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Commentaire

Il a marqué la politique de la santé valaisanne comme personne

DOI: https://doi.org/10.4414/bms.2023.22100
Date de publication: 30.08.2023
Bull Med Suisses. 2023;104(35):36-37

Léonie Hagen

Stagiaire au Walliser Bote et ancienne collaboratrice de la SMVS

Nécrologie Jean-Pierre de Kalbermatten, la passion de la médecine et un homme hors pair au service de la politique professionnelle.

C’est le scandale du siècle!», s’exclame Jean-Pierre de Kalbermatten, ancien vice-président de la FMH, le 5 décembre 2003 dans le Nouvelliste en évoquant les conventions-cadres devant réglementer les tarifs de la santé à partir de janvier 2004. Le nouveau système TARMED place les médecins valaisans dans une situation nettement moins favorable que leurs collègues des autres cantons. Une même prestation devrait coûter 15 à 20% de moins en Valais que dans le Jura par exemple. «Nous nous sentons humiliés», ajoute-t-il. Les médecins valaisans ont exercé en veillant aux coûts et, maintenant, ils sont remerciés par des tarifs plus bas.

Au moment de l’introduction du TARMED, Jean-Pierre de Kalbermatten a déjà démissionné de la plupart de ses fonctions. Lorsqu’on parle de lui dans le Nouvelliste, on mentionne que c’est un «médecin installé à Sion». En fait, il sait très bien de quoi il parle. Non seulement il a déjà dénoncé une fois les conventions tarifaires avec les caisses-maladie, mais il a aussi dirigé l’équipe avec laquelle une nomenclature cantonale commune des prestations médicales a été introduite pour la première fois en Valais.

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Dr méd. Jean-Pierre de Kalbermatten a été membre du Comité central de la FMH de 1982 à 1997 et vice-président de la FMH de 1987 à 1997.

© Familie de Kalbermatten

Ces discussions acharnées autour des systèmes tarifaires, il les a déjà toutes vécues deux décennies avant l’introduction du TARMED. Il fait partie de ces personnes qu’on retrouve souvent en Valais: un fort engagement associé à un bon réseau, mais préférant rester en retrait.

Né en 1935, Jean-Pierre de Kalbermatten s’installe à Sion en avril 1969 après ses études de médecine. Il ouvre un cabinet de médecin de famille auquel il sera fidèle bien au-delà de l’âge de la retraite. Dans la foulée, il rejoint un groupe informel de médecins qui ne veulent pas se lier contractuellement aux caisses-maladie.

À cette époque, les conventions prévoient exclusivement le tiers payant. La facturation n’est pas adressée aux patients, mais directement et exclusivement aux caisses-maladie. Jean-Pierre de Kalbermatten se distancie de ce système au profit du tiers garant, avec lequel les caisses-maladie remboursent les factures aux patients lorsqu’ils les leur envoient. «Je souhaite entretenir une relation aussi directe que possible avec mes patients, et ce à tous les niveaux», ne cessera-t-il de répéter.

Cette attitude le pousse à entrer au comité de la SMVS en 1972. En 1974, il est élu président de la commission des intérêts professionnels. Celle-ci s’occupe des conditions-cadres pour les médecins dans le canton, et des conventions tarifaires avec les caisses-maladie. À sa tête, il mène une bataille pour laquelle aucune issue ne semble se dessiner. Il dénonce les conventions avec les caisses-maladie pour les renégocier et créer une nomenclature unique. La situation est tendue. Les médecins estiment que les conventions en place depuis 1966 devraient être révisées de toute urgence. De leur côté, les assureurs s’entendent comme chien et chat. Les uns ont leurs entrées au PLR, les autres au PDC. «Par moments, il n’était tout simplement pas possible d’organiser une séance où les deux camps étaient assis à la même table», confiera-t-il.

Les négociations s’étendent sur plusieurs années. Certains médecins doivent facturer selon deux systèmes différents, en fonction de la caisse-maladie de leurs patients.

Et ce n’est pas tout. D’autres coups d’éclat ont suivi, notamment lorsque le canton décide en 1979 d’intégrer les assureurs-maladie dans le Conseil de santé valaisan. Lui et trois de ses confrères s’inquiètent du risque de voir la médecine réduite à une simple question financière. Ils décident de démissionner en bloc. Une lettre ouverte dans laquelle ils dénoncent la fin de la médecine libérale en Valais provoque des semaines de discussions dans les médias.

Ce n’est qu’à partir de 1980 que la politique de santé s’apaise dans le canton. Les nouvelles conventions ont été approuvées, tout comme la nouvelle nomenclature. Le tiers garant s’impose et, ainsi, la relation directe avec les patients, comme il l’avait souhaité.

Pour Jean-Pierre de Kalbermatten, l’aventure ne s’arrête pas là. En 1981, il est le premier médecin valaisan à être élu au Comité central de la Fédération des médecins suisses (FMH). Il occupera ce poste durant seize ans, dont neuf en tant que vice-président. Dans ses fonctions, il s’engage, en Suisse comme à l’étranger, en faveur de meilleurs tarifs pour le secteur de la santé, de lois et de solutions innovantes en matière d’addiction, pour l’assistance au suicide et la protection de la jeunesse. Il fréquente les conseillers fédéraux, à l’image d’Arnold Koller et de Ruth Dreifuss. Il se retire du Comité central en 1997, mais termine encore quelques mandats jusqu’en 2000. Après ce départ, il reste encore longtemps engagé. Il ne ferme son cabinet qu’en 2006, à l’âge de 71 ans. Fidèle à ses engagements en politique de la santé et auprès de la SMVS, qu’il conseille, il s’exprime régulièrement sur les évolutions de la politique de la santé.

Dans toutes ses actions, Jean-Pierre de Kalbermatten a toujours eu une approche très pointue mais jamais tendancieuse. Il a toujours recherché le compromis, il est d’ailleurs connu pour se faire des amis partout. Après une votation perdue, il s’adressait à la population dans le courrier des lecteurs et savait se montrer magnanime en rappelant que les défaites politiques n’empêcheront jamais les médecins de poursuivre leur engagement avec passion dans leurs cabinets pour le bien de leurs patients. Il aurait même trouvé plus tard «de très bons amis» parmi les assureurs-maladie proches du PLR, avouera-t-il.

Note de la rédaction

Cette nécrologie est parue le 5 août 2023 dans le Walliser Bote. Elle a été rédigée par Léonie Hagen, qui s’est entretenue à plusieurs reprises avec Jean-Pierre de Kalbermatten à l’occasion du 175e anniversaire de la SMVS en 2018.

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Le 26 juillet, Jean-Pierre de Kalbermatten s’est éteint paisiblement à l’âge de 88 ans.

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