Un ouvrage sans complaisance, mais qui mérite d’exister

Là où certains médecins pourraient faire beacoup mieux ...

Horizonte
Édition
2017/3031
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2017.05729
Bull Med Suisses. 2017;98(3031):974–976

Affiliations
Dr méd., membre de la rédaction

Publié le 26.07.2017

Martin Winckler

Les Brutes en blanc

La maltraitance médicale en France
Paris: Flammarion; 2016.
360 pages. 26.60 CHF.
ISBN 978-2-081-39033-1
Martin Winkler (1955, de son vrai nom Marc Zaffran) est un médecin français, dont notamment le roman La Maladie de Sachs (1998), décrivant la vie d’un généraliste de province, a beaucoup retenu l’attention. Il a écrit une quinzaine de romans incluant des éléments autobiographiques, portant sur la pratique de la médecine, et une dizaine d’essais. Le BMS a publié des recensions de deux de ses livres [1, 2]. Winckler, après avoir pratiqué dans divers cadres en France durant 25 ans, s’est établi au Québec, où il collabore à la formation médicale dans plusieurs universités.

Un ouvrage grand public, 
mais pas ­seulement

Il publie en 2016 un livre au titre «méchant» (du point de vue du modéré que je suis) Les Brutes en blanc, survol large et étoffé de ce qui reste rigide, trop directif, voire autoritaire, insuffisamment ouvert au dialogue – ainsi que ce qui est/serait tout à fait inacceptable, dans la formation médicale (rapports entre patrons et jeunes médecins) et dans les soins (entre médecins et soignés). Cinq parties pour une quinzaine de chapitres.
C’est au grand public que l’auteur s’adresse en priorité, avec l’objectif de mieux informer les patient-e-s, actuels ou futurs, sur les piliers, les grandes règles (légales et déontologiques) régissant la pratique de la médecine. Notamment les droits à l’information et au respect de sa dignité et de son intégrité, et la faculté de refuser tel acte ou la poursuite du traitement; droits que le malade peut faire valoir à n’importe quel moment vis-
à-vis du praticien – et idéalement sans que celui-ci prenne une position vexée du style «Vous n’allez pas m’apprendre mon métier».
S’agissant d’écueils à éviter et d’erreurs à ne pas commettre, ce livre sera aussi parcouru avec intérêt par chaque confrère, praticien comme enseignant. En fait, sur ce qui est inadéquat, voire inadmissible, il ne trouvera guère de choses totalement nouvelles, mais de ­vigoureux rappels. On peut regretter que certaines «envolées» ou exemples de l’auteur soient susceptibles d’amener le lecteur médecin à penser: «Vraiment, il va trop loin!» et à renoncer à poursuivre, sans tirer profit de tout ce que le propos a de judicieux et actuel (au reste, l’équité demande dire que, ici et là, il donne des illustrations discutables, voire, à mon humble avis [J. M.], inappropriées).1 Winckler à cet égard: «Je n’ai de leçons à donner à personne. En revanche, j’ai des expériences et des valeurs à défendre. A commencer par la vision que j’ai de la médecine et des obligations qui en découlent.»

La médecine, pour servir l’autre

Il rappelle la formule «Guérir parfois, soulager souvent, consoler toujours». Parle de la différence entre soigner et traiter, de l’asymétrie obligée de la relation et de l’«aura» du soignant, dont il faut se garder d’user indûment. Il importe de «s’acclimater à l’idée, dérangeante si on a été formé en France, que soigner ce n’est pas décider à la place du patient, mais l’accompagner et l’épauler dans ses propres décisions». Et: «Parce que la médecine est un savoir-faire destiné à servir l’autre, tout médecin devrait, par principe, réviser ses connaissances quand elles sont contredites par l’expérience sensible des patients.»
Présente cinq formes de coopération entre soigné et soignant. Avec un contrat moral illustré par la formule «patient-capitaine et médecin-pilote». Rappelle les grands principes de la bioéthique et les droits des ­patients formalisés en France par la loi Kouchner de 2002.

«Maltraitance ordinaire», notamment vis-à-vis de patientes femmes

Il cite en particulier des témoignages recueillis dans des consultations de gynécologie et de planning fa­milial (voir son excellent Le Chœur des femmes [2]). Il évoque bien sûr les gestes déplacés, voire le viol ­caractérisé (pas seulement la relation sexuelle, mais toute pénétration vaginale ou rectale, y compris instrumentale, qui n’a pas fait l’objet d’un consentement éclairé explicite). Un chapitre «Sexisme, racisme et intolérance», qui traite aussi d’homophobie et des attitudes vis-à-vis des transgenres; le suivant est sur la «normalisation» – trop longtemps pratiquée de manière prématurée et sommaire – des personnes présentant des variations du développement sexuel (intersexes) – à distinguer de la transidentité.
Un passage sur la réticence de praticiens à accepter les demandes d’interruption de grossesse ou de stérilisation: «Au Québec, où ligature des trompes et vasectomie sont légales depuis longtemps et où le non-désir d’enfant est un choix de vie qui ne suscite aucun commentaire, l’attitude des médecins français déclenche toujours la même réaction: ‘Mais de quoi se mêlent-ils?’» Dans «Utérus sous haute surveillance», il discute de nombreuses habitudes qui, en pratique gynéco-obstétricale, tendent à limiter les choix des parturientes, ­faisant parfois bon marché de leur consentement. Par exemple le fait maintenant admis que, dans les décennies récentes, on a pratiqué beaucouop trop d’épisiotomies.

