Article de fond

L’art de fidéliser son personnel

DOI: https://doi.org/10.4414/bms.2023.22043
Date de publication: 06.09.2023
Bull Med Suisses. 2023;104(36):18-21

Roger Rüegger

Pénurie de médecins Exigences élevées et horaires de travail irréguliers sont la norme dans le secteur de la santé. Les employeurs doivent donc compenser par des offres attrayantes, mettre en avant leurs points forts et jouer sur les atouts régionaux. Quatre établissements de santé montrent la voie.

À l’heure actuelle, le marché du travail est très attractif pour les professionnels. Dans de nombreux secteurs, les expertes et experts peuvent trouver des postes proposant des conditions d’emploi idéales. Cela vaut aussi pour les médecins, que se disputent cliniques et cabinets médicaux. Les employeurs doivent veiller à prendre soin de leurs employés, car si ces derniers ne sont pas satisfaits, de multiples alternatives s’offrent à eux.

Dans certains établissements, la situation est d’autant plus tendue que les jeunes générations se désintéressent du métier. De plus en plus de médecins-assistantes et médecins-assistants quittent la branche [1]. Un défi pour les cliniques et les hôpitaux, mais aussi une chance de se démarquer à travers les avantages offerts. Différents moyens sont utilisés pour fidéliser les médecins à long terme. Selon les régions, des atouts spécifiques peuvent aussi être mis en avant. Nous avons enquêté auprès de divers acteurs. Il en ressort une grande variété ainsi qu’une spécificité régionale des approches – et certains établissements sont clairement sur la bonne voie.

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Dérouler le tapis rouge pour fidéliser les médecins? Nos exemples montrent comment les établissements de santé peuvent se démarquer.

© Mick De Paola / Unsplash

Une taille raisonnable

À l’Hôpital du Jura, la rotation du personnel est relativement stable, estime Olivier Guerdat, responsable Communication et Marketing: «Avec quelque 1820 collaboratrices et collaborateurs, dont près de 200 médecins, l’hôpital bénéficie d’une taille raisonnable. L’atmosphère de travail y est agréable et peut-être moins impersonnelle que dans les grandes structures.» Selon lui, la localisation géographique est un atout clé. La région se démarque en effet par un environnement très agréable, loin des nuisances sonores et des embouteillages, et il n’y a pas de pénurie de logement.

Ces avantages importants sont volontiers mis en avant lors de l’accueil de nouveaux membres du personnel. «Même si on vit quasiment en pleine nature, on a très vite accès aux infrastructures culturelles et sportives. Bâle et ses musées sont à proximité, de même que l’aéroport international et la gare Belfort-Montbéliard, avec ses connexions TGV qui mènent à Paris en à peine deux heures et demi.»

Un faible coût de la vie

Sur le marché du travail, le salaire est un élément clé. L’Hôpital du Jura est ici bien positionné, affirme Olivier Guerdat. Les salaires proposés aux médecins sont «relativement concurrentiels» par rapport à ceux des hôpitaux de même taille. Outre le salaire, le coût de la vie fait aussi la différence. Le Jura compte, selon plusieurs études, parmi les régions suisses où le solde restant à disposition du foyer après imposition, dépenses courantes et loyer est le plus favorable.

«Cela tient surtout aux prix des loyers et des logements, peu élevés par exemple par rapport à la région lémanique. Les médecins souhaitant fonder une famille trouvent ici un environnement très abordable, agréable et avec de nombreux avantages», souligne Olivier Guerdat.

Autre raison au maintien du faible taux de rotation de personnel de l’Hôpital du Jura: l’environnement de travail. «Nous nous attachons à le rendre aussi agréable que possible, en répondant par exemple efficacement aux souhaits des médecins. Nous adaptons ainsi le mieux possible horaires et lieux de travail aux besoins qu’ils expriment. Et nous nous efforçons de les soulager des tâches administratives.»

Réduire l’administratif

L’administratif est l’un des points auxquels le Centre suisse des paraplégiques (CSP) de Nottwil accorde aussi de plus en plus d’attention. Il emploie pour cela des gestionnaires médicaux qui assistent les médecins sur le plan administratif, leur dégageant ainsi plus de temps pour la patientèle, comme l’explique Marcel Unterasinger, responsable des r essources humaines.

Le temps de présence est aussi clairement défini. «Nous offrons des conditions d’emploi attractives avec des semaines de 48 heures, une saisie des heures avec compensation, moins de gardes que d’autres hôpitaux et une participation aux coûts de formation externes.» Il y a un processus d’amélioration continue des conditions de travail et d’emploi. Entre autres mesures, la réduction du nombre de gardes, les hausses de salaire ou encore moins d’obstacles à l’avancement. S’y ajoutent les perspectives offertes aux nouveaux arrivants. Comme l’embauche de médecins en tant que chefs de clinique adjoints ou cheffes de clinique adjointes, avec des perspectives claires d’évolution des responsabilités et de la rémunération. L’établissement de Nottwil a communiqué davantage sur ce point ces derniers mois, ayant noté que la concurrence était, elle aussi, plus généreuse qu’avant dans l’octroi d’incitations.

