Savoir

«Une souffrance importante»

DOI: https://doi.org/10.4414/bms.2023.22083
Date de publication: 13.09.2023
Bull Med Suisses. 2023;104(37):78-79

Interview: Simon Koechlin

Fibromyalgie Souvent incompris, ce syndrome douloureux chronique est pourtant répandu. De récentes études redonnent de l’espoir aux personnes touchées. Nous avons fait le point sur les nouvelles recommandations de diagnostic et de traitement avec la rhumatologue Barbara Ankli.

Selon une étude allemande [1], poser un diagnostic de fibromyalgie prend en moyenne seize ans. Pourquoi la médecine se heurte-t-elle à tant de difficultés?

Il n’y a jusqu’ici aucune modification structurelle qui permette d’attester objectivement la présence de la maladie. Il n’y a de signes ni dans le sang, ni par échographie, ni par radiographie. On est donc tributaire des symptômes subjectifs des malades pour poser un diagnostic.

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La femme est plus souvent touchée par la fibromyalgie, mais la maladie est sous-diagnostiquée chez l’homme.

© Andrey Popov / Dreamstime

Quels sont les syndromes types de la fibromyalgie?

C’est d’abord une douleur chronique généralisée et étendue dans les tendons et les muscles. S’y ajoutent souvent des troubles du sommeil, une fatigue chronique, des angoisses, un état dépressif et des limitations au quotidien. On compte plus de 100 symptômes.

Que doivent savoir les médecins de famille pour identifier la maladie?

Il y a d’une part un diagnostic différentiel très large: beaucoup de maladies rhumatismales inflammatoires ont des symptômes similaires à la fibromyalgie. Ensuite, les critères d’identification ont été actualisés en 2016: les douleurs doivent se produire dans quatre des cinq régions corporelles, ce qui permet de la distinguer du syndrome douloureux régional. Et contrairement à l’ancienne approche, le diagnostic de fibromyalgie peut se faire indépendamment d’autres pathologies – ce n’est donc plus un diagnostic d’exclusion.

Ce qui veut dire?

Si un sujet faisait l’objet d’un diagnostic de polyarthrite rhumatoïde, on ne rendait pas en plus un diagnostic de fibromyalgie, d’où le terme de diagnostic d’exclusion. Or, chez certains, les douleurs et les symptômes d’épuisement persistaient, même avec une polyarthrite rhumatoïde bien traitée. On peut maintenant, dans ce type de cas, poser un second diagnostic de fibromyalgie et traiter la maladie. C’est une grande aide.

Quelles sont les causes de la fibromyalgie?

Il n’y a pas de certitude. Les études ont montré que les sujets concernés avaient subi des traumatismes ou autres facteurs de stress dommageables – avec des taux de cortisol plus élevés que la normale.

Et ces traumatismes modifient la perception de la douleur?

Il est attesté que les sujets atteints de fibromyalgie ont un seuil de douleur plus bas. Il s’agit d’une douleur nociplastique – hypersensibilité centrale et neuropathie périphérique sont ici les concepts clés.

Combien de personnes souffrent de cette maladie?

Selon les études, environ 3% de la population en Europe. Sa fréquence ne semble pas avoir augmenté ces dernières années.

Les femmes sont apparemment souvent touchées.

Oui. 90% des sujets orientés en rhumatologie pour suspicion de fibromyalgie sont des femmes. Mais ce n’est pas qu’une maladie féminine: si l’on regarde qui remplit les critères dans les cohortes étudiées, il n’y a que 60% de femmes. Les hommes semblent donc sous-diagnostiqués.

Pourquoi?

C’est difficile à dire. Pour un homme, les médecins ne pensent peut-être pas à la fibromyalgie, car elle est associée à une maladie féminine. Et certains signes indiquent un rôle des hormones sexuelles dans la maladie. Pour autant, les hommes ne doivent pas être oubliés.

