, j’ai lu dernièrement trois textes qui devraient intéresser un large public. Dans un article intitulé «Le nouveau mot magique est l’antiproductivité» («Antiproduktivität heisst das neue Zauberwort»), paru le 20.5.2017 dans la NZZ, Rolf ­Dobelli relativise le bénéfice réel des nouveautés technologiques et s’interroge sur le gain effectif de pro­ductivité qu’ont apporté le transport automobile (par rapport à la marche à pied ou à cheval), l’avalanche de courriels (par rapport à l’échange de lettres), les salves de présentations PowerPoint (par rapport aux notes manuscrites et aux phrases clés sur un rétroprojecteur) et le mi­traillage de longues suites de photos numériques (par rapport aux bonnes vieilles photos ­argentiques). Des réflexions provocatrices, mais non dénuées de justification: ce qu’il appelle l’antiproductivité est le fait «que beaucoup de technologies font gagner à première vue du temps et de l’argent, mais que cette économie s’évapore sitôt que l’on dresse le bilan complet des coûts». D’où sa recommandation d’une règle de base de la qualité de vie: s’épargner tout ce qui n’apporte pas d’avantage réel. Cela vaut tout particulièrement pour les gadgets technologiques.
Cette recommandation peut aussi s’appliquer à la médecine. Si nous assistons aujourd’hui à des progrès réels auxquels il est hors de question de renoncer, d’autres ne sont que des miroirs aux alouettes. C’est à nous médecins qu’incombe en premier lieu l’obligation de se montrer critiques face à l’introduction de molécules nouvelles ou modifiées, à l’extension de certaines indications et au recours à des méthodes coûteuses.
Dans une interview accordée à la Zürichsee-Zeitung (1.6.2017), David van Reybrouck se veut encore plus provocateur: «Les élections ne font pas la démocratie, elles ne créent que des élites.» Il demande que les représentants du peuple soient désignés par tirage au sort. Pour légitimer sa revendication, il remonte jusqu’à Aristote, qui aurait reconnu que, tout bien considéré, les élections émanent de la nature même de l’aristocratie, le ­tirage au sort faisant partie de celle de la démocratie. Il reproche aux élections de ne pas être vraiment représentatives de l’ensemble de la société, et aux organes élus de prendre leurs décisions sous l’influence déterminante des partis, qui aujourd’hui ne représentent ­effectivement plus qu’une minorité populaire, et des groupes d’intérêt, dont la représentativité est encore moindre. En Irlande, la question délicate de l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution a été débattue par une assemblée tirée au sort, qui a émis une recommandation applicable. En Suisse, une ini­tiative populaire en ce sens est en préparation pour la désignation de nos parlementaires.
Au fait, si les membres du Parlement devaient être tirés au sort, on peut supposer que cela conduirait au moins à réduire la pléthore actuelle de fonctionnaires des caisses-maladie, ce qui ne serait pas un malheur du point de vue des médecins.
J’ai mis les journaux de côté et parcouru un livre instructif et irritant qui m’avait été recommandé: The Digital Doctor. Hope, Hype and Harm at the Dawn of Medicine’s Computer Age par Robert Wachter (McGraw-Hill Education, 2015). Je ne citerai que quelques passages, faute de place:
«Les hôpitaux qui subsisteront seront de grandes structures bourrées de technologie et intégrées pour la plupart dans des mégasystèmes.»
«Les patients seront dans des chambres individuelles conçues pour assurer leur sécurité et prévenir les infections. Elles seront toutes équipées d’écrans vidéo muraux et de caméras permettant de réaliser de très gros plans (pour les examens médicaux des yeux ou des veines du cou).»
«Le dossier médical électronique ne sera plus tenu de la même manière. La saisie vocale remplacera largement l’écriture et les clics pour la rédaction des rapports de visite.»
«Le support de décisions informatisé pour cliniciens sera également porté à un niveau inédit avec une analyse en continu des big data.»
«Les consultations de spécialistes seront entièrement reconçues. Le médecin hospitalier qui aura besoin d’un conseil en néphrologie pourra rechercher un néphrologue disponible pour organiser rapidement une vidéoconférence.»
«Avec moins de temps perdu à documenter les soins, les médecins et infirmières pourront privilégier le contact direct avec les patients et leurs familles et retrouver ainsi une bonne partie du plaisir à pratiquer leur métier, plaisir qui s’érodait tel un récif corallien à chaque vague de nouvelles exigences non cliniques.»
En conclusion, le choix le plus avisé est sans doute un cocktail mêlant un peu de «Dobelli», beaucoup de curiosité et d’ouverture, mais aussi une bonne dose d’optimisme. Il est essentiel que le corps médical participe activement à cette évolution et ne reste pas à la traîne dans une attitude de scepticisme défensif.
werner.bauer[at]saez.ch