Une relation marquée par la compréhension, qui évite d’imposer des valeurs

Winckler observe un manque de sensibilité au ressenti/vécu des patients chez les professionnels et critique la fréquence avec laquelle ils tendent à proposer, voire imposer, des jugements de valeurs. Avec une pique sur la trop grande place qu’a prise la psychanalyse dans la pensée médicale française, au détriment de psychologies et méthodes comportementales et ­cognitives. A cet égard: «Le plus stupéfiant dans l’attitude consistant à accuser les patients d’être les jouets de leur inconscient, c’est qu’elle laisse entendre que les médecins, eux, n’ont pas de pensées mauvaises ni de désirs tordus.»
Il regrette vivement, dans des situations difficiles, la position «Je ne peux (plus) rien pour vous». «On peut toujours faire quelque chose, et les choses utiles ne sont pas nécessairement spectaculaires. Mais beaucoup de médecins ne savent pas et surtout n’osent pas penser ‘hors des cases’.»
Un chapitre parle de possibles excès de zèle préventif, y compris «surenchère vaccinale» – sujets sur lesquels le médecin de santé publique qui signe la présente analyse a quelques divergences avec l’auteur, même si on a le droit de questionner la pertinence de certains dépistages et de rappeler l’impératif d’information préalable adéquate. Il insiste sur l’importance de clarifier – auprès des patient-e-s – une possible confusion entre probabilité et risque, et d’éviter la tendance à transformer la probabilité en prédiction.

Violence, lutte contre la douleur, 
fin de vie

Maltraitance aussi, voire de la cruauté (sic), dans la prise en charge de malades graves en cancérologie et neurologie notamment, où on voit trop de «violence 
de l’annonce… et de l’annonceur». Il rappelle comment «malgré les recommandations de l’OMS, les médecins français hésitent encore à prescrire de la morphine». Estimant que tout se passe comme si le traitement du cancer relevait du tout ou rien, il écrit: «Bien évidemment c’est faux. Tout patient peut consentir à un geste chirurgical et refuser une chimiothérapie, ou l’inverse, en sachant qu’il ne s’agit pas nécessairement du choix le plus efficace. [Or,] en France, pas question pour beaucoup de médecins de faire du sur-mesure. On impose une chimio prêt-à-porter.»
Thème débattu déjà dans son livre En souvenir d’André [1], la malpratique en fin de vie. «Les médecins hollandais, belges, suisses, canadiens, qui d’ores et déjà aident des malades conscients et déterminés à mettre paisiblement fin à leurs jours, ne sont pas moins respectueux de l’éthique que les praticiens boursouflés qui s’expriment sur les chaînes françaises […] En France, l’hypocrisie est de rigueur. Car, dans tout le pays, des médecins mettent fin à la vie de personnes âgées, de nouveau-nés prématurés, de malades au stade terminal.»

Formation et éthique

La troisième partie, sous le titre «La fabrique des brutes en blanc», traite de (dé-)formation. «En France comme ailleurs, nombreux sont les praticiens intègres et bienveillants. On aimerait qu’ils soient les plus ­influents. La réalité est tout autre […] Car dans les facultés françaises on n’enseigne pas la compréhension et le soin des personnes, on enseigne la pathologie et le diagnostic. On y forme les futurs membres d’une classe privilégiée. Leur formation vise à acquérir les postures avalisant l’autorité des médecins sur tous les autres citoyens.» Et de faire un résumé historique des différences à ce sujet entre France et pays anglo-saxons.
Des chapitres sur les très forts liens entre industrie pharmaceutique et médecins («prescripteurs dociles») et sur l’importance de pratiques et garanties adéquates dans la recherche. Finalement, la quatrième partie ­apporte ses recommandations aux patients sur ce qui peut/doit être fait face à la maltraitance médicale (possibilité de saisir diverses instances, y compris pénale), ainsi que pour la prévenir.
Note finale, sur un point particulier: Winckler ne veut pas que les médecins s’engagent en politique, aux ­motifs qu’ils savent des choses confidentielles sur un certain nombre des électeurs et qu’ils seront la cible 
de lobbies (… mais comme n’importe quel politicien). Motifs fragiles pour limiter leur qualité de citoyens qui peuvent, à mon sens, apporter des contributions d’importance aux débats sociétaux, y compris parlementaires.
jean.martin[at]saez.ch
1 Martin J. Martin Winckler: la fiction qui fait approfondir un enjeu de société (à propos du livre «En souvenir d’André»). Bulletin des médecins suisses 2013, 94, 307–8.
2 Martin J. Relation de soin médecin-patiente dans les domaines liés à la sexualité (à propos du livre «Le Chœurs des femmes» de ­Mar­tin Winckler). Bulletin des médecins suisses 2013, 94, 401–2.