Nouvelle brochure sur la fibromyalgie

La Ligue suisse contre le rhumatisme a publié en juillet une nouvelle brochure sur la fibromyalgie [2]. En 60 pages, elle couvre les thèmes clés relatifs à ce syndrome douloureux chronique – causes, symptômes et diagnostic, mais aussi thérapie et conseil social. Le but est de rendre la fibromyalgie plus intelligible et de fournir un soutien aux personnes concernées ainsi qu’à leurs proches.

Vous avez contribué à une nouvelle brochure de la Ligue suisse contre le rhumatisme sur la fibromyalgie [2]. Pourquoi cette nouvelle édition?

D’abord, à cause des changements des critères de diagnostic et de la fin du diagnostic d’exclusion. Puis, pour informer les personnes concernées et les médecins des ajustements des recommandations thérapeutiques. Auparavant, le médecin recommandait en premier lieu au malade une action directe, comme structurer autrement son quotidien ou baisser l’intensité de sa pratique sportive. La thérapie n’intervenait qu’en second lieu. On mise désormais sur une approche thérapeutique multimodale, pour ne pas perdre de temps. On initie, parallèlement aux changements instaurés par le patient, une physiothérapie, un accompagnement médical régulier et le cas échéant un traitement médicamenteux. Certains antidépresseurs ou antiépileptiques peuvent par exemple aider à mieux gérer la douleur et à contrer l’hypersensibilité.

Quel est le degré de douleur éprouvé par les personnes concernées?

La fibromyalgie s’accompagne de douleurs intenses. Conséquence: le taux de suicide est très élevé. Il est essentiel que le médecin de famille en ait conscience – et qu’il en discute avec le malade.

Puisqu’il n’y a pas de cause physique objective à la fibromyalgie, certains sujets peuvent être perçus comme des malades imaginaires. Ce malentendu peut-il accentuer la souffrance?

Clairement. D’où l’importance, dès le départ, d’un accompagnement psychologique pour que les malades aient le sentiment d’être soutenus par un concept thérapeutique. Le soutien psychologique aide aussi à exprimer et gérer les sentiments négatifs.

La guérison est-elle possible?

Une guérison au sens strict du terme, non. L’objectif est que la personne concernée vive le mieux possible au quotidien et retrouve une certaine qualité de vie. Ce qui est tout à fait possible.

La récente classification CIM-11 [2] ne considère plus la fibromyalgie comme maladie rhumatismale, mais comme douleur chronique primaire. Quelles sont les répercussions sur le traitement?

Elles sont quasi nulles en Suisse. Chez nous, les spécialistes en rhumatologie sont en général aussi experts en médecine de la douleur. Nous avons toutefois des réserves sur la nouvelle répartition. Elle pourrait impacter l’assurance sociale. La patientèle souffrant de douleurs chroniques a du mal à obtenir des prises en charge.

Peut-on espérer de meilleurs traitements?

Il semble que la maladie soit peut-être enfin diagnosticable, et donc traitable, sur la base de critères objectifs. Les études révèlent par exemple un lien entre des taux bien plus élevés de cytokines et le degré de sévérité de la maladie. Et des méta-analyses démontrent la présence d’une neuropathie des petites fibres chez la moitié des sujets atteints de fibromyalgie. Jusqu’ici, des biopsies étaient nécessaires pour prouver une atteinte de ces très petites terminaisons nerveuses. À l’avenir, celles-ci pourront en grande partie être remplacées par une microscopie de la cornée.

Dre méd. Barbara Ankli

Rhumatologue et spécialiste en médecine interne générale, elle exerce dans son cabinet médical à Bâle.

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Références

1 https://www.dgschmerzmedizin.de/presse/dgs-pressemitteilungen/detail/news/dgs-praxisleitfaden-fibromyalgie-vorurteile-abbauen-diagnose-erleichtern/

2 https://www.rheumaliga-shop.ch/fr/Shop/Fibromyalgie/cont-shop/scat-0000052/sart-D371-K/ArtIDCurr-D371#

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