Journée des malades 2017

Regarde-moi, je déborde de vie!

FMH
Édition
2017/08
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2017.05367
Bull Med Suisses. 2017;98(08):236–237

Affiliations
Dr méd., déléguée de la FMH au Comité central de la «Journée des malades»

Publié le 22.02.2017

Une maladie, un handicap ne sont pas toujours visibles au premier coup d’œil. Les personnes touchées disent le plus souvent qu’elles souhaitent prendre activement part à la vie et ajoutent: «Regarde-moi, je déborde de vie!», comme le suggère ­l’appel lancé cette année par la «Journée des malades».
La «Journée des malades» de cette année est dédiée aux patients qui «débordent de vie»: une sensation que nous éprouvons de temps en temps aussi pour certains de nos patients, ceux qui veulent participer activement à la vie et y contribuer malgré un handicap ou une maladie chronique. Bien souvent, leur maladie n’est pas visible au premier coup d’œil. Comme­ ­justement elle n’est pas toujours flagrante, il est primordial de prendre en considération leurs ressources personnelles et sociales – aussi bien lors d’un traitement médical qu’au travers d’une simple relation humaine, mais davantage encore dans le monde professionnel.
Le Rapport national sur la santé 2015 évoque la citation suivante:
«On dit que médecin et patient devraient être partenaires dans les soins. Je vois cela différemment. Nous, les médecins, ne sommes pas les partenaires de nos patients; nous sommes des invités dans leur vie. Nous ne sommes pas des hôtes. Nous ne sommes pas des prêtres dans une cathédrale de technologie» [1].
Etre des invités dans la vie de nos patients ne signifie pas que nous pouvons ou devons exiger un droit de présence prolongée dans leur vie. Tant que nous sommes des invités, nous nous concentrons pleinement sur notre hôte, nous l’observons avec attention et tentons de nous mettre à sa place du mieux que nous le pouvons. Qu’avons-nous déjà entendu de lui? Qu’avons-nous vécu avec lui? Nous devons nous souvenir des pensées qui avaient alors traversé notre esprit, de ce que nous avions ressenti: ces réflexions nous rappellent que les personnes qui reçoivent (les hôtes) ont souvent besoin de plusieurs invités afin de pouvoir réaliser de manière adéquate leur objectif de «déborder de vie».

Que peuvent apporter les médecins?

Mon expérience de psychiatre et psychothérapeute m’incite à évoquer en premier lieu l’accompagnement de patients traumatisés et de leurs proches. Par traumatisme, je pense principalement aux personnes qui ont vécu un événement absolument inattendu qui a remis en cause leur vie: un accident grave, un cancer ou le VIH, une hémorragie cérébrale, une perte brutale de l’audition, un licenciement imprévu. Lorsque ces personnes souhaitent notre aide, cela signifie pour nous médecins – indépendamment du traitement médical indiqué – de porter un regard précis et bienveillant sur elles et de se poser la question des ressources dont elles disposent. Notre objectif consiste à les accompagner le mieux possible au cours des prochaines étapes de leur vie, à les aider à traverser cette épreuve de leur existence. Arriverons-nous à les accompagner avec patience et empathie au cours de cette phase difficile? Notre concept selon lequel tout tunnel peut avoir une fin les portera et leur permettra de retrouver espoir. 
Du reste, les proches n’ont pas moins besoin de ce regard et de cette patience. De nombreux facteurs interviennent et nous devrions toujours avoir notre rôle d’invité présent à l’esprit, car il implique la distance ­nécessaire par rapport à la situation.

Déborder de vie:
des exemples ­encourageants

Un article de journal m’a rendue attentive à la fondation «Claire & George» [2], installée à Berne, qui organise des prestations de services Hotelspitex pour personnes souffrant d’un handicap. La fondation «fonctionne en tant que plate-forme, fait office de centre de compétence et met en réseau les prestataires». Sa mission est de proposer des lieux de vacances sans barrières et ­offrant tous les soins. Elle permet ainsi à des personnes souffrant d’un handicap de prendre des vacances, de se détendre et de se régénérer pour de nouveau «déborder de vie».
Un autre exemple encourageant est celui de «Cancer de l’enfant en Suisse» [3]. Cette organisation a mis en place et souhaite pouvoir poursuivre le «passeport médical», qui vise avec succès à ce que les enfants qui sont guéris puissent avoir accès à toutes les informations nécessaires concernant le suivi de leur maladie. Une étude de 2014 avait en effet montré que de nombreux «survivors» n’avaient que des connaissances imprécises de leur maladie, malgré la prise en charge médicale intensive dont ils avaient bénéficié.
Il est impressionnant de voir le nombre d’initiatives privées qui existent et aident les personnes touchées par un handicap ou une maladie grave à prendre pleinement part à la vie.

