Voyance

Zu guter Letzt
Édition
2017/0102
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2017.05164
Bull Med Suisses. 2017;98(0102):50

Affiliations
Dr méd., membre de la rédaction

Publié le 10.01.2017

Boules de cristal et tarot font partie de notre culture. Le Big Data est parfait pour les analyses en vogue, mais nous voudrions savoir ce qui se cachait hier ou ce qui arrivera après-demain. Lorsque, dans un épisode de ­Tatort, un guérisseur a fourni l’indication décisive aux enquêteurs d’un crime, la police de Lucerne a immédiatement démenti, niant avoir recours à l’ésotérisme. Quand les enquêtes ne donnent rien, avec la pression médiatique, il peut cependant arriver que l’on fasse appel aux voyants. Il est fréquent, aux Etats-Unis, de demander l’aide d’un psychic detective, c’est plus ­variable dans les länder allemands. Pour l’enlèvement de H.M. Schleyer par la RAF ou les assassinats du NSU, des télépathes policiers sont aussi intervenus. Pourtant, les rares statistiques existantes n’apportent aucune preuve de l’avantage de ce type de coopération. Le «deus ex machina» ou le predictive policing, qui permet le stockage des données, offrent les mêmes chances 
de tomber juste.
Les meilleurs clients des troupes auxiliaires recourant au surnaturel sont les services secrets. Le dernier ­espoir s’appelle superforecaster, dont le succès a été provoqué par le psychologue Philip Tetlock, avec son projet Good Judgement. 28 000 personnes de toutes professions et de tous âges devaient évaluer la probabilité de survenue d’un événement précis. Les pro­nostics ont été analysés avec le score de Brier, qui ­aurait indiqué une prévision juste dans 90% des cas, tous résultats confondus. A partir de cette intelligence distribuée, P. Tetlock a identifié les 200 meilleurs pronostiqueurs, désignés comme constituant une élite de superpré­visionnistes. Avant tout, ce ne sont pas des experts, ils n’ont aucune idéologie, sont curieux et ouverts, ­dé­sireux d’apprendre, créatifs et critiques vis-à-vis d’eux-mêmes. Il y aurait maintenant huit équipes de 15 membres chacune, vivant de financements privés ou publics, qui feraient concurrence aux nombreux instituts à la mode et think tanks. Les experts des services secrets organisent ­depuis des tournois de pronostics. Les pronostiqueurs formés doivent permettre d’éviter les surprises ­géopolitiques à court terme et faciliter les prises de décisions délicates. Il est possible de participer au sondage sur convocation et ceux qui sont meilleurs que 98% des participants passent dans la catégorie «super». Les travaux de P. Tetlock à l’université de Pennsylvanie sont généreusement financés par une sous-division de l’IARPA, l’Office for Anticipating Surprise.
A notre époque moderne, la voyance a aussi une longue tradition dans les milieux militaires. Les superfore­casters évoquent l’un des épisodes les plus grotesques 
de la guerre froide. Dans les années 70 et 80, Harold ­Puthoff, physicien et parapsychologue, a travaillé au Stanford Research Institute avec des cartomanciens. Il pensait que les interactions des particules subatomiques et supraluminiques débouchaient sur des phénomènes Psi comme la télépathie ou la psychokinésie. La CIA a financé des recherches sur l’application pratique des perceptions à distance, censée permettre aux agents une détection extrasensorielle des emplacements secrets des fusées. Les Soviétiques ont financé un programme similaire, la recherche psychotronique. Ces dépenses semblaient donc être une nécessité pour la patrie. Le remote viewing est censé rendre visible aux espions formés n’importe quel point sur la planète, mieux qu’avec les anciens satellites de surveillance. La NASA elle-même a financé le projet, qui a été activé pendant plus de 20 ans à partir de 1975. Des millions de dollars ont été gaspillés pour des pratiques occultes. On est tenté de croire que les impôts sont encore dilapidés aujourd’hui.
Dans les hôpitaux africains, il est connu que le jour ­appartient à la médecine moderne et la nuit aux chamanes. La scène suisse de la voyance a elle aussi ses cartomanciens, comme Mike Shiva, dont les pronostics diffusés sur plus de 5 chaînes de télévision touchent un large public. La recherche sur les phé­nomènes paranormaux est également jugée digne de financement par beaucoup d’hôpitaux européens. Les expériences de mort imminente comme la sustentation, et d’autres perceptions surnaturelles, sont certes souvent démenties par des expériences simples, mais les spéculations sur les effets mystérieux de la physique quantique semblent irréfutables. Une boule de cristal fera aussi bien l’affaire pour le Nouvel An.
Philip Tetlock, Superforecasting – Die Kunst der richtigen Prognose, Fischer, Frankfurt a.M – 2016 – en allemand
– www.goodjudgement.com
– www.gjopen.com