Récompenser la fidélité

Dans le même temps, le niveau d’exigences des candidats va croissant. L’équilibre entre vie privée et vie professionnelle devient aussi un sujet majeur. «Nous permettons beaucoup plus de temps partiel, en réponse à un besoin en hausse. La demande est, sur ce point, bien plus active qu’il y a quelques années», constate Marcel Unterasinger. À titre d’exemple, la clinique offre des possibilités de temps partiel dès 60% aux médecins-assistantes. Pour les postes à 60%, elle propose un job-sharing. Le personnel bénéficie par ailleurs d’options de congé non payé et de réduction du temps de travail pendant la période d’emploi. La fidélité est elle aussi récompensée. L’ancienneté donne droit à quatre semaines offertes tous les dix ans et un jour tous les cinq ans. À cela s’ajoute la possibilité d’un congé sabbatique. Et plus récemment, celle d’un compte de congé longue durée. Autre avantage non négligeable, le CSP aide son personnel dans sa recherche de logement. Par ailleurs, il dispose de sa propre crèche dont la flexibilité est adaptée aux besoins des professionnels de santé.

Pour Marcel Unterasinger, le fait que les postes soient intéressants et porteurs de sens constitue un réel avantage. Parmi les autres atouts, des perspectives d’évolution claires, associées à une progression attractive du salaire, avec un bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Le fait que l’établissement offre des opportunités de recherche intéressantes, en plus de l’activité clinique, est lui aussi très apprécié.

Enfin, Marcel Unterasinger estime que le CSP fidélise les médecins et l’ensemble du personnel grâce à l’offre globale de son campus. «Chez nous, le personnel a la possibilité de pratiquer plusieurs sports. Nous avons une piscine couverte, une salle de fitness et des installations sportives extérieures, mais aussi un accès direct au lac et la possibilité de suivre différents cours.» Et grâce à la politique de hiérarchie horizontale du CSP, tout le monde se connaît bien et entretient des relations agréables et respectueuses.

Temps partiel à tous les postes

Les Hôpitaux de Schaffhouse proposent, pour leur part, un temps partiel à tous les niveaux de responsabilité. Selon Lukas Feurer, responsable de la Communication, c’est aujourd’hui devenu un «must». L’accompagnement individuel pour l’obtention d’un titre de spécialiste, de formation approfondie, ou pour la planification de carrière par exemple, est un autre élément apprécié des médecins dans l’entreprise. Les opportunités de formation interne et externe ainsi que le soutien financier correspondant sont un atout majeur, indique Lukas Feurer: «Le fait, par exemple, pour un médecin de pouvoir passer un certain temps dans un hôpital partenaire pour acquérir des connaissances que nous n’offrons pas en formation interne. Son retour s’accompagne en général d’un avancement de carrière.»

L’établissement assure également être compétitif au plan salarial. Lukas Feurer évoque en outre les options de temps partiel: «Nous avons du personnel employé à des taux d’activité minimaux, y compris parmi les chefs de clinique et les médecins adjoints.» Il souligne: «Cela ne fonctionne toutefois qu’avec celles et ceux qui maîtrisent la pratique clinique et ont achevé leur formation de spécialiste.»

Les Hôpitaux de Schaffhouse sont un employeur idéal pour les médecins ayant ou planifiant une famille, notamment grâce à leur crèche d’entreprise. En outre, les médecins-assistantes peuvent bénéficier d’une prolongation de l’assistanat après un congé maternité et d’une réduction consécutive du taux d’occupation.

Hausse des majorations

L’Hôpital cantonal de Lucerne (LUKS), lui, propose à ses collaboratrices et collaborateurs une série de mesures pour contrer la pénurie de personnel. Selon un communiqué publié début juillet, le LUKS mise sur une stratégie prospective de recherche de personnel avec son initiative d’hôpital-aimant baptisé «Magnet LUKS Gruppe – Spitäler mit Anziehungskraft», dans laquelle le personnel peut s’impliquer activement. Des premiers succès ont été notés, indique le LUKS [2]. En outre, en plus de l’augmentation salariale régulière, un versement supplémentaire unique de 0,4% du salaire annuel 2022 a été discuté dans le cadre de la clôture d’exercice.

Une hausse des majorations pour le travail du soir et de nuit ainsi que pour les gardes du samedi a également été annoncée. Ce revenu supplémentaire peut aussi être converti en temps libre, via l’achat de jours de congé. «Ces mesures nous font gagner en attractivité pour les services du soir, de nuit et du week-end, difficiles à concilier avec la vie familiale et les loisirs, mais essentiels au fonctionnement d’un hôpital», indique Michael Döring, CNO et responsable du domaine Soins et Social. Cela répond à un souhait majeur du personnel, comme le révèle leur participation à l’initiative d’hôpital-aimant.

Grâce à ces mesures, le LUKS espère, en tant qu’employeur attractif, garder le personnel dans la branche et dans son établissement, et attirer de nouveaux candidats. Benno Fuchs, CEO et président du comité de direction, ajoute: «L’ambition du LUKS est d’investir en continu, dans la mesure du possible, dans des conditions de travail attractives, donc dans et pour le personnel – et ce, malgré un contexte financier tendu.»

Identifier les points forts

Les exemples cités illustrent la diversité des approches des cliniques et des hôpitaux pour maximiser leur attractivité auprès des médecins. Cela demande avant toute chose d’identifier ses points forts. «Les attentes du personnel sont très diverses, également parmi les médecins. Certains veulent un bon salaire et un emploi du temps qui favorise la vie privée. D’autres ont envie de développer des projets et de suivre des formations complémentaires sur leur lieu de travail. D’autres encore, de s’investir eux-mêmes dans la formation», résume Olivier Guerdat, de l’Hôpital du Jura. Pour être attractif, il faut donc être flexible et savoir concilier les besoins de l’établissement avec les attentes des médecins.

Références

1 www.medinside.ch/assistenzaerzte-berufsverband-schlaegt-alarm-und-will-loesungen-diskutieren-20230315

2 https://www.luks.ch/newsroom/luks-erhoeht-zulagen-fuer-spaet-nacht-und-samstagsdienste-deutlich

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