Medical Humanities – 
se sentir compris en tant que personne

Alors que de nos jours il est rarement question d’art médical, je me suis retrouvée dans le BMS confrontée au terme e-nudging [4], notamment lorsqu’il s’agit d’«inciter en douceur les personnes atteintes de maladie chronique à adopter un mode de vie plus sain». «To nudge» signifie «donner un coup de pouce» et vient 
de l’économie comportementale. Le principal défi consiste à trouver «ce qui fonctionne pour quel individu, à quelles conditions et pendant combien de temps» [4]. Je dois avouer que cela me fait un peu froid dans le dos, car il ne s’agit plus d’appréhender la maladie dans son ensemble, mais de cibler une déficience fonctionnelle d’une partie du corps. Le patient se sent-il compris, accepté? Combien de fois rencontrons-nous des patients qui passent d’un cabinet à l’autre parce que justement ils ne se sentent pas compris. Il est ­récemment arrivé à une généraliste hispanophone qu’une patiente sud-américaine lui saute soudainement au cou à la fin de leur première consultation… Qu’a-t-elle voulu dire: «enfin une docteure qui me prend au sérieux, qui me comprend»? En tout cas, elle a exprimé quelque chose qui allait bien au-delà de toutes les connaissances techniques de notre consœur.
La philosophie évoque la recherche du tout dans la ­médecine. Une question sur laquelle Jean Martin s’est penché dans son article «Quelle vision il y a 50 ans des enjeux éthiques en médecine?» [5] où il cite E. F. Torrey, un psychiatre nord-américain renommé et directeur d’un centre de recherche. Ce dernier a déclaré dans 
les années 1970 que la révolution technologique était indifférente, «mindless», et neutre; «indifférente parce que la science pure est un désir de savoir, de découvrir des secrets; neutre parce que les changements qu’apportent la technologie ne sont en eux-mêmes ni bons ni mauvais». C’est au corps médical qu’appartient la responsabilité d’informer de manière suffisamment précise la société; ce n’est que comme ça qu’il sera possible de forger une opinion éclairée et de poser des ­limites pertinentes. Personne ne supporterait l’avènement d’une politique de l’autruche suite à un manque d’engagement sociétal de la part des médecins. Tout ne peut pas tourner uniquement autour de la politique professionnelle et des tarifs. Jean Martin a raison de 
se demander si nous avons beaucoup progressé aujourd’hui. Dans son article [6], Lazaro Benaroyo rappelle également la forte réaction de la part de médecins au cours des années 1980, qui «déploraient l’effacement de l’art médical au profit de l’exclusive compétence technique». Ce mouvement plaidant vigoureusement pour une humanisation de la médecine soulignait déjà un paradoxe: «Le soin doit précéder l’acte technique, alors que c’est l’acte technique qui guide maintenant le soin.» Toute technologie, aussi excellente soit-elle, a une limite; cette limite, c’est l’autre. Tiens justement, soyons des invités dans la vie de nos patients.
Pour de plus amples informations à ce sujet, veuillez consulter le site internet de la «Journée des malades»: www.journeedesmalades.ch
«Servir et disparaître», c’est sur ces mots que la Dresse Ursula Steiner-König, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, avait pris congé du Comité central de la FMH en 2006. Heureusement qu’elle n’avait pas totalement pensé à «disparaître», car ensuite, elle a siégé pendant plus de dix ans en tant que déléguée de la FMH au Comité central de la «Journée des malades». Vice-présidente de ce comité, elle a contribué avec énergie à renforcer les liens entre les personnes en bonne santé et les malades et à mieux faire comprendre les besoins de ces derniers. L’heure est venue pour Ursula Steiner de passer le flambeau au Dr Hans Kurt. Nous exprimons nos remerciements les plus vifs à Ursula Steiner-König pour son engagement, mais aussi pour ses articles pleins de sensibilité et de compassion dans lesquels l’humour a toujours eu sa place.
Nous accueillons chaleureusement le Dr Hans Kurt qui représente désormais la FMH au Comité central de la «Journée des ­malades». Hans Kurt exerce depuis plus de 25 ans la psychiatrie et psychothérapie dans un cabinet de groupe interdisciplinaire à Soleure. Au travers de ses différents mandats, il connaît parfaitement bien la politique professionnelle et la politique de la santé. Nous souhaitons tout de bon à Hans Kurt pour ses nouvelles missions.
Dresse Ursula Steiner-König Psychiatrie et ­psychothérapie
Beim Goldenen Löwen 3
CH-4052 Bâle
u.steiner[at]hin.ch
1 Berwick, 2009, p. 151.
2 www.claireundgeorge.ch
3 www.kinderkrebs-schweiz.ch
4 Bull Méd Suisses. 2016;97(46):1587.
5 Bull Méd Suisses. 2016;97(37):1298–9.
6 Bull Méd Suisses. 2016;97(45):1581–3.