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Formation médicale: continuité est le maître-mot

DOI: https://doi.org/10.4414/bms.2023.22095
Date de publication: 30.08.2023
Bull Med Suisses. 2023;104(35):28-31

Fabienne Hohl

Journaliste

Journée de réflexion Découvrir de nouvelles perspectives au-delà des frontières nationales mais aussi dans ses propres actions et échanger sur la formation médicale: la Journée de réflexion a une nouvelle fois offert aux participantes et participants un espace de discussion intense et bienvenu et mis en évidence comment la médecine en Suisse peut (et doit) continuer à se développer.

Cette année encore, pas moins d’une quarantaine de spécialistes de la formation médicale de toute la Suisse se sont retrouvés à la Journée de réflexion organisée conjointement par l’Institut suisse pour la formation médicale postgraduée et continue (ISFM) et le Collège des Doyens. Deux personnalités de haut vol, que Monika Brodmann Maeder, présidente de l’ISFM, et Primo Schär, président du Collège des Doyens, avaient réussi à convaincre de venir exposer leurs points de vue, ont suscité des débats vivants et des idées passionnantes: Lord Philip Hunt of Kings Heath, ancien ministre britannique de la santé, et Werner Kübler, directeur de l’Hôpital universitaire de Bâle.

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Monika Brodmann Maeder, présidente de l’ISFM, et Primo Schaer, président du Collège des Doyens, ouvrent une journée de réflexion intensive.

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CBME: les germes poussent

Pour commencer, Monika Brodmann Maeder fait le point de la situation réjouissante concernant l’introduction de la formation basée sur les compétences dans la formation médicale postgraduée (Competency Based Medical Education, CBME). Selon la présidente de l’ISFM, ce grand projet prendra au moins une dizaine d’années et «un tel changement de culture exige un fort engagement à plusieurs niveaux, avec notamment une communication constante sous forme de cours et d’accompagnement spécialisé par des ‹professionnels› de la formation, mais aussi lors d’échanges avec d’autres spécialistes». Pour ce faire, l’ISFM publie régulièrement des articles sur le sujet dans le Bulletin des médecins suisses [1]. «Et surtout», précise Monika Brodmann Maeder, «il faut des Medical Educators en mesure de prodiguer un enseignement basé sur les compétences». C’est ce que garantit l’offre de plus en plus utilisée des cours Teach the teachers, adaptés au contexte suisse et développés en continu par une nouvelle équipe de direction [2].

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Système de santé britannique en crise: Lord Philip Hunt.

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Grande-Bretagne: pénurie de médecins

Invité d’honneur, Lord Philip Hunt of Kings Heath a ensuite présenté le système de santé du Royaume-Uni (National Health Service, NHS), qui jouit toujours d’un haut niveau de satisfaction de la population en dépit de la pénurie croissante de personnel qualifié et de la pression financière. Le NHS a été fondé en 1948 avec l’idée de fournir des soins médicaux gratuits à toutes les personnes résidant en Grande-Bretagne. Contrairement à la Suisse, le système de santé britannique est organisé et financé par l’État. 11% seulement de la population est couverte par une assurance-maladie privée. Actuellement, le NHS traverse la plus grande crise depuis sa création, explique Philip Hunt. Le manque de personnel se ressent notamment dans les soins de base, bien que la Grande-Bretagne ait délivré des autorisations de pratiquer à plus de 40 000 nouveaux médecins au cours des cinq dernières années. Seuls 39% d’entre eux ont été formés par le NHS, ce qui rend le système britannique dépendant des médecins spécialistes venus du Commonwealth, majoritairement d’Inde et du Pakistan, car les échanges avec l’UE se sont taris depuis le Brexit. Même si le NHS ne peut pas se passer de ces médecins, les employer en Grande-Bretagne soulève des questions éthiques importantes, selon Philip Hunt.

Les raisons principales de la pénurie de médecins au Royaume-Uni résident, comme en Suisse, dans l’évolution démographique, la charge de travail élevée, le souhait de travailler à temps partiel et le nombre limité de places de formation. Le Royaume-Uni entend doubler ce nombre d’ici 2030. «Un défi de taille, notamment au vu de la baisse des recettes fiscales et de l’augmentation du budget de la défense en raison de la guerre en Ukraine», relève Philip Hunt. Pour lui, raccourcir la formation [3], mettre en place de nouvelles méthodes d’enseignement, notamment assistées par la technologie, et développer des écoles de médecine et le personnel enseignant seraient des pistes à étudier. Enfin, il estime que certaines nouvelles professions, telles que les infirmières de pratique avancée, pourraient jouer un rôle important pour épauler le corps médical. «À condition toutefois de leur offrir des possibilités de carrière.»

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«Tous les acteurs du système de santé doivent se mobiliser en faveur de la formation médicale»: Dr Werner Kübler.

