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Le pouvoir des mots
Hypnose médicale Les suggestions positives peuvent soulager les douleurs ou les angoisses des patientes et des patients, renforcer leur bien-être et activer leurs forces d’autoguérison. Une anesthésiste, un psychiatre, une pédiatre et un médecin de famille font part de leurs expériences.
Le pire est passé. On vous amène à présent à l’hôpital, qui se prépare à vous recevoir. Votre corps peut totalement se concentrer sur ses forces d’autoguérison, maintenant que vous vous savez accompagné. Laissez tous vos organes, votre cœur, vos vaisseaux sanguins, vous-même, passer à un état qui assure votre survie. Saignez autant que nécessaire pour nettoyer les plaies et laissez ensuite vos vaisseaux se refermer suffisamment pour préserver votre vie. Vos fonctions et votre température corporelles, tout est maintenu à un niveau optimal, pendant que l’hôpital se prépare pour prendre soin de vous au mieux. On vous y emmène le plus vite et le plus sûrement possible. Vous êtes en sécurité. Le pire est passé.»
Le personnel ambulancier devait lire ce texte aux victimes d’accidents, même inconscientes, à plusieurs reprises et d’une voix tranquille. Il était en outre tenu d’emmener les patientes et patients le plus rapidement possible loin du lieu de l’accident et de n’avoir avec eux aucun échange anodin ou négatif. Telles étaient les conditions de l’expérience dite du Kansas, menée en 1976 par le psychiatre américain Erik Wright. Elle a démontré la puissance des suggestions thérapeutiques – c’est-à-dire des messages visant à influer positivement sur la santé et la guérison. Dans le groupe de secouristes ayant reçu ces consignes, davantage de patients sont arrivés vivants à l’hôpital, le nombre total de survivants a été plus élevé et ces derniers se sont également rétablis plus rapidement que dans le groupe de contrôle, où le personnel de secours n’avait pas reçu ces instructions [1].


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Moins de douleurs postopératoires
Des études plus récentes confirment aussi le pouvoir des mots sur le corps et la santé, à l’instar d’une étude allemande multicentrique menée par une équipe de chercheurs, dirigée par Hartmuth Nowak de la clinique universitaire de Bochum et Nina Zech de la clinique universitaire de Regensburg. Elle a d’ailleurs été récompensée par un prix d’encouragement attribué par la Société allemande contre la douleur. Les résultats sont parus en 2020 dans le British Medical Journal [2]. L’étude portait sur 400 patientes et patients ayant subi une intervention sous anesthésie générale d’au moins une heure. Durant l’opération, la moitié environ a été dotée d’écouteurs diffusant, sur une musique de fond, des suggestions thérapeutiques formulées avec des mots positifs et rassurants.Le groupe de contrôle a aussi reçu un lecteur MP3 et des écouteurs, mais rien ne leur a été diffusé.
Les résultats ont montré que les patients ayant bénéficié des suggestions thérapeutiques ont ressenti moins de douleurs postopératoires et ont donc eu un besoin moindre d’analgésiques.
Simple et sûr
«Cette méthode ouvre une toute nouvelle dimension dans le traitement médical», avance Ursula Speck, cheffe de clinique à la clinique d’anesthésiologie, de soins intensifs, de sauvetage et de médecine de la douleur de l’Hôpital cantonal de Saint-Gall (KSSG). «L’hypnose médicale est une méthode simple, peu coûteuse, sans effets indésirables et sûre, qui permet de renforcer le confort des patients et de réduire le besoin en médicaments», ajoute-t-elle. Ces résultats d’étude ne la surprennent pas. Membre du comité de la Société médicale suisse d’hypnose (SMSH), elle utilise l’hypnose médicale au Centre de la douleur du KSSG depuis bientôt vingt ans. «On dispose aujourd’hui de multiples méthodes médicamenteuses et interventionnelles, mais l’hypnose médicale nous permet, avec des moyens très simples, d’exercer une influence positive sur l’état de nos patientes et patients», déclare-t-elle.
La SMSH définit l’hypnose comme une forme de communication au niveau verbal et non verbal, qui aide les patients à atteindre diverses formes de transe. La transe est un état de conscience modifié qui se distingue de la pensée usuelle et dans lequel l’attention est dirigée vers l’intérieur et sur ses propres perceptions. «Dans cet état, les patients sont particulièrement réceptifs aux suggestions, explique Ursula Speck. On peut s’en servir pour modifier la perception de la douleur et aider le sujet concerné à bénéficier d’un ressenti corporel plus supportable.»
Un état vulnérable
Selon Ursula Speck, dans le contexte médical, les patientes et les patients se trouvent souvent en état de transe: «Un traitement médical, notamment en cas d’urgence, est une situation exceptionnelle dans laquelle une personne entre spontanément en état de transe, ce qui la rend vulnérable et extrêmement réceptive aux suggestions. C’est pourquoi nous devons impérativement choisir nos mots avec soin», affirme-t-elle.
