Si nous n’avons aucun mal avec les situations où existe une contrainte extérieure visible, les situations de détresse intérieure à l’origine d’actes de mutilation défient souvent notre compréhension. Il en va ainsi des personnes atteintes d’un trouble identitaire de l’intégrité corporelle (TIIC). Si beaucoup d’aspects restent obscurs, un terme technique médical calme un peu les esprits. Ce sont en priorité des hommes disposant d’une bonne formation qui se rendent en Extrême-Orient pour se faire amputer d’une jambe (le plus souvent la gauche) en bonne santé. Selon les forums d’entraide sur Internet, le désir d’amputation, d’aveuglement ou même de paraplégie n’est pas si rare. Dans le jargon technique, cela s’appelle la xénomélie, le sentiment qu’un membre ne nous appartient pas. Les personnes concernées ne se démarquent pas par des particularités psychiatriques, mais se plaignent dès avant la puberté d’une perception pénible de leur corps. Il existe de nombreuses autres notions décrivant d’autres syndromes liés à un défaut d’intégrité entre le corps et le soi. Le plus répandu est l’absence d’identité sexuelle, connu sous le nom de trouble de l’identité de genre, pour lequel les traitements chirurgicaux et hormonaux sont légaux et au moins en partie pris en charge par les caisses-maladie. On établit ici une distinction avec l’apotemnophilie, qui correspond à une excitation sexuelle liée à une amputation réelle ou imaginaire, et avec la misoplégie, qui est une aversion pour une partie de son corps pouvant aller, dans les cas extrêmes, jusqu’au syndrome de Cotard, où le sujet se croit mort. C’est en 1880 que Cotard, un neurologue français, a pour la première fois décrit ce tableau clinique qui peut survenir chez les schizophrènes, les personnes atteintes d’une dépression sévère ou qui ont subi des lésions à la suite d’un AVC, d’une épilepsie ou d’une tumeur cérébrale. Le point commun de ces patients atteints de xénomélie, ce sont des altérations visibles par TEP ou magnétoencéphalographie (MEG) de l’activité cérébrale au niveau du lobe frontal et pariétal, ainsi que du cortex prémoteur. Comme ces réseaux sont généralement latéralisés dans l’hémisphère droit du cerveau, les désirs d’amputation concernent des parties situées du côté gauche du corps. Les particularités anatomiques qui, conjointement à des facteurs génétiques et sociaux, laissent supposer des origines complexes, ne permettent pour l’instant pas de traitement des causes, hormis, en dernier recours, l’amputation. Les succès sont éloquents. Selon une enquête réalisée auprès de 21 personnes concernées âgées de 23 à 73 ans, toutes étaient plus satisfaites après une opération réussie à l’étranger. Certaines avaient des difficultés à gérer leur nouvelle vie quotidienne, mais aucune ne regrettait sa décision.