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La pression au travail augmente: Dre Vanessa Kraege.

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Autres modèles, efficacité accrue

Pour Werner Kübler, directeur de l’Hôpital universitaire de Bâle, la collaboration interprofessionnelle est aussi un levier qu’il faut renforcer afin de pouvoir traiter toujours plus de patients avec un personnel toujours plus restreint. Il plaide également pour que de nouveaux modèles de soins intégrés, davantage de télémédecine et l’intelligence artificielle trouvent leur place dans le système de santé «afin de décharger le corps médical des tâches administratives et lui permettre de consacrer plus de temps aux tâches médicales, à la formation postgraduée et aux activités académiques». Dans le compte rendu de son atelier, Werner Kübler rappelle que la marge de manœuvre financière des hôpitaux est de plus en plus restreinte et ajoute qu’«il n’existe pas de consensus politique en Suisse sur le manque d’argent du système de santé». Par exemple, les contributions des cantons d’au moins 15 000 francs, comme l’exige la convention intercantonale sur le financement de la formation médicale postgraduée, sont loin de couvrir les coûts. Pour ne pas laisser la relève médicale sans perspectives, il serait opportun que tous les acteurs du système de santé se mobilisent en faveur de la formation médicale, et œuvrent pour sa structure et son financement. Werner Kübler en est convaincu et déclare: «Ensemble, nous pouvons y arriver.»

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Les ateliers ont permis de réfléchir à la manière de mieux organiser les études de médecine et la formation postgraduée.

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Données et dialogue

Cette impression est également ressortie de la table ronde qui s’est rapidement transformée en un débat engagé en séance plénière, pour laquelle Vanessa Kraege, directrice médicale adjointe du CHUV, s’était jointe à Philip Hunt et Werner Kübler. Elle a présenté une étude interne, dont les résultats ont quelque peu refroidi les esprits, car de nombreuses mesures prises par le CHUV n’ont pas permis de réduire le temps consacré aux tâches administratives et, dans le même temps, n’ont libéré que très peu de temps pour les patients. «La pression au travail a augmenté», conclut Vanessa Kraege. Ensuite, l’auditoire a très bien accueilli les efforts décrits pour collecter des données transparentes. Primo Schär a résumé la situation en déclarant que «nous devons évaluer et établir ensemble les dépenses des facultés et des hôpitaux; c’est le seul moyen de montrer aux milieux politiques le coût réel (par personne) de la formation prégraduée et postgraduée». L’assemblée a également placé de grands espoirs dans le numérique, susceptible selon elle de décharger autant que faire se peut des tâches administratives. Personne n’a contesté que ces mesures et notamment celles visant à décharger les professionnels de la santé devaient être initiées par les personnes concernées. «Ce sont elles qui savent le mieux comment organiser leurs cliniques et la formation», a conclu Werner Kübler pour renforcer cette prise de conscience.

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Plus d’exigences contraignantes concernant les connaissances à acquérir: Dre Marilù Guigli Poretti.

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La voix du corps étudiant: Cand. méd. Nuria Manuela Zellweger.

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En ce qui concerne la formation médicale, une étude des HUG s’est penchée sur la formation prégraduée. Si les médecins en formation sont au bénéfice d’une formation initiale adéquate, cela améliore à la fois la qualité et l’efficacité de leur apprentissage [4]. Un autre point élémentaire a été soulevé par Jana Siroka, membre du Comité central de la FMH, qui évoque la présence sur place des équipes dirigeantes. «C’est la seule façon de guider nos jeunes collègues de manière pertinente, de les soutenir dans les situations de défi et d’éviter les épuisements professionnels et les abandons de la profession.» [5, 6] Or, pour cela, il faut des conditions de travail qui le permettent et qui soient en mesure de les maintenir dans la profession. Pour initier les changements nécessaires, l’assemblée a été unanime pour déclarer qu’il faut non seulement des données fiables et de meilleures structures, mais aussi un débat de société ouvert sur des thèmes tels que les exigences en matière de santé et les conditions réelles du terrain, les soins optimaux et les soins maximaux, les questions démographiques et la prévention.

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Créer un climat de confiance pour les médecins en formation: Dre Nadia Bajwa.