Ursula Speck accompagne par exemple des sujets souffrant de douleurs chroniques, de troubles anxieux ou d’affections psychosomatiques comme le syndrome du côlon irritable. Elle soutient aussi les patients hospitalisés, de même que les futures mamans angoissées par une mauvaise expérience préalable et les prépare souvent à l’accouchement. Elle évoque un patient souffrant d’une névralgie du trijumeau – une douleur chronique à un nerf facial. En transe, il se rappelait la sensation douce des naseaux de son cheval sur sa joue lorsqu’il lui disait bonjour. En évoquant ce souvenir corporel, en revivant cette sensation agréable sur sa peau, il a pu, avec le temps, modifier positivement la sensation corporelle de la névralgie du trijumeau.
«En transe, on peut par exemple concentrer volontairement toutes ses perceptions sur une zone particulière du corps qui se sent bien, ou quitter son corps un moment pour se rendre en esprit dans un lieu sûr où l’on peut se détendre», détaille Ursula Speck. Cela demande un certain niveau de compréhension et d’imagination, mais 80% des gens parviennent bien à se mettre en état de transe, 10% même très bien. «Seuls quelque 10% des gens n’arrivent pas à l’atteindre – l’hypnose n’est en conséquence pas une option de traitement pour eux.»
Formation à l’hypnose en Suisse
L’hypnothérapie n’est pas un métier protégé. L’Institut suisse pour la formation médicale postgraduée et continue (ISFM) reconnaît le certificat de capacité en hypnose médicale [3] proposé par la Société médicale suisse d’hypnose (SMSH) [4]. Le préalable à l’obtention de ce certificat est un titre de spécialiste FMH. Les médecins en cours de formation ou sans titre de spécialiste reçoivent une attestation.
La Société d’Hypnose Clinique Suisse (SHYPS) [5] et l’Institut Romand d’Hypnose Suisse (irhys) [6] collaborent étroitement avec la SMSH. Elles sont, comme la SMSH, membres de la Société internationale d’hypnose (ISH) et à ce titre, soumises à ses directives éthiques.
Les trois organisations offrent également au personnel infirmier médical et dentaire diplômé des formations initiales et continues en communication par l’hypnose, validées par une attestation.
Des formations et ateliers sur l’hypnose et la communication hypnotique sont aussi proposés par l’association Hypnose Gesellschaft Schweiz (hygs) [7]. Elle a été fondée en 2021 par d’anciens membres de la SMSH qui souhaitaient ouvrir le certificat en hypnose médicale à d’autres professionnels de santé, tels que les ostéopathes, les psychothérapeutes ou le personnel infirmier.
Le ressenti est central
Les autres médecins sont souvent sceptiques et plaisantent en parlant de «médecine magique». «Le fait que l’on travaille avec des suggestions rend l’hypnose suspecte pour de nombreuses personnes. On associe cela à de la manipulation, une stratégie marketing ou de la politique. Beaucoup ont du mal à imaginer qu’on puisse la mettre en œuvre dans un contexte thérapeutique», conclut Ursula Speck.
«Il y a énormément d’idées fausses sur l’hypnose», ajoute Ulrich Geissendörfer, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie exerçant dans son cabinet de Baden-Dättwil et, comme Ursula Speck, membre du comité de la SMSH. «Contrairement aux films, où l’on fait entrer quelqu’un en transe en claquant des doigts, il faut en réalité que le patient coopère. Car toute hypnose est, dans un certain sens, une autohypnose.» Ulrich Geissendörfer est venu à l’hypnose par hasard: il y a dix ans, un flyer de la SMSH se retrouve sur son bureau alors qu’il planifie sa formation annuelle. C’est ainsi qu’il s’inscrit à une formation initiale à destination des médecins-dentistes (voir encadré).
Il est d’abord sceptique. «En tant que thérapeute comportemental, on m’a enseigné des directives et stratégies claires et structurées. Au début, dans l’hypnose médicale, tout semble vague et diffus. Il y a certes une part de compétences et connaissances, mais l’essentiel se base sur le ressenti et se transmet donc difficilement à travers un manuel.»
Ce sont au final les exercices concrets qui le convainquent: «À mon grand étonnement, cela a bien fonctionné, avec un effet positif surprenant et clairement évident.» Depuis, il utilise l’hypnose dans son cabinet médical, par exemple pour les sujets souffrant de dépression, de troubles anxieux ou d’affections psychosomatiques. «L’hypnose médicale ne se limite pas à accompagner le patient dans sa transe. Il s’agit surtout d’une méthode psychothérapeutique intégrant divers éléments et d’un type particulier de travail relationnel thérapeutique», précise-t-il.
L’hypnose médicale a énormément élargi ses options thérapeutiques, notamment pour les affections psychosomatiques et les réactions affectives difficiles à mettre en mots, confie Ulrich Geissendörfer: «L’état de transe ouvre souvent aux patients un accès à leur vie intérieure, qu’ils n’ont pas en temps ordinaire. Ils peuvent expérimenter les liens entre leur état actuel et de précédentes expériences. Ces liens s’identifient et se travaillent bien plus efficacement lors d’une transe que dans un entretien thérapeutique usuel.»