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Études de médecine: plus de priorités

L’après-midi, la Journée de réflexion s’est penchée sur les obstacles que rencontrent les jeunes qui terminent leur bachelor et commencent un master en médecine et sur ceux qui se dressent entre la formation prégraduée et la formation postgraduée, et sur les solutions envisageables. Pour le bachelor, il est important d’avoir des exigences contraignantes concernant les connaissances à acquérir, déclare Marilù Guigli Poretti, responsable de la formation postgraduée à l’Università della Svizzera italiana et membre de l’équipe de modération. Par ailleurs, les étudiants souhaitent que le programme d’apprentissage AMBOSS devienne également obligatoire pour le corps enseignant et que celui-ci coordonne mieux les contenus enseignés, précise sa collègue Nuria Zellweger, étudiante en médecine et collaboratrice scientifique à l’Hôpital universitaire de Bâle. À l’inverse, différentes personnes de l’auditoire ont objecté que cela exigeait d’apprendre à utiliser les sources de manière critique. Nuria Zellweger a également suggéré un allègement du programme au moins du premier cycle. Enfin, l’évaluation des compétences doit aller de pair avec une utilisation accrue de solutions numériques et donc avec l’emploi conséquent des logiciels requis au niveau de la planification [7]. Cela permettrait de mieux évaluer et coordonner le cursus en fonction des compétences exigées, non seulement à l’EPFZ et en Suisse latine, mais dans toute la Suisse.

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Le Prof. Giatgen Spinas porte un regard optimiste sur la formation médicale basée sur les compétences.

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MMeds: de nombreux leviers

Au terme du cursus universitaire, il serait utile, selon Nadia Bajwa, membre de l’équipe de modération, que les évaluations obtenues pendant les études de médecine servent de point de départ à la formation postgraduée. «Ainsi, nous n’aurions pas à partir de zéro», a-t-elle déclaré. Parallèlement, il est indispensable de créer un climat de confiance pour les jeunes médecins, et d’y inclure l’adage selon leuquel «excellence doesn’t mean perfection». Un grand changement de culture doit encore se produire pour que tous les médecins en formation puissent (bientôt) bénéficier d’un laps de «temps protégé» leur permettant de suivre les quatre heures de formation structurée hebdomadaires prescrites. «Un changement que nous pouvons initier nous-mêmes», a ajouté avec optimisme Giatgen Spinas, vice-président de l’ISFM et modérateur. L’atelier a permis d’identifier plusieurs leviers dans ce sens: l’ISFM, qui reconnaît ou retire l’agrément des établissements de formation postgraduée, pourrait à moyen terme exiger un standard de la part des formateurs; l’enquête de l’EPFZ auprès des médecins-assistants sur la qualité de leurs établissements de formation a des répercussions sur le recrutement; des équipes dirigeantes motivées autant au niveau médical que de la direction de l’hôpital, un nombre croissant de Medical Educators formés et surtout la relève elle-même, qui demande de plus en plus de feed-back.

Apprendre des pays voisins

«La formation médicale est en ébullition», déclare Monika Brodmann Maeder, présidente de l’ISFM, qui dresse un bilan positif de la Journée de réflexion. Avec Primo Schär, coorganisateur de la journée, elle remercie l’auditoire pour son enthousiasme communicatif sans oublier celles et ceux qui œuvrent pour la formation médicale, à qui elle adresse tous ses remerciements pour leur engagement. Grâce à cette belle motivation, le thème de l’année prochaine a été rapidement trouvé: un pays européen en plein essor a numérisé avec succès son système de santé avec des moyens bien inférieurs à ceux de la Suisse. L’inspiration sera donc également au rendez-vous de la Journée de réflexion en 2024.

Journée de réflexion

La Journée de réflexion est inscrite chaque année dans le calendrier des rencontres en lien avec la formation médicale. Elle est organisée par l’Institut suisse pour la formation médicale postgraduée et continue (ISFM) et le Collège des Doyens des facultés de médecine suisses. Cette année, elle a eu lieu les 12 et 13 mai à Thoune.

Adresse de correspondance

info[at]siwf.ch

Références

1 https://siwf.ch/fr/projets/cbme/articles-scientifiques.cfm

2 Hohl, F: «Une didactique avérée pour une médecine améliorée», Bull Med Suisses. 2023;104(11):32–33.

3 Darzi, A: «Speed up medical school to solve Britain’s doctor shortage», The Times (23.03.2023), Stand 22.05.2023 https://www.thetimes.co.uk/article/speed-up-medical-school-to-solve-britain-s-doctor-shortage-health-commission-gxj8xpdkm

4 Junod Perron N., Bajwa N., De Grasset J. et. al.: Faculty development program for clinical supervision: comparison of two training formats, University of Geneva Hospitals, Geneva; presented as abstract at AMEE Conference 2017, Helsinki

5 https://www.obsan.admin.ch/sites/default/files/2021-08/obsan_01_2021_rapport_0.pdf

6 Maurer, S. «Je reste ou je pars?», Bull Med Suisses. 2022;103(38):12-16 https://bullmed.ch/article/doi/saez.2022.21017

7 https://www.unige.ch/medecine/fr/enseignement1/outils-pour-enseignants/profiles/looop-learning-opportunities-objectives-and-outcomes-platform/ (consulté le 25.05.2023)

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