Cela dit, il est important de fixer les attentes avant de débuter la thérapie: «L’hypnose médicale est un outil fantastique avec lequel on peut accomplir beaucoup de choses. Mais certaines personnes ont des attentes trop élevées. Comme pour tout autre traitement, il faut donc clairement expliquer les possibilités et les limites.»
La réalité naît dans nos têtes
«L’hypnose a changé ma vie», confie Claire-Anne Siegrist, pédiatre et infectiologue. Jusqu’à sa retraite, début 2023, elle a été médecin adjointe aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et professeure à l’Université de Genève. Elle découvre l’hypnose pour elle-même en 2016, lorsqu’elle se retrouve atteinte de polynévrite – une affection douloureuse des nerfs périphériques qui affecte ses jambes, l’obligeant à utiliser un fauteuil roulant. «L’hypnose m’a aidée à soulager des douleurs insupportables», dit-elle. Elle arrive aujourd’hui à se déplacer à nouveau sans fauteuil. Et quand elle s’imagine immerger les pieds dans un lac de montagne, elle expérimente une sensation concrète de fraîcheur bienfaisante et ressent un soulagement des douleurs qu’elle éprouve dans les jambes et les pieds. «Notre cerveau est incroyablement puissant, explique-t-elle, la réalité naît dans notre tête: on vit ce que notre cerveau fait de nos perceptions. Chaque personne ressent ainsi différemment des sollicitations identiques. Cela ouvre d’infinies possibilités.»
En tant que patiente, elle réalise ce que peuvent déclencher les mots des médecins et du personnel soignant s’ils ne sont pas soigneusement choisis. Elle crée alors aux HUG, avec Adriana Wolff, une collègue anesthésiste, un programme d’hypnose clinique. Depuis, l’ensemble du personnel soignant et des médecins de l’hôpital sont formés à la communication par hypnose. «L’hypnose implique que nous mettons nos patients au centre et que nous choisissons les mots adéquats», indique Claire-Anne Siegrist. «Dans notre quotidien hospitalier, elle nous aide à gérer autrement de nombreux problèmes qu’ont nos malades, ce qui leur permet d’être plus détendus et de diminuer leurs angoisses et leurs douleurs.» Par exemple, lors d’une piqûre, on ne dira pas: «Ça va juste piquer et faire mal un instant», car les malades n’entendent souvent que les termes «piquer» et «faire mal». On préfèrera: «Il se peut que vous sentiez quelque chose, mais vous le supporterez très bien.» Avec un enfant, on peut par exemple définir un endroit où est censé se poser un papillon et pendant l’injection, lui demander les couleurs du papillon qui s’est posé. «Il n’y a pas de limite à la fantaisie et c’est un univers que les enfants intègrent instantanément, résume Claire-Anne Siegrist, en les suivant dans cet univers, on les distrait facilement de la douleur et de la crainte.» Désormais à la retraite, elle continue de s’investir pour accompagner enfants et adolescents à l’aide de l’hypnose médicale – non plus au sein des HUG, mais à la clinique de la commune genevoise de Carouge.
Prendre le temps
«L’hypnose est une forme de communication qui peut nous aider pour presque tout», assure Nicolas Huber. Spécialiste en médecine interne, il est médecin de famille dans un cabinet de groupe à Oberurnen et membre du comité de l’association Hypnose Gesellschaft Schweiz (hygs), émanation née en 2021 de la SMSH. Lorsque les patients le lui demandent, il les accompagne parfois par l’hypnose, en cas par exemple de cervicalgies, de céphalées chroniques ou encore d’insomnies. «90% de mon travail est consacré à la médecine générale. Lors de mes consultations, j’ai 15 à 30 minutes maximum à consacrer par personne. Pour l’hypnose, il me faut une heure. C’est agréable de s’extraire parfois du rythme soutenu habituel», décrit-il.
Mais c’est avant tout sa communication avec les patientes et les patients qu’il a modifiée depuis sa formation en hypnose médicale, effectuée il y a plus de dix ans à la SMSH: «C’est une attitude fondamentale qui influe sur tout mon travail et la manière dont j’aborde les gens, dont je m’adresse à eux.» Auparavant, il adoptait par exemple une approche très factuelle pour annoncer un diagnostic de cancer. «Je sais aujourd’hui que les personnes concernées sont plongées dans un état de transe anxieuse, dont je dois les sortir.» Il ne pense pas que tous les médecins doivent nécessairement utiliser l’hypnose médicale. «Mais nous devrions tous faire attention à la façon dont nous parlons à nos patientes et patients ainsi qu’à notre comportement face à eux», analyse-t-il.
Dans un prochain article, l’auteure fera part de ses expériences vécues lors d’une journée de formation de la SMSH sur l’hypnose médicale et la douleur.
Références
1 Donald Trent Jacobs (1991): Patient Communication for First Responders and EMS.
2 https://www.bmj.com/content/371/bmj.m4284
3 https://smsh.ch/wp-content/uploads/2023/03/Texte-daccompagnement-pour-lAFC